airelibre

Thursday, December 03, 2015

Traiter les racines plutôt que les branches de l'arbre maléfique

Deux scènes sanglantes au mois de novembre dernier démontrent le degré d’horreur que le terrorisme est capable d’atteindre. Un berger tunisien de 16 ans a été décapité, sa tête mise dans sachet en plastique et confiée sous la menace à son cousin qui l’accompagnait pour qu’il la donne à la famille. Celle-ci l’a mise dans le frigidaire en attendant de retrouver le corps… L’une des scènes les plus horribles du carnage de Paris du vendredi 13 août est décrite dans ce témoignage d’un survivant de l’attaque contre le Bataclan où les terroristes ont pris un millier de d’otages et en ont massacré une centaine : « Mon voisin a reçu une balle en plein visage. Des bouts de sa chair et des jets de son sang ont recouvert mes lunettes… » Maintenant que le terrorisme a atteint des niveaux vertigineux dans l’horreur ; maintenant qu’aucun pays au monde n’est à l’abri du terrorisme ; maintenant que ni les avions, ni les trains ni les terrasses de café ne sont plus des lieux sûrs pour voyager ou pour se détendre, la question brûlante qui se pose est cette même question éternelle que les humains se sont toujours posés en temps de crise : que faire ? Aucun problème ne peut être résolu si on ne le traite pas à la racine. Aucun problème ne peut être résolu si on ne reconnaît pas les fautes et les erreurs qui l’ont fait naître. A fortiori quand ces fautes et ces erreurs ont engendré non pas un problème, mais un fléau dévastateur qui sème la panique dans les quatre coins du monde. Si la troïka avait pris au sérieux les mises en garde contre les menaces naissantes du terrorisme dans les montagnes tunisiennes et avait agi en conséquence, la Tunisie ne se serait pas trouvée dans cet état tragique sans précédent dans son histoire moderne. Si la France n’avait pas suivi une politique d’interférence agressive en Libye avec les conséquences que l’on sait, si elle n’avait pas diabolisé Bachar al Assad et soutenu sans restriction ses ennemis, Paris n’aurait très probablement pas vécu l’horreur du 13 Novembre. Et l’on pourrait multiplier les exemples de fautes et d’erreurs de jugement commis par plusieurs pays petits et grands et qui ont contribué à l’émergence de cette monstruosité appelée Daech et dont l’origine se trouve dans l’erreur fatale commise par l’ancien président américain George W. Bush et son compère, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair. Dans le monde politique, tout comme dans le monde physique, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Revenons à la période 1969-1973. Pendant ces quatre années, le couple Nixon-Kissinger envoyait les B52 avec leurs « tapis de bombes » bombarder le Cambodge, l’un des pays les plus pauvres et les plus arriérés du monde. Et quand il n’y avait plus rien à détruire, ils bombardaient de nouveau les ruines et ceux qui y étaient ensevelis. Ce « crime épique contre l’humanité », comme l’a qualifié le journaliste américain John Pilger, a enfanté un monstre : Pol Pot et ses Khmers rouges. On sait ce que ce monstre a fait du Cambodge et des Cambodgiens… Quatre décennies plus tard, en 2003, Bush et Blair engagèrent leur pays dans une guerre contre un pays déjà à genoux par 11 années de sanctions. Un autre crime épique contre l’humanité est commis, enfantant un autre monstre : l’ « Etat islamique » et ses hordes de terroristes. Le premier monstre enfanté par la politique désastreuse du tandem Nixon-Kissinger n’avait sévi que contre son propre peuple, massacrant les Cambodgiens par milliers et les déplaçant par millions des villes vers les campagnes. Les monstruosités des Khmers rouges n’avaient pas duré longtemps, et ce grâce à l’intervention de l’armée vietnamienne qui avait mis en déroute Pol Pot et ses hommes. Le second monstre enfanté par la politique désastreuse du tandem Bush-Blair est beaucoup plus problématique. L’ « Etat islamique » a bénéficié d’un certain nombre de facteurs favorables qui lui ont permis de se développer de manière aussi rapide que surprenante. Il y a tout d’abord le soutien actif et multiforme que lui apportaient certains pays de la région, et en particulier l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, chacun d’eux tentant de l’instrumentaliser et de le mettre au service de son propre agenda. L’ « Etat islamique » a bénéficié ensuite de l’indulgence, pour ne pas dire plus, de grandes puissances (Etats-Unis, Grande Bretagne, France) pour qui le mal, tout le mal ne venait que d’un seul côté : le régime syrien et son président. Last but not least, l’organisation terroriste a bénéficié de l’immense frustration générée par les politiques occidentale et israélienne parmi une bonne partie de la jeunesse arabo-musulmane, ce qui lui a permis d’attirer facilement dans son piège des milliers de jeunes paumés, frustrés ou révoltés à travers les réseaux sociaux, les mosquées tenus par les extrémistes fanatiques et les chaînes satellitaires wahhabites. Il est regrettable que l’ unanimité qui se confirme de jour en jour entre les grandes puissances sur la nécessité de combattre avant tout Daech n’a été possible ni quand l’Irak était dépecé par l’organisation terroriste, ni quand la Syrie était mise à feu et à sang, ni quand la terreur daéchienne déferlait sur la Libye, ni quand la Tunisie était endeuillée par les attaques de Sousse et du Bardo. L’Occident n’a aligné ses positions sur celles de la Russie et de l’Iran qu’après les terribles attaques contre les citoyens français à Paris… Mieux vaut tard que jamais, comme on dit, et on ne peut qu’être soulagé à l’idée que toutes les grandes puissances sont maintenant d’accord pour coopérer et coordonner leurs actions dans cette guerre sans merci contre l’hydre terroriste. Mais si cette unanimité, cette coopération et cette coordination internationales sont nécessaires, elles sont insuffisantes pour mettre le terrorisme hors d’état de nuire. Car, tous les spécialistes, tous les experts et tous les stratèges vous diront que toutes les bombes du monde ne pourront pas détruire une idéologie, si on néglige les causes qui l’ont fait naître. La première cause à traiter se trouve en Arabie saoudite. Tant que ce pays continue impunément à utiliser massivement l’argent du pétrole pour diffuser hors de ses frontières sa version de l’islam wahhabite takfiriste, il y aura toujours des écervelés qui chercheront à s’assurer une place au paradis en tuant les « impies » et les « ennemis de l’islam ». La deuxième cause à traiter se trouve dans la politique étrangère des grandes puissances, et en particulier des Etats-Unis. Il faut que ces pays arrêtent de produire des monstres, comme ils l’ont fait au Cambodge dans les années 1970 (Pol Pot et les Khmers rouges), en Afghanistan dans les années 1980 (Ben Laden et Al Qaida), en Irak dans les années 2000 (Zarkaoui et Al Qaida en Mésopotamie) et en Syrie et en Libye dans les années 2010 (Abou Bakr Al Baghdadi et Daech). L’histoire démontre que chaque fois qu’une grande puissance décide de « libérer » un peuple ou de faire son bonheur à coups de bombes, elle enfante un monstre. La troisième cause à traiter se trouve en Israël. Tant que l’Occident continue de regarder ailleurs, tout en laissant ce pays poursuivre en toute liberté sa politique agressive et colonialiste, comme il le fait depuis un demi-siècle, les sentiments d’injustice et de frustration de plus en plus grands seront toujours un pain béni pour le terrorisme. Enfin, la quatrième cause sur laquelle le terrorisme surfe avec une extraordinaire aisance est le fossé de plus en plus béant entre l’opulence au nord et la misère au sud de la planète. La sécurité du monde dépend de l’attitude à prendre face à ces quatre sources principales qui alimentent l’arbre maléfique.

Monday, November 30, 2015

Aigreur à Ryadh, frustration à Ankara

Les autorités saoudiennes et turques ruminent une haine qu’elles n’arrivent pas à cacher contre les autorités russes. Elles sont impuissantes face à la machine de guerre mise en branle par le président Poutine qui a volé au secours du régime syrien pour l’aider à nettoyer la Syrie du terrorisme. Et ce qui accentue la frustration et l’aigreur des dirigeants saoudiens et turcs, c’est qu’ils ont échoué à faire adopter par les dirigeants occidentaux leur propre vue des choses. Ils ont lamentablement échoué à convaincre les Américains, les Britanniques et les Français que la priorité en Syrie n’est pas la destruction de Daech et d’Annosra, mais du régime de Bachar al Assad. Les dirigeants saoudiens et turcs ont des intérêts politiques et stratégiques qui convergent, du moins dans cette étape précise de la guerre en Syrie. Ces intérêts tels qu’ils les conçoivent sont organiquement liés au renversement du régime syrien, et donc à la victoire de Daech et Annosra. Car qui d’autre est capable de tenir tête au régime de Bachar et de le menacer dans son existence ? Mais le soutien des Saoudiens et des Turcs à Daech et Annosra ne s’explique pas uniquement par les intérêts politiques et stratégiques, mais aussi et surtout par des considérations religieuses. N’oublions pas que les organisations terroristes les plus actives en Syrie sont des excroissances sanglantes du wahhabisme, armées et financées dans une large mesure par les pétrodollars du royaume wahhabite. N’oublions pas aussi que l’establishment politico-religieux saoudien partage avec Al Qaida et toutes ses ramifications une haine inextinguible contre toute espèce de pluralisme au sein de l’islam. En d’autres termes, pour les terroristes de Daech et d’Annosra, tout comme pour la classe politico-religieuse saoudienne, il n’y a qu’une seule voie juste qui mène à Dieu, c’est celle de l’islam wahhabite. Toutes les autres versions sont des hérésies dont les partisans doivent être traités non pas comme des musulmans différents, mais comme des ennemis de Dieu… Les dirigeants islamistes turcs ne sont pas peut-être aussi fanatiques que Daech et compagnie, mais, compte tenu de leur appartenance à la confrérie, ils partagent les mêmes rêves d’une « Khilafa islamique » qui s’étendrait du Maroc à l’Indonésie… Il est donc normal que les décideurs à Ryadh et à Ankara ressentent autant de frustration, d’aigreur et de haine face aux Russes qui continuent de bombarder intensivement et efficacement les repaires terroristes de Daech et d’Annosra en Syrie. Le pauvre Erdogan, pour n’avoir pas su maîtriser sa haine, a mis la Turquie dans une situation délicate avec la Russie, les deux pays étant liés par une forte coopération économique et commerciale mutuellement bénéfique. Il a donné au monde l’image d’un homme désorienté qui, après avoir donné l’ordre insensé d’abattre le bombardier russe, se mord les doigts, ne sachant trop que faire pour se faire pardonner par le président Poutine qui a refusé de répondre à tous ses appels téléphoniques. Le cas de l’Arabie saoudite est plus pathétique encore. Le royaume wahhabite se trouve un peu dans la situation de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Engagés depuis des mois dans leur guerre destructrice contre le Yémen, les décideurs saoudiens ne se privent pas de hausser le ton et de proférer des menaces quand ils parlent de la Syrie. Ayant constaté que les sommes faramineuses d’argent et les quantités gigantesques d’armements transférées depuis 2011 aux différentes factions armées qui combattent contre le régime syrien n’ont pas servi à grand-chose, l’Arabie saoudite menace…d’utiliser la force. C’est ce que l’on comprend en tout cas de l’étonnante déclaration du ministre saoudien des Affaires étrangères Adel Jubeir : « Si Bachar al Assad refuse de partir, nous utiliserons la force pour l’obliger à le faire », menace-t-il sans rire. A le croire, pendant plus de quatre ans, l’Arabie saoudite n’a utilisé que la diplomatie et que les atrocités commises par Annosra et les monstruosités commises par Daech l’on été grâce à l’argent et à l’armement que leur fournissaient les Martiens… Mais l’Arabie saoudite ne bombe pas le torse seulement en direction de Bachar, mais le bombe aussi face à la Russie. Voici ce qu’a dit sur la BBC Arabic Jamal Khajogji, journaliste et écrivain très proche de l’establishment politico-religieux saoudien : « Tout comme nous avons aidé le peuple afghan à battre l’Union soviétique, nous aiderons le peuple syrien à battre la Russie. » Le peuple afghan se serait bien passé de cette aide qui l’a plongé dans une série de drames indescriptibles et dont il ne voit toujours pas la fin 35 ans plus tard. Seulement, ce que les Saoudiens semblent ignorer, c’est que la Syrie n’est pas l’Afghanistan, la Russie n’est pas l’Union soviétique et le contexte international de 1980 n’est pas celui de 2015. Que peut faire l’Arabie saoudite de plus qu’elle n’ait déjà fait pendant quatre ans ? Sa dernière grande contribution, 500 missiles Tow de fabrication américaine, pour aider l’opposition armée à s’opposer aux frappes russes n’ont rien changé sur le terrain. Les forces de Bachar continuent d’avancer, celles de Daech et d’Annosra continuent de reculer. Plutôt que de chercher à aider le peuple syrien, les dirigeants saoudiens devraient méditer un proverbe français plein de sagesse : charité bien ordonnée commence par soi-même. Cela veut dire qu’ils doivent commencer par s’aider eux-mêmes et aider leur pays à s’immuniser contre les dangers qui le guettent. Et le premier service qu’ils doivent commencer par rendre à leur peuple, à la région et au monde musulman, c’est d’utiliser la manne pétrolière pour le développement économique et social, plutôt que de la gaspiller à alimenter les guerres et le terrorisme. L’establishment politico-religieux saoudien, pour le bien de son pays, de son peuple, pour le bien du monde arabe et musulman, pour le bien du monde tout court, doit cesser de se considérer comme l’unique dépositaire de la Vérité et d’accuser d’hérésie tous ceux qui refusent les enseignements de Mohamed Ibn Abdelwahab. Quand elle est pointée du doigt en tant que premier responsable du déferlement du terrorisme dans le monde non seulement par ses ennemis, mais aussi par ses amis, y compris de hauts responsables de la superpuissance qui la protège, l’Arabie saoudite peut-elle se permettre de continuer à agir obstinément et fanatiquement comme si de rien n’était ?

Recettes pour éradiquer le terrorisme

Les attaques perpétrées par les terroristes daéchiens contre des citoyens français à Paris ont surpris par leur ampleur et non par leur déroulement. Au point où nous en sommes, nul ne peut désormais s’étonner d’une action terroriste où qu’elle se produise. Il y a quatorze ans, les Etats-Unis ont subi la plus terrible attaque terroriste de leur histoire un certain 11 septembre 2001. Depuis, l’armée américaine n’a pas arrêté de mener sa « guerre globale contre le terrorisme ». Après toutes ces années, non seulement le terrorisme est loin d’être vaincu, mais plusieurs pays ont eu, à l’instar des Etats-Unis, la plus grand attaque de leur histoire : l’Espagne et le Maroc en 2004, la Grande Bretagne, l’Australie et l’Indonésie en 2005, la Tunisie, la Russie et la France en 2015, sans parler de l’Irak, de la Syrie et de la Libye devenus, grâce aux erreurs monumentales des politiques occidentales, de véritables usines de production de la terreur à très grande échelle. Le président François Hollande, réagissant aux attentats qui ont endeuillé son pays avec une émotion tout à fait compréhensible, a affirmé : « Nous sommes en guerre, et nous mènerons une guerre sans répit contre le terrorisme ». Le président français et la classe politique française dans son ensemble ne peuvent pas ignorer que « la guerre contre le terrorisme » n’a pas aidé la France à prévenir en janvier et novembre de cette année deux des actions terroristes les plus meurtrières de son histoire. La « guerre globale contre le terrorisme » initiée par Bush II a, pendant quatorze ans, nourri le fléau au lieu de l’éradiquer. Et c’est ainsi que cette guerre globale contre le terrorisme s’est transformée progressivement et inéluctablement en menace globale du terrorisme pour le monde entier. Certes, les Etats-Unis n’ont eu aucune attaque significative depuis septembre 2001. Et ce qui les a protégés, ce n’est pas leur « guerre globale contre le terrorisme », mais les deux immenses océans infranchissables par les terroristes. Maintenant que devons-nous faire face à cette terrifiante menace qui n’épargne plus aucun pays européen, africain, asiatique ou moyen-oriental ? La stratégie américaine s’étant révélée désastreuse, il est grand temps de l’abandonner et de mettre en place une autre stratégie qui ne se contente pas de traiter les symptômes, mais d’aller tout droit à la racine du mal. Pour vaincre le terrorisme, on ne doit pas se contenter de traquer les pauvres bougres qui ont subi un lavage de cerveau en règle avec la lessive daéchienne. On arrivera jamais à les neutraliser entièrement si on ne va pas à la racine du mal. On ne peut pas tuer un arbre maléfique en se contentant de lui couper les branches qui ne tardent pas à repousser. Ce sont les racines qu’il faut couper. Pour le terrorisme, c’est la même chose. La capacité de recrutement des organisations terroristes dépasse la capacité des divers services de sécurité d’en éliminer les membres. Que veut dire aller à la racine du mal ? Tout d’abord arrêter de s’en prendre à des gouvernements établis sous prétexte qu’ils sont dictatoriaux ou qu’ils maltraitent leurs peuples, comme ce fut le cas pour l’Irak et la Libye et comme on tente encore de le faire en Syrie. Le prétexte est fallacieux et d’une hypocrisie consternante. Car enfin en quoi l’Arabie saoudite est plus démocratique et plus respectueuse des droits de l’homme que la Syrie de Bachar al Assad ? Et si les manifestations de mars 2011 contre le président syrien s’étaient déroulés en Arabie saoudite contre la royauté, comment aurait réagi les autorités saoudiennes ? La réponse est évidente. La deuxième chose à faire, c’est d’obliger les pays de Golfe d’interdire les dizaines de chaines de télévision takfiristes qui empoisonnent les esprits de millions de jeunes gens et de clouer le bec à ces cheikhs écervelés pour qui l’humanité entière est impie tant qu’elle ne suit « la bonne voie » tracée par le wahhabisme. La troisième chose à faire, c’est d’étouffer financièrement le terrorisme, en le privant de l’argent du pétrole qu’il exploite en Irak et en Syrie, et en le privant surtout de l’autre argent du pétrole généreusement et massivement offert par les richards fanatiques d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït. La quatrième chose à faire, c’est de dévoiler à l’opinion publique internationale, qui s’en doute un peu d’ailleurs, le jeu à la fois fourbe et dangereux de certains Etats qui, pour se débarrasser du régime syrien, ont financé, armé et facilité l’expansion du terrorisme. A l’ouverture de la réunion du G20 à Antalya en Turquie le dimanche 15 novembre, les téléspectateurs ont pu assister à une scène pathétique : le président turc Recep Tayyip Erdogan exhortait ses invités à faire « l’unanimité contre le terrorisme ». Tout le monde sait que pendant quatre ans, le chef islamiste de Turquie a été l’un des principaux obstacles à cette unanimité contre le terrorisme à laquelle il appelle aujourd’hui. L’unanimité contre le terrorisme ne se fait pas par des discours démagogiques, mais par l’action concrète. Si M. Erdogan s’est enfin rendu compte de ses erreurs monumentales des quatre dernières années et veut œuvrer sincèrement pour l’unanimité contre le terrorisme, il doit commencer par fermer immédiatement sa frontière avec la Syrie, empêcher les terroristes d’y entrer et arrêter ceux qui la fuient et les livrer à ceux qui les réclament. Enfin, il doit prouver sa nouvelle ardeur antiterroriste en orientant ses bombes vers Daech et compagnie plutôt que vers les Kurdes.

Sifflera-t-on enfin la fin de la récréation?

Le mystère autour du crash de l’avion russe avec 224 personnes à bord dans le Sinaï s’est épaissi à la suite des révélations britanniques que l’accident serait dû à une bombe placée à bord avant le décollage de l’aéroport de Charm el Cheikh. Pour soutenir cette hypothèse, les autorités britanniques disent disposer d’informations collectées par leurs services de renseignements. Jusqu’à présent, les Britanniques, qui ont déjà arrêté tous leurs vols reliant la Grande Bretagne à la station balnéaire égyptienne, refusent de partager les précieux renseignements avec les premiers intéressés, c’est-à-dire les Russes, ce qui est pour le moins étonnant et épaissit encore plus le mystère qui entoure ce drame. C’est dans ce contexte lourd, dramatique et mystérieux que le président égyptien Abdelfattah Sissi a effectué jeudi 5 novembre une visite officielle en Grande Bretagne. Cette visite comporte certainement des aspects politiques et économiques qu’ont dû discuter Sissi et Cameron, mais l’aspect le plus dominant de la visite est sans aucun doute l’aspect sécuritaire. En effet, dans toutes les interviews données aux médias britanniques (BBC Arabic, The Daily Telegraph etc.) avant et au cours de la visite, Sissi fait assumer implicitement la responsabilité de l’insécurité sans précédent qui sévit au Moyen-Orient, entre autres, à la Grande Bretagne qui « n’ pas terminé le travail en Libye. » Les dizaines d’actes terroristes sanglants, dont sont victimes la Tunisie et l’Egypte, n’auraient jamais été possibles sans l’intervention catastrophique des avions britanniques, français et américains en Libye en 2011. La fragilisation des économies égyptienne et tunisienne et l’aggravation des conditions sociales de dizaines de millions de citoyens dans les deux pays n’est pas sans lien avec les mauvais choix des Etats britannique, français et américain. Ce sont ces choix qui ont transformé la Libye en paradis pour les terroristes et en enfer pour ses habitants. Ce sont ces choix qui ont eu des répercussions catastrophiques sur les six pays voisins de la Libye, et en particulier la Tunisie et l’Egypte. Le président égyptien a donc parfaitement raison de réclamer à ses hôtes britanniques de « terminer le travail », c'est-à-dire de réparer ce qu’ils ont contribué à briser en aidant les Libyens à se débarrasser du cancer terroriste que les bombes de l’Otan ont répandu dans le pays. Ce que Sissi a réclamé à la Grande Bretagne, doit être réclamé également à la France et aux Etats-Unis. Il faut souligner ici que quand on réclame aux gens de l’Otan de terminer leur travail en Libye, on ne les invite pas à envoyer leurs avions bombarder les repaires terroristes à Sirte, Darna ou Sabrata. Ceci n’a aucun sens, car si les terroristes ont la cruauté de mettre la Libye à feu et à sang, ils ont aussi suffisamment de lâcheté pour se débarrasser de leurs armes, de se raser les barbes et de se fondre dans la foule des anonymes dès l’apparition du danger, comme on l’a vu en Syrie dès les premiers bombardements russes. Avec l’influence dont ils disposent sur la scène mondiale, avec la puissance de leurs services de renseignements, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France sont capables d’arrêter les flux d’argent sale, d’armements et de terroristes vers la Libye. Ces trois pays ont la capacité d’interdire les vols « louches » du Qatar et de Turquie vers la Libye. Ils sont en mesure de signifier une fois pour toute à Erdogan et à l’émir de Qatar qu’ils ont allumé suffisamment d’incendies et qu’il n’est plus tolérable désormais de continuer à jouer indéfiniment avec le feu. Ils sont parfaitement capables d’exiger de l’Etat saoudien de contrôler les flux financiers qui quittent le royaume en direction des concentrations terroristes moyen-orientales. De telles actions sont beaucoup plus efficaces contre le terrorisme que les campagnes aériennes qui tuent beaucoup plus d’innocents que de terroristes. Le problème est que les pays qui sont responsables du désastre sécuritaire que nous vivons rechignent toujours à prendre ces mesures simples, propres et efficaces. On peut comprendre cette réticence de la part des Etats-Unis où la teigne néoconservatrice et les lobbies sionistes continuent de prendre en otage la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Mais il est difficile de comprendre cette réticence de la part de la Grande Bretagne et de la France de dénoncer haut et fort le jeu trouble du trio infernal Qatar-Turquie-Arabie saoudite. Si la thèse de la bombe terroriste à bord du vol russe Metrojet 9268 se vérifiait, 224 personnes innocentes s’ajouteraient à la liste interminable des victimes de ce fléau. Que peut-on faire d’autre sinon compatir avec les familles endeuillées ? Si cette thèse se vérifiait, ce serait une très mauvaise nouvelle non seulement pour le tourisme égyptien, mais pour l’aviation civile mondiale dans son ensemble. Car si avec les mesures de sécurité draconiennes appliquées dans l’aéroport de Charm el Cheikh les terroristes arrivaient à placer une bombe dans un avion, il y aurait là un puissant signal d’alarme indiquant que désormais le trafic aérien international est en danger. Peut-être alors Londres, Paris et Washington se décideront-ils à siffler enfin la fin de la récréation et se retrousseront-ils les manches pour étouffer l’hydre terroriste en commençant par lier les mains de ceux qui la nourrissent.

"La sage-femme du chaos"

Beaucoup se demandent aujourd’hui si l’ancien président américain Bill Clinton n’avait pas eu cette affaire sordide avec Monica Lewinsky dans le bureau ovale, sa femme aurait-elle eu cette chance de se forger une personnalité d’envergure sur la scène américaine, de se faire facilement élire au Sénat, de diriger la politique étrangère américaine et de prétendre carrément à la présidence des Etats-Unis ? Une chose est sûre, l’humiliation infligée à Mme Hillary Clinton par son mari volage lui a attiré la sympathie de millions d’Américains. En d’autres termes, la belle Monica Lewinsky n’est pas totalement étrangère à la réussite politique de l’ex-première dame américaine. Peut-être ici des précautions auraient dû être prises en accolant des guillemets à la réussite politique, car si Mme Clinton a réussi à s’imposer sur la scène publique américaine, elle a lamentablement échoué à redresser ne serait-ce qu’un tout petit peu la politique étrangère de son pays qui, depuis des décennies, n’arrête pas de provoquer des guerres et de semer la mort et la destruction un peu partout dans le monde. Pourtant, quand elle a commencé à assumer de hautes responsabilités dans l’administration américaine, certains naïfs, dont l’auteur de ces lignes, se sont pris à rêver qu’avec sa sensibilité de femme et ses instincts maternels, Mme Clinton pourrait peut-être contribuer à humaniser la politique américaine en réduisant autant que faire se peut son agressivité excessive et sa propension maladive à rendre infernale la vie de millions de gens à travers le monde. Mme Clinton n’a pas mis longtemps pour décevoir tous ceux qui ont naïvement cru en sa capacité d’influer dans le sens de la rationalisation ou de l’adoucissement de la politique étrangère américaine. Elle n’a pas perdu de temps pour prouver au monde qu’une femme est tout aussi capable d’arrogance, d’agressivité et d’insensibilité à l’égard des souffrances humaines que ses collègues hommes de l’establishment washingtonien. Il faut rappeler ici que Mme Hillary Clinton a voté au sénat en faveur de l’agression contre l’Irak perpétrée par l’administration de Bush II. La terrifiante évolution de la situation irakienne n’a pas perturbé Mme Clinton outre mesure. Pour elle, le drame biblique irakien ne constitue nullement une leçon à méditer par les décideurs américains puisqu’elle a remué ciel et terre pour convaincre le président Obama de donner son accord à la destruction du régime du colonel Kadhafi. Obama a fini par céder, entre autres bien sûr, à la pression féminine tripartite d’Hillary Clinton, de Samantha Power et de Susan Rice. Obama a fini par céder et les bombardiers de l’US Air Force qui, huit ans plus tôt, avaient déversé des milliers de tonnes de bombes sur l’Irak, détruisant le régime de Bagdad, avaient été envoyés à l’assaut de Tripoli dans le but de détruire le régime de Kadhafi, ce qui fut fait. La semaine dernière, Madame Clinton a été rattrapée par le chaos libyen qu’elle a largement contribué à créer. Elle a fait face pendant onze heures d’affilée à la commission d’enquête du Sénat sur les événements tragiques survenus le 11 septembre 2012 à Benghazi et au cours desquels l’ambassadeur Chris Stevens et trois autres Américains étaient tués par des terroristes. Les questions des enquêteurs étaient si précises et si insistantes que Mme Clinton, tentant désespérément de se dédouaner du drame libyen, n’a pas pu s’empêcher de mentir sous serment en niant, en doutant ou en feignant de ne pas savoir des faits qui relèvent de la diplomatie qu’elle dirigeait. Bien sûr, comme tout le monde sait, le mensonge sous serment, c'est-à-dire le parjure, est un crime très mal perçu aux Etats-Unis. Mais il est certain que Mme Clinton ne risque pas grand-chose, car aux Etats-Unis mensonge et politique font très bon ménage. Les deux guerres les plus désastreuses de l’histoire récente des Etats-Unis (le Vietnam et l’Irak) n’ont-elles pas été menées sur la base d’un mensonge sans que les présidents Johnson et Bush II qui en étaient responsables ne soient inquiétés ? Pendant onze heures d’affilée, Mme Clinton a peut-être vécu des moments difficiles face à des enquêteurs déterminés à la pousser dans ses derniers retranchements par leurs questions embarrassantes. Mais aucun signe de regret, aucun problème de conscience, aucune ébauche de mea-culpa face au chaos libyen dont elle est l’un des principaux responsables. Bien au contraire, elle défendait le bien-fondé des choix de sa diplomatie forcément « bénigne » avec une telle conviction qu’on en voudrait au Comité Nobel de ne pas l’avoir récompensée pour ses exploits comme il l’a fait pour son patron Obama en 2009… Quand les enquêteurs lui ont demandé si elle avait parlé avec l’ambassadeur Stevens après qu’il ait pris ses fonctions en Libye, Mme Clinton a eu cette réponse où l’arrogance le dispute à l’irrespect : « Je ne sais pas, j’étais la patronne d’ambassadeurs dans 270 pays. » Commentaire du New York Times : « Oui mais la Libye est le pays où vous étiez la sage-femme du chaos » (the midwife to chaos).

"Le dirigeant le plus répugnant du monde"

Mardi 20 octobre, la tension dans les territoires occupés était à son comble et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu se préparait à s’envoler pour l’Allemagne. On ne sait quelle mouche l’a piqué, mais il a cru devoir dépoussiérer Hitler, la shoah et Haj Amin al-Husseini, le Mufti de Jérusalem dans les années 1920, dans une tentative absurde d’établir un lien de cause à effet entre le nationalisme palestinien et le massacre des Juifs d’Europe par les Nazis. La sortie de Netanyahu est en effet consternante : « Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les juifs », dit-il, « il voulait seulement les expulser ». Selon lui, Hitler avait pris la décision d’exterminer les Juifs après sa rencontre avec Haj Amin al-Husseini en novembre 1941 en Allemagne. Toujours selon Netanyahu, Husseini avait dit à Hitler « si vous les expulsez, ils viendront tous ici (en Palestine) ». Hitler demanda alors à son hôte : « Que dois-je faire d’eux [des juifs] ? » La réponse du Mufti : « Brûlez-les ». Cette sortie inattendue du Premier ministre israélien a poussé le journaliste new-yorkais Jack Mirkinson à le qualifier de « dirigeant le plus répugnant du monde ». Répugnant, Netanyahu ne l’est pas d’aujourd’hui, mais cela fait pratiquement 20 ans qu’il l’est. Plus exactement depuis 1996, date de son premier mandat de chef du gouvernement israélien. On ne compte plus les drames, les guerres, les morts et les colonies engendrés par sa politique catastrophique. On ne compte plus les coups bas et les félonies par lesquels il détruisait les multiples processus de paix entamés et les innombrables initiatives proposées et qui visaient à trouver une solution au problème palestinien. Furieux face à la nouvelle insurrection qui se développe dans les territoires occupés, écrasé sous le poids de la lourde haine qu’il voue aux Palestiniens, soucieux de l’impatience dont font preuve de plus en plus la plupart des pays du monde à l’égard d’un conflit interminable, Netanyahu a perdu les pédales en voulant donner au monde une nouvelle explication du conflit israélo-arabe. Pour lui, ce conflit dure non pas parce que l’armée israélienne occupe depuis 42 ans les territoires palestiniens, non pas parce tout un peuple est maintenu dans un état d’oppression et de colonisation, mais parce que les Palestiniens et non Hitler sont responsables de l’extermination de millions de Juifs. En d’autres termes, les Israéliens sont en perpétuelle légitime défense contre les descendants de ceux qui étaient derrière leur génocide. Voici le message avec lequel Netanyahu, dans un accès de délire, souhaitait faire barrage à la solidarité de l’opinion internationale avec la cause palestinienne. Il est vrai que Haj Amin al-Husseini était une figure centrale du nationalisme palestinien pendant le mandat britannique. Nommé Mufti d’Al Qods en 1921, il était un opposant virulent aux vagues successives d’émigrants juifs en Palestine. La propagande sioniste avait utilisé cette opposition radicale à l’émigration juive pour lui forger une réputation d’anti-juif et même d’antisémite, bien qu’il fût sémite lui-même. Mais de là à lui faire assumer la responsabilité de convaincre Hitler de commettre un génocide, c’est une supercherie et une grotesque distorsion de l’histoire. On ne peut pas dire que Netanyahu ignore l’histoire dans ses moindres détails d’un événement aussi tragique que la tentative d’extermination de son peuple. Il ne peut pas ignorer l’objectif déclaré de Hitler dès 1933 de vider l’Allemagne de ses Juifs et de la transformer en « pays aryen pur » (Judenrein) ; il ne peut pas ignorer les lois antisémites de Nuremberg qui interdisaient le mariage entre « Aryens » et Juifs ; il ne peut pas ignorer les attaques violentes, prélude à la déportation et au massacre, et qui avaient atteint leur paroxysme dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, baptisée « Nuit de Cristal », par allusion aux nombreuses vitrines brisées des commerces détenus par les Juifs ; il ne peut pas ignorer enfin le discours du Führer le 30 janvier 1939 devant le Reichstag et dans lequel il avait explicité ses menaces qu’il n’allait pas tarder à concrétiser : « Si la juiverie internationale devait réussir, en Europe ou ailleurs, à précipiter les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait, non pas la bolchevisation de l'Europe et la victoire du Judaïsme, mais l'extermination de la race juive. » La supercherie de Netanyahu consiste en ce raccourci époustouflant par lequel il a tenté de diluer la responsabilité du régime nazi et de mettre en avant celle du Mufti de Jérusalem, suite à sa rencontre avec Hitler et dont il nous parle comme s’il y était présent. La sortie » de Netanyahu a provoqué un tollé général, y compris en Israël où le chef de l’opposition s’en est pris au falsificateur de l’histoire en ces termes : « Il n’y a qu’un seul Hitler, a-t-il martelé. Il est celui qui a écrit le livre écœurant "Mein Kampf", et en janvier 1939, soit trois ans avant sa rencontre avec Mohammed Amin al-Husseini, Hitler avait présenté la Solution finale devant le Reichstag ». Saeb Erekat, le numéro deux de l’OLP, a sans doute raison de réagir en ces termes : « le chef du gouvernement israélien hait à ce point son voisin au point qu’il soit disposé à absoudre le plus grand criminel de l’histoire, Adolf Hitler, du meurtre de 6 millions de juifs pendant l’Holocauste. » Oui, mais est-ce étonnant de la part du dirigeant le « plus répugnant du monde » ?

Des pyromanes petits et grands

Que de grands pays de la taille des Etats-Unis et de la Turquie nourrissent depuis quatre ans le désir pathologique de voir le président syrien, Bachar al Assad, disparaître de la scène syrienne, et si possible de la surface du globe, en dit long sur la futilité des décideurs qui se trouvent à la tête de ces deux pays. Cette futilité est montée d’un cran cette semaine suite à la réaction parfaitement ridicule des décideurs à Washington et à Ankara face à l’accueil chaleureux réservé au président syrien par son homologue russe à Moscou. La question à laquelle il est difficile de répondre est pourquoi Obama et Erdogan ont-ils eu des crampes d’estomac à la vue des larges sourires et de la très chaleureuse poignée de mains qu’ont échangés à Moscou les présidents Poutine et Al Assad. La question à laquelle ne pourra pas répondre le plus chevronné des psychologues est pourquoi Obama et Erdogan, après avoir fini par accepter le fait accompli de l’intervention de l’armée russe en Syrie, ont-ils piqué une crise de nerfs à la vue du président syrien à Moscou ? Mais revenons aux choses sérieuses. Depuis le déclenchement de la guerre en Syrie en mars 2011, le président syrien n’a pas quitté son pays. Son voyage à Moscou cette semaine est loin d’être protocolaire et n’a pas pour objet de remercier Poutine pour son aide, ni de se payer une promenade sur la place rouge en compagnie de son bienfaiteur. Si les présidents syrien et russe ont décidé de se voir le mardi 20 octobre à Moscou, c’est qu’ils ont des choses importantes à se dire. Il est difficile de savoir qui, au cours de cette rencontre, a parlé et qui a écouté, mais ce qui est sûr ce qui a été dit est d’une grande importance. La preuve est que dès la fin de la rencontre, le président Poutine a appelé les décideurs à Ankara, au Caire, à Ryadh et à Amman. En toute logique et sans être dans le secret des Dieux, les entretiens téléphoniques menés mardi dernier par Poutine avec les acteurs régionaux concernés par le conflit syrien ont trait à une solution politique de ce conflit que tout le monde recherche ou dit rechercher et que personne n’a réussi à trouver jusqu’à présent. Si la solution politique s’est avérée jusqu’à présent inatteignable, c’est parce que dans cette région maudite du Moyen-Orient, il y a beaucoup plus de pyromanes que de sapeurs-pompiers. Des pyromanes petits et grands qui vont de la grande puissance située à dix mille kilomètres à l’émirat minuscule d’un demi million d’habitant en passant par la puissance économique et démographique régionale, la Turquie pour ne citer que ceux-là. Contrairement aux Etats-Unis ou à l’Arabie saoudite par exemple, la Turquie ne compte pas dans son palmarès un grand nombre d’incendies. Disons que ce pays, depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir en 2002, avait des prédispositions à foutre la pagaille dans son entourage, mais n’est devenu réellement pyromane que depuis le printemps 2011, c'est-à-dire depuis le déclenchement de la guerre en Syrie, et surtout depuis qu’Erdogan traine sa haine irrationnelle et inextinguible contre le président syrien comme on traine une maladie incurable. Il n’y a pas longtemps, la Turquie menait une vie tranquille et ne comptait pratiquement que des amis. Sans doute, vicissitudes de l’histoire, avait-elle des problèmes à Chypre et entretenait-elle une relation plutôt tendue avec la Grèce. Mais à part cela, la Turquie d’avant l’entrée en scène des islamistes avait de bonnes relations avec pratiquement tous ses voisins et les voisins de ses voisins. Pourtant, ils ont bien commencé les islamistes turcs. Ils ont entamé en 2002 une belle success story de développement politique et économique qui a rehaussé le niveau de vie des citoyens et l’image de la Turquie aux yeux du monde. Mais cette success story s’est transformée en désastre le jour où les gouvernants islamistes ont arrêté de s’occuper de leurs propres affaires et de s’immiscer dans celles des autres. Parce que le chef du parti islamiste turc, Dieu sait pour quelle raison, ne supporte plus de voir Bachar al Assad sur terre, la Turquie s’est transformée de pays respectable et respecté en lieu de transit des hordes de paumés, de frustrés, de délinquants et de mercenaires accourant des quatre coins du monde pour mettre la Syrie à feu et à sang et envoyer des millions d’êtres humains sur les chemins de l’exil et du déracinement. Sans l’accueil des dizaines de milliers de terroristes en Turquie, sans l’ouverture devant eux de tous les postes frontaliers syro-turcs, sans l’aide logistique, militaire et financière qui leur est apportée, le drame syrien n’aurait jamais atteint de telles proportions cauchemardesques. En appelant Erdogan au téléphone après sa rencontre avec al Assad, Poutine savait qu’il parlait à un pyromane, l’un des premiers responsables du désastre syrien. Mais il ne peut pas faire autrement. Quand vous êtes face à un pyromane sur lequel vous n’avez aucune maitrise, vous n’avez guère le choix que de lui parler et de tenter de le faire changer d’avis. Et c’est ce que Poutine fait en parlant aux présidents turc et américain et au roi d’Arabie saoudite dans l’espoir de les voir transformés en sapeurs-pompiers. Concernant Erdogan, cet espoir est réellement minime car, d’après des informations concordantes, le type prépare de nouveaux incendies. Les terroristes fuient par centaines les bombardements russes. Et qui d’autres les accueille et les protège sinon Erdogan ? Mais il ne se contente pas de les accueillir et d’assurer leur sécurité. Des avions turcs font la navette entre Istanbul et la Libye où sont débarqués les terroristes fuyards. Les pays visés par ce nouveau rassemblement de terroristes ? L’Egypte et la Tunisie. Si, à Dieu ne plaise, des incendies se déclenchent dans ces deux pays ou dans l’un d’entre eux, on connaît l’identité du principal pyromane.

La force, la justice et le beau mirage

L’attaque par l’aviation américaine contre l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) à Konduz, dans le nord de l’Afghanistan, le 3 octobre dernier a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre compte tenu à la fois de l’importance de ce centre hospitalier humanitaire et des effets dévastateurs de son bombardement. L’hôpital de Konduz, fleuron de l’organisation humanitaire ‘’Médecins Sans Frontières’’ était une véritable bénédiction pour tous les blessés sans exception des parties en conflit de quelque côté où elles se placent et à quelque tendance qu’elles appartiennent. Qu’on en juge : Le centre hospitalier offre gratuitement à tous les blessés qui frappent à sa porte un large éventail d’interventions : des interventions chirurgicales orthopédiques, vasculaires, plastiques, sans oublier la neurochirurgie. Depuis le début de 2015, l’hôpital a entrepris 3000 interventions chirurgicales. Dans la seule semaine où s’est déroulé le bombardement, 400 blessés ont été traités, leurs blessures pansées et leurs souffrances allégées. La violence du bombardement américain de cette unité hospitalière humanitaire est telle que l’on dénombre 10 morts parmi les patients, dont trois enfants, et 12 membres du staff médical de MSF, sans parler des énormes dégâts au niveau des locaux en ruine et du matériel médical détruit. Dr Bart Jannessens, directeur des opérations à MSF a déclaré au journal médical britannique ‘’The Lancet’’ : « en tant que médecin, je pense que c’est un crime de s’attaquer à un staff médical désarmé dont l’unique objectif est de sauver des vies. Alors des deux choses l’une, ou bien on maintient l’idée des Conventions de Genève et des multiples protections médicales qu’elle comporte, ou alors, comme c’est le cas à Konduz, on procède publiquement à sa destruction. » Bien qu’elles soient ratifiées par 196 pays, les Conventions de Genève sont malheureusement parmi les règles internationales les plus ignorées et les plus violées. Ce n’est un secret pour personne que les plus grandes et les plus nombreuses violations du droit humanitaire international proviennent des Etats-Unis et de son plus proche allié, Israël. Dans l’histoire récente, c'est-à-dire de 1945 à nos jours, les Etats-Unis sont largement en tête des pays-violeurs du droit international humanitaire. Sans remonter aux tragédies d’Hiroshima et de Nagasaki où des centaines de milliers de civils japonais sont morts dans des souffrances intolérables par le feu nucléaire américain, l’armée US s’est comportée pendant des décennies en puissance mortelle pour les civils et en force destructrice des infrastructures péniblement construites par des pays sans grandes ressources. On pense ici à la Corée, au Vietnam, au Cambodge, au Laos, à l’Afghanistan, à l’Irak et la liste des pays victimes de l’agressivité excessive de l’armée US est longue. Le mépris par la puissance américaine des règles fondamentales du droit international et l’impunité dont elle est assurée ont encouragé Israël à suivre les traces de son protecteur en imposant au peuple palestinien un huis-clos sanglant qui dure depuis près d’un demi-siècle. Israël est allé plus loin que son protecteur américain puisqu’il viole à la fois les Conventions de Genève qui protègent les civils contre la force brutale des armées, et le droit international qui, depuis le 22 novembre 1967, attend toujours l’application de la résolution 242 du Conseil de sécurité. Il va sans dire que de telles violations ne sont pas le monopole des Etats-Unis et de leur protégé israélien. Les Saoudiens ne violent-ils pas depuis des mois les conventions de Genève et le droit international au Yémen ? N’ont-ils pas transformé le 28 septembre dernier un mariage en un carnage avec 131 morts ? Les trois cas évoqués ici, Etats-Unis, Israël et Arabie Saoudite, démontrent que quand la force est assurée de l’impunité, elle peut être utilisée férocement tout à la fois contre des peuples faibles (Vietnam, Afghanistan Irak), contre un peuple « ennemi » (les Palestiniens) et contre un peuple frère (les Yéménites). Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) est le gardien des Conventions de Genève et est censé assurer leur application par les Etats signataires. Le problème de cette Organisation humanitaire est qu’elle est une simple autorité morale dépourvue d’une force physique capable de dissuader les récalcitrants. Le cas de l’ONU, gardienne du droit international et censée assurer son application, est plus compliqué. Cette organisation ne peut rien contre les puissants et leurs protégés (Etats-Unis, Israël, Arabie Saoudite), mais peut très bien se découvrir une force qui lui permet de bomber le torse sur la scène internationale et d’imposer des sanctions et même des interventions armées contre des pays faibles et sans défense (Irak et Libye par exemple). Ainsi se trouve-t-on à la case départ où, depuis la nuit des temps, les hommes n’ont toujours pas réussi à résoudre l’éternel problème que pose la relation entre la force et la justice. Il y a quelques 350 ans, le Français Blaise Pascal avait cru pouvoir résoudre le problème en l’expédiant par cette formule : « Il faut mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. » On est toujours à la poursuite de ce beau mirage.

L'empire et le miroir truqué

Dans un discours prononcé mercredi dernier devant la « Convention de l’armée américaine », le secrétaire d’Etat à la défense, Ashton Carter, n’a pas pu maitriser sa colère et sa frustration face à l’intervention de la Russie à côté des forces loyales syriennes. « Nous allons faire le nécessaire pour nous opposer à l’influence maligne et déstabilisatrice de la Russie en Ukraine et en Syrie », a-t-il affirmé, ajoutant que « le président Poutine a isolé son pays et que cet isolement ne prendra fin qu’avec un changement drastique de la politique russe. » Le problème des grandes puissances et de ceux qui les gouvernent, a fortiori quand il s’agit de l’empire américain qui s’accroche désespérément à l’idée qu’il est l’unique maître de la planète, leur problème donc est qu’ils n’hésitent pas à tordre le cou à la réalité quand celle-ci n’est pas conforme à leur désir. Or, on sait que l’histoire est jalonnée de catastrophes causées par des pays ou des personnages puissants qui ont voulu imposer à une réalité têtue, réticente ou récalcitrante leur conception des choses. L’une des plus grandes catastrophes de l’histoire récente est la situation qui prévaut en Irak depuis 12 ans. L’origine de cette catastrophe de proportions bibliques est l’aventurisme des dirigeants de l’empire qui, ivres de leur puissance, étaient déterminés à imposer par tous les moyens leur conception du monde à une réalité dont ils ignorent tout. Résultat : l’empire n’a pas pu imposer sa conception des choses, et l’Irak n’a pas pu surmonter les effets destructeurs de l’agression. Logiquement, tout Etat normalement constitué qui a commis une erreur dévastatrice de l’ampleur de celle commise en Irak en 2003, devrait tirer les leçons qui s’imposent afin d’éviter à l’avenir des souffrances intolérables et gratuites à des millions d’êtres humains. Mais l’empire n’est pas un Etat normalement constitué. Ceux qui le dirigent sont convaincus que leur pays n’a commis aucune erreur, et que tous les drames qui se sont enchainés sur douze ans en Irak sont dus non pas à la mauvaise politique américaine, mais à l’ingratitude des Irakiens qui refusent obstinément la démocratie et la prospérité promises… C’est cette incapacité des dirigeants de l’empire d’admettre les erreurs qui les empêche de tirer la moindre leçon du passé récent ou lointain. Pire, ils ont une extraordinaire capacité à commettre les mêmes erreurs engendrées par la même politique sous d’autres cieux et dans d’autres contextes. Le ministre de la Défense de l’empire, Ashton Carter, est l’un de ces dirigeants convaincus que l’empire est une force bienfaitrice qui doit exporter le bien, c’est-à-dire la démocratie et la prospérité, et s’opposer par tous les moyens à tous ceux qui ont « une influence maligne et déstabilisatrice », la Russie en premier lieu… Ashton Carter est à la tête de la plus importante institution de l’empire, c'est-à-dire son bras armé dont l’influence maligne et déstabilisatrice, généreusement financée par l’Arabie saoudite, est toujours à l’œuvre en Afghanistan depuis 1980, en Irak depuis 1991, en Libye et en Syrie depuis 2011, pour ne citer que ces quatre pays. Là, on est en présence d’un problème qui relève de la psychiatrie. Il est clair désormais que quand l’empire se mire, il voit la Russie, et quand Ashton Carter se regarde dans la glace, il voit Vladimir Poutine. Un expert en psychiatrie nous expliquera peut-être que face l’ampleur des destructions en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, face aux dizaines de millions de morts, de blessés, de mutilés, de déplacés et de déracinés, l’empire panique et refuse de reconnaitre sa responsabilité dans ce terrifiant enchaînement de malheurs qui se succèdent depuis un tiers de siècles et dont on ne voit toujours pas la fin. L’empire a donc eu recours à une ruse de l’esprit, inventant le miroir truqué qui lui permet de se décharger de ses crimes sur son ennemi le plus intime : la Russie. Il se trouve que dans ce monde, heureusement de plus en plus multipolaire, l’empire, si l’on exclut deux ou trois de ses alliés les plus fanatiques dans la région, est le seul à croire à son innocence et à la culpabilité de la Russie. Cela dit, la Russie n’est pas aussi blanche que les vastes plaines sibériennes l’hiver, et Poutine est loin d’être un enfant de chœur. L’un et l’autre ont eu l’idée saugrenue de se retrousser les manches et de s’engager sérieusement dans l’action dans le seul but de limiter l’ampleur des destructions causées par l’arrogance excessive de l’empire et de réparer autant que faire se peut les dégâts de son influence maligne et déstabilisatrice de l’Ukraine à l’Afghanistan en passant par le Moyen-Orient. Le crime impardonnable de la Russie est d’être intervenue juste à temps pour mettre en pièce la stratégie maligne des Etats-Unis et de leurs alliés saoudien et turc en Syrie. Le crime de la Russie est que, par son intervention, elle peut bien réussir à briser le miroir truqué et de le remplacer par un vrai miroir qui reflètera à l’empire son propre image au lieu de celle de la Russie, et à Ashton Carter sa propre physionomie au lieu de celle de Poutine.

Terrorisme et calculs inavouables

Depuis l’entrée en action de l’aviation russe contre l’hydre terroriste en Syrie, les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne, ne cachent pas leur malaise et ne ménagent pas leurs critiques acerbes contre la Russie dont les frappes aériennes, assurent-ils, ne feront qu’ « aider le terrorisme à s’étendre en Syrie ». La raison invoquée ? « Les Russes sont en train de bombarder l’opposition modérée plutôt que les extrémistes radicaux »… A Washington, Londres et Paris, on s’accroche à ce mensonge comme à une bouée de sauvetage. Les Russes ont mis tout ce beau monde devant le fait accompli, et face à la nouvelle réalité créée sur le terrain syrien par Moscou, la Maison Blanche, 10, Downing Street et l’Elysée n’ont rien pu faire que de recourir à leurs puissantes machines de propagande dans une tentative désespérée de monter l’opinion publique internationale contre la Russie. Selon la propagande américano-franco-britannique, la Russie n’est pas venue combattre le terrorisme, mais aider un « régime sanguinaire » à se maintenir en s’en prenant à « l’opposition modérée », financée par les pays pétroliers du Golfe et entrainée par les Etats-Unis. La réalité sur le terrain est catastrophique pour la réputation occidentale, américaine en particulier, car en termes de destruction des capacités combatives des terroristes en Syrie, la Russie a fait en une semaine beaucoup plus que n’a fait en un an la « coalition de 60 pays » menée par Washington. Le malaise occidental pourrait évoluer en cauchemar, si les Russes parvenaient en quelques semaines à réduire sensiblement la force et l’agressivité de l’hydre terroriste. La défaite de la stratégie occidentale serait spectaculaire, si les forces syriennes reprenaient les positions stratégiques occupées par l’ « Etat islamique » et « Annusra ». Pourquoi une telle perspective est-elle cauchemardesque pour Washington, Londres et Paris. Pour deux raisons : d’abord ils risquent de se trouver dans une situation des plus embarrassantes face à l’opinion internationale qui ne pourra pas s’empêcher de comparer les résultats en quelques semaines de l’intervention russe à ceux en treize mois de l’intervention de la « coalition de 60 pays » et de tirer par conséquent les conclusions logiques qui s’imposent ; ensuite une telle perspective est annonciatrice de l’échec de la stratégie occidentale au Moyen-Orient pour qui le terrorisme est moins un fléau à détruire qu’un facteur, malfaisant certes, mais exploitable dans des calculs politiques et stratégiques inavouables. La réalité de ces calcules inavouables est corroborée par un certain nombre de faits concrets que Washington n’a rien pu faire pour cacher. Il y a tout d’abord, cette question de l’ « opposition modérée » qui, à la lumière des récentes informations, vient de se transformer en mascarade alimentant les plaisanteries et les commentaires sarcastiques. Comment peut-il en être autrement quand le Pentagone lui-même reconnaît que de « la première classe des nouvelles forces syrienne », dite « Division 30 », entrainée, armée et envoyée en Syrie, « il ne reste que 4 ou cinq individus », le reste ayant rejoint avec armes et bagages les groupes terroristes de l’ « Etat islamique » ou d’ « Annusra ». Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, n’a-t-il pas raison de demander sur un ton mi-figue-mi-raisin l’adresse de cette « opposition modérée » ? La réalité de ces calculs inavouables a été dévoilée également par WikiLeaks dont les 7000 câbles diplomatiques relatifs à la Syrie révèlent que les Etats-Unis ont dépensé, entre 2006 et 2010, douze millions de dollars pour financer « les manifestations et la propagande contre le régime syrien. » La réalité de ces calculs inavouables a été également dévoilée par Seymour Hersh. Le plus célèbre des journalistes d’investigation américains révéla que « les présidents américain, Obama, et turc, Erdogan, ont signé début 2012 un accord secret en fonction duquel la CIA et le MI6 britannique opèreraient un transfert massif d’armement lourd de Libye vers la Syrie pour armer les rebelles de l’armée libre syrienne. » Selon Seymour Hersh, « la couverture politique et diplomatique » de cette opération de transfert massif d’armement était assurée à Benghazi par Chris Stevens, le « diplomate » assassiné par ceux-là même que l’Otan et Washington ont aidé à renverser le régime du colonel Kadhafi… Mais la révélation la plus éclatante de Seymour Hersh dans ce dossier est la suivante : « la stratégie formulée dans les dernières années de BushII et poursuivie par l’administration Obama consiste au fait que les jihadistes radicaux devraient être utilisés de manière similaire à celle mise en place en Afghanistan dans les années 1980, c’est-à-dire servir en tant que soldats sur le terrain pour le compte des Etats-Unis en Syrie. » Qui, avec toutes ces révélations, va s’étonner encore qu’après plus d’un an de bombardements américains, les terroristes n’ont rien perdu de leurs forces ni des territoires qu’ils dominent en Irak et en Syrie ?

Tuesday, October 06, 2015

Seul le silence est grand

‘’La mort du loup’’ d’Alfred de Vigny est un poème poignant. Et les deux vers les plus poignants de ce poème sont les suivants : « A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse, Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse. » Il n’est pas sûr que beaucoup de politiciens dans le monde ont lu ce poème, et plus rares encore ceux qui ont pris la peine de réfléchir sur la portée philosophique et morale de ces deux vers, autrement ceux qui gouvernent seraient bien plus modestes et plus intelligents et, par conséquent, la vie sur terre serait bien moins tragique. L’une des arènes où l’on compte le plus d’occasions ratées de garder le silence est sans doute l’Assemblée générale de l’ONU où, depuis soixante dix ans, on assiste à un défilé automnal des grands et des moins grands de ce monde qui rivalisent d’éloquence dans des discours qui, sans généraliser bien sûr, brillent souvent par la démagogie, la tromperie et les contre-vérités. La 70e Assemblée générale qui vient de se terminer à New York n’a pas été différente de ses précédentes. De nombreux chefs d’Etat et de gouvernement ont défilé comme d’habitude, et parmi eux le chef de l’Etat le plus puissant de la planète qui, comme d’habitude aussi, est à la fois le plus attendu et le plus décevant. Au lieu de nous expliquer pourquoi après un an de bombardements, 7000 sorties aériennes et des centaines de milliers de tonnes de bombes, les terroristes de l’Etat islamique, d’Annusra et d’Al Qaida sont plus forts qu’avant, le président américain s’en est pris à ses deux cibles favorites : les régimes russe et syrien. Les Russes, par leurs frappes effectives et efficaces contre les cibles terroristes, risquent de dévoiler aux yeux du monde le jeu trouble et ténébreux des Etats-Unis dans une région où, depuis des décennies, ils disent le contraire de ce qu’ils font et font le contraire de ce qu’ils disent. Le régime syrien est abhorré dans les cercles dirigeants américains non pas parce qu’il est anti-démocratique (Washington a des alliés dans la région qui considèrent la démocratie comme une hérésie et ses défenseurs des impies qui méritent la mort), mais parce que Bachar, par sa résistance obstinée, se dresse comme un obstacle au projet de l’ « anarchie créatrice » que l’administration américaine précédente avait mis au point et rendu public en 2006. Devant l’Assemblée générale de l’ONU, le président américain aurait dû garder le silence plutôt que de se ridiculiser en affirmant démagogiquement que Bachar Al Assad « bombarde les enfants syriens à coups de barils d’explosifs ». Une telle ineptie peut être avalée par le citoyen américain moyen, mais pas par ceux qui ont une culture politique minimale et qui observent depuis des décennies la politique étrangère meurtrière des Etats-Unis. Bachar Al Assad est le président d’un pays que les hordes terroristes venus de 100 pays différents tentent depuis cinq ans de mettre en pièces et de décapiter l’Etat et ceux qui sont à la tête de l’Etat. Dans ces conditions que doit-il faire ? Se défendre et défendre son pays contre les tatars des temps modernes par les moyens dont il dispose, ou baisser les bras et attendre dans son palais sans broncher l’arrivée des terroristes pour faire plaisir aux Obama, aux Hollande et autres Cameron ? Cela dit, au lieu de proférer son mensonge éhonté sur le bombardement des enfants à coups de barils d’explosifs, le président américain, qui s’est vanté d’avoir « ordonné en personne le bombardement de sept pays islamiques », aurait dû nous dire combien de femmes et d’enfants ont péri dans ces bombardements qu’il a lui-même ordonnés ; en tant « défenseur » des enfants, il aurait dû nous parler de ses sentiments sur la mort d’un demi million d’enfants irakiens par les sanctions imposées au régime de Saddam dans les années 1990 et que l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright a jugé que c’était « un prix qui valait la peine d’être payé » ; en tant que Prix Nobel de la paix, il aurait dû nous expliquer pourquoi n’a-t-il pas dénoncé une seule fois les crimes de guerre de son prédécesseur dont la décision d’envahir l’Irak a causé la mort de centaines de milliers d’innocents, le déracinement et la souffrance de dizaines de millions, sans parler du virus mortel du terrorisme par lequel Bush II a infecté bon nombre de pays dans le monde. Mais Obama n’est pas le seul à rater des occasions en or de se taire. Dimanche 4 octobre, le Premier ministre britannique, David Cameron, s’est cru obligé de traiter devant la presse le président syrien de « boucher ». Mais il ne s’est trouvé personne pour lui demander qui est réellement le boucher ? Celui qui défend son pays contre l’hydre terroriste ou son prédécesseur, le dénommé Blair (Bliar pour les intimes), qui avait engagé son pays dans une guerre contre un peuple qui ne lui a rien fait et dont les conséquences pour l’Irak, pour la région et pour le monde sont, douze ans après, de plus en plus dramatiques ? En toute franchise, avec toutes les casseroles que ces gens trainent derrière eux, la décence la plus élémentaire veut qu’ils s’appliquent à ne pas rater les occasions de se taire.

Réalisent-ils ce qu'ils ont fait

En marge de la 70eme assemblée générale de l’ONU, le président français a tenu une conférence de presse le lundi 28 septembre dans laquelle il est revenu sur la question de la « zone d’exclusion aérienne » au nord de la Syrie. « Dans les jours qui viennent, Laurent Fabius (ministre des Affaires étrangères) va se pencher sur la question de la démarcation, voir comment cette zone pourrait être sécurisée et qu’en pensent nos partenaires », a affirmé le président français selon une dépêche de l’Agence « Reuters ». M. Hollande ajoute : « Ceci ne va pas seulement protéger ceux qui vivent dans ces zones, mais permettrait également le retour des réfugiés. » Enfin, le président français estime qu’une telle proposition « pourrait être officialisée par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui donnerait à cette zone une légitimité internationale.»… On n’a pas besoin de l’intelligence d’Albert Einstein pour comprendre que répéter plusieurs fois la même chose et attendre à chaque fois un résultat différent relève de la stupidité absolue, pour ne pas dire de la pure folie. Visiblement, certains dirigeants dans ce bas monde, dont François Hollande et Recep Tayyip Erdogan, ont justement besoin de l’intelligence d’Einstein pour comprendre qu’on ne peut répéter la même chose et en attendre à chaque fois un résultat différent. Ne parlons pas de l’Irak où les années de sanctions paralysantes et d’exclusion aérienne au nord et au sud étaient le prélude à la destruction programmée du régime. Non, ne parlons pas de l’Irak où les scénarios les plus cauchemardesques restent bien en deçà de ce qui s’y passe aujourd’hui, plus de douze ans après sa « libération » par Bush II. Parlons plutôt de la Libye, plus proche de nous et dont les effets de l’anarchie qui y sévit depuis 2011 sont dévastateurs pour le peuple libyen bien sûr, mais aussi pour des millions de Tunisiens en termes de sécurité, de commerce et d’économie. Les auteurs des deux attaques les plus dévastatrices dans l’histoire du pays, celles du Bardo et de Sousse, ont été formés au maniement des armes dans les camps d’entrainement terroristes qui pullulent en Libye. Et il y a juste quatre jours, deux voitures pleines à craquer d’armes et de munitions ont été saisies par les forces de l’armée et de la garde nationale, et une troisième a réussi à faire demi-tour et à s’enfuir vers la Libye. Tout ça pour dire que les malheurs qui pleuvent sur nos têtes depuis quatre ans ont pour origine l’anarchie terrifiante qui sévit chez notre voisin du sud-est. Si l’on va plus loin dans la réflexion, on peut dire que l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, n’est totalement innocent des malheurs qui s’abattent sur nous, du délabrement économique du pays et de son recul de la 40e à la 92e place en quatre ans, selon le classement de Davos. Car Sarkozy était aussi obsédé par la destruction du régime du colonel Kadhafi que l’est aujourd’hui son successeur Hollande par la destruction du régime de Bachar Al Assad. Il était un défenseur acharné de la création de zones d’exclusion aérienne visant à clouer au sol l’aviation de Kadhafi, et un fervent avocat de l’intervention militaire de l’OTAN pour « libérer le peuple libyen ». On connaît la suite. Ni démocratie, ni liberté, ni progrès, mais le portes de l’enfer ouvertes par l’OTAN et ceux qui l’ont poussée à détruire le régime de Kadhafi, dont entre autres Nicolas Sarkozy. Voilà qu’aujourd’hui, un autre président français rêve de rééditer en Syrie ce que son prédécesseur a contribué à réaliser en Libye : la destruction de l’Etat national et l’instauration de l’état d’anarchie. M. Hollande peut invoquer la protection des réfugiés et la nécessité de leur retour, mais la vraie raison qui l’anime est son désir ardent de voir l’aviation syrienne clouée au sol afin de priver Bachar de son principal moyen de défense contre l’hydre terroriste et précipiter ainsi sa chute. Quant à la possibilité de voir sa zone d’exclusion aérienne « légitimée par une résolution du Conseil de sécurité », on reste pantois, car on ne sait pas comment le président d’un aussi grand pays que la France puisse nourrir de telles idées, alors que tout le monde sait que la Russie et la Chine ne laisseront jamais passer une telle résolution. Le plus étonnant est que ces idées lumineuses du président français ont été exprimées à New York juste après le discours du président russe qui équivaut à un cours magistral à l’intention des dirigeants occidentaux qu’il a interpellés par cette terrible question : « Avez-vous réalisé ce que vous avez fait ? » Mais visiblement, ni le grand discours de Poutine ni sa question terrible n’ont secoué un tant soit peu le président français et ses homologues d’Occident qui s’entêtent à vouloir répéter la même chose tout en escomptant un résultat différent. Il faut croire que si nous vivons aujourd’hui dans cet état d’anarchie indescriptible, c’est parce qu’il y a une pénurie de grands hommes et une inflation de nains politiques. L’ère des nains fut inaugurée par le plus petit d’entre eux, George Walker Bush. Quatorze ans après sa guerre contre le terrorisme en Afghanistan, les talibans sont plus combatifs que jamais et se permettent même d’occuper Kunduz, l’une des plus grandes villes afghanes. Douze ans après sa guerre contre le terrorisme en Irak, les terroristes occupent Mossoul la deuxième ville du pays, Al Anbar, la plus grande province du pays, et la moitié de la Syrie.

Le dictateur du monde

En 1963, John Fitzgerald Kennedy prononça son plus important discours à l’Université américaine de Washington. La guerre froide faisait rage à l’époque et Kennedy, dans une tentative de réduire la tension internationale, conspuait les va-t-en guerre et louait les efforts déployés en faveur de la paix. Il avait alors prononcé quelques paroles mémorables visant à rapprocher les hommes et les nations : « Notre lien de base le plus commun, dit-il, est que nous habitons tous la même planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous l’avenir de nos enfants. Et nous sommes tous mortels. » Kennedy n’était pas le premier à vouloir moraliser la politique américaine. Près d’un siècle et demi avant lui, John Quincy Adams, secrétaire d’Etat de 1817 à 1825, avait mis en garde son pays contre des dévoiements politiques qui pourraient s’avérer catastrophiques pas seulement pour les Etats-Unis, mais pour le reste du monde : « L’Amérique, dit-il, ne s’aventure pas à l’étranger en quête de monstres à détruire (…). Elle sait bien que si jamais elle se rangeait ne serait-ce qu’une fois sous d’autres bannières que la sienne, fussent-elles celles de l’indépendance d’autres peuples, elle s’impliquerait sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, d’avarice individuelle, d’envie et d’ambition, qui adopteraient les couleurs et usurperaient l’étendard de la liberté. Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maitresse de son propre esprit. ». Les désirs de paix de Kennedy ne se sont pas concrétisés et les mises en garde de Quincy Adams sont restées lettre morte, mais les craintes du secrétaire d’Etat, exprimées au début du dix neuvième siècle, sont, elles devenues réalité en ce début du XXIe siècle, c'est-à-dire près de deux cents ans plus tard. En effet, aujourd’hui, les Etats-Unis, ivres de leur puissance militaire inégalée, certains de leur impunité quoiqu’ils fassent, ont toutes les caractéristiques de dictateur et se comportent comme tel. Le dictateur ne respecte ni la Constitution ni la loi internationale. Pour un oui ou pour un non, il se déchaîne contre tout le monde, opprimant, emprisonnant et torturant impunément. Il n’a aucun respect ni pour sa parole ni pour ses engagements. Le dictateur fait aux autres ce qui ne leur plait pas, mais n’accepte pas qu’on le paye de retour. Sa devise est : faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Autant de caractéristiques qu’on décèle aisément dans les comportements et les attitudes de la plus grande puissance militaire de tous les temps. Si les Etats-Unis respectaient leur Constitution et la loi internationale, s’ils se comportaient en puissance bienfaitrice comme beaucoup de citoyens américains le croient par naïveté ou par ignorance, il n’y aurait eu ni attaques du 11 septembre 2001, ni invasion de l’Irak, ni d’émergence spectaculaire du fléau du terrorisme. Si les Etats-Unis respectaient leur parole et leurs engagements, nous ne serions pas maintenant au bord d’une deuxième guerre froide. Aujourd’hui, si Washington et Moscou sont à couteaux tirés, c’est parce que ni les deux Bush, ni Clinton, ni Obama n’ont respecté les engagements pris par Ronald Reagan lors de ses négociations avec Mikhaïl Gorbatchev entre 1986 et 1988. Le dictateur est souvent aveuglé par la taille excessive de son égo. Il manque lamentablement de grandeur d’âme pour pouvoir considérer l’une des vertus cardinales, l’humilité. Par conséquent, il se trouve dans l’incapacité de tirer les leçons de ses erreurs ou de celles des autres. Là aussi, le parallèle avec les Etats-Unis saute aux yeux. Ce pays n’a tiré les leçons ni de la guerre du Vietnam, ni de celles d’Irak et d’Afghanistan. Bien que ces trois guerres soient des désastres gigantesques sur tous les plans, bien qu’elles aient entaché gravement et durablement la réputation de l’Amérique, on trouve aujourd’hui dans l’establishment washingtonien de hauts responsables qui vous expliquent tranquillement et sereinement que seul le bombardement de l’Iran est de nature à assurer la paix dans le monde. Bien que le monde ait vécu pendant plus de quatre décennies le calvaire de la guerre froide, avec des périodes de véritable terreur de voir la planète détruite par un conflit nucléaire majeur, on trouve aujourd’hui des apprentis-sorciers à Washington dont la fonction est de rallumer à nouveau la guerre froide et de ressusciter le spectre terrifiant d’un conflit nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie. Parmi eux, on peut citer la néoconservatrice Victoria Nuland, secrétaire d’Etat adjointe, qui a orchestré le renversement de l’autorité légitime en Ukraine et son remplacement par une autorité de fait, mais anti-russe et pro-occidentale. Et c’est cette même Victoria Nuland qui aujourd’hui met la pression sur la Bulgarie et la Grèce pour les pousser à interdire le survol de leurs territoires par les avions cargos russes transportant une aide militaire de Moscou à Bashar Al Assad, ultime barrage contre la mainmise totale des terroristes sur la Syrie… Dans le discours susmentionné, Kennedy avait affirmé que « nous habitons tous la même planète ». La pratique politique américaine sur un demi-siècle nous convainc du contraire. L’Amérique vit dans sa propre planète, une véritable forteresse protégée par deux immenses océans et une armée surpuissante. Là aussi on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le dictateur qui sévit tout en prenant soin de se terrer dans son bunker.

Les coûts élevés de la médiocrité^politique

Deux douzaines d’avions de combat et des centaines de militaires russes sont déjà sur place dans la ville côtière syrienne de Lattaquié. L’implication directe de la Russie dans la guerre contre les terroristes de l’ « Etat islamique » est imminente. Elle commencera très probablement après le discours que prononcera le président Poutine devant la 70e Assemblée générale de l’ONU à New York, le lundi 28 septembre. La Russie souhaite évidemment qu’elle sera rejointe par le maximum de pays, en particulier les Etats-Unis, et en cas de refus, elle ira toute seule. Dans une déclaration à l’Agence américaine ‘’Bloomberg’’, Elena Suponina, spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut d’études stratégiques de Moscou, a affirmé : « la Russie souhaite que le bon sens prévaudra et qu’Obama prendra la main tendue de Poutine. Mais si cela n’arrive pas, Poutine agira seul de toute manière. » Bien qu’il ne compte passer qu’une journée à New York, le président russe rencontrera très probablement le président américain pour justement lui tendre la main et tenter de le convaincre que quelles que soient les difficultés qui entravent un développement serein des relations russo-américaines, elles ne sont rien face à l’immense danger que pose l’expansion de l’ « Etat islamique » et les autres organisations jihadistes extrémistes, pour la paix et la stabilité mondiales. Depuis qu’il a pris les rênes du pouvoir en Russie en tant que président, ensuite en tant que Premier ministre, et à nouveau en tant que président, Vladimir Poutine ne cesse de démontrer qu’il est un politicien chevronné. Sa dernière décision de s’engager fermement en Syrie pour combattre le terrorisme à côté du régime syrien démontre une intelligence politique et une capacité d’analyse qui tranchent avec la médiocrité et l’imbécilité politiques qui prévalent en Occident en relation avec les deux crises majeures qui secouent le monde : l’Ukraine et la Syrie. La provocation gratuite, et donc la médiocrité politique, de l’Occident, les Etats-Unis en particulier, en Ukraine, a été traitée avec intelligence et sagesse en Russie. Qu’a gagné l’Occident en provoquant la chute du pouvoir légitime ukrainien et son remplacement par un pouvoir de fait anti-russe et pro-occidental ? Rien, sinon fournir à la Russie une chance inespérée pour reprendre la Crimée, ce « cadeau surprise » offert par Khrouchtchev en 1954 à l’Ukraine ; semer l’anarchie dans un pays pauvre, devenu très pauvre depuis la « manip » mise au point dans les laboratoires politiques de Washington ; et convaincre des millions d’Ukrainiens qu’ils n’ont plus d’avenir dans leur pays, lorgnant ainsi vers l’Occident en proie déjà à une migration massive en provenance du Moyen-Orient et qui pourrait se compliquer gravement à tout moment par une autre migration massive en provenance d’Ukraine… Au Moyen-Orient, la médiocrité politique occidentale dans le traitement des crises est beaucoup plus lourde de conséquences. Derrière le désastre moye-oriental se trouve l’idée obsessionnelle, mais trop sélective, de détruire des régimes dictatoriaux et de les remplacer par des démocraties. Qu’il s’agisse de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie, l’absurde atteint des proportions affolantes quand on voit l’Arabie saoudite et le Qatar participer activement à ces campagnes militaires anti-dictature et pro-démocratie… Si la Syrie n’est pas tombée entièrement sous la barbarie islamiste du trio infernal Daech-Annusra-Al Qaida, c’est grâce au coup de maître de Poutine. Rappelons les faits : après que la médiocrité politique occidentale ait transformé la Libye en chaudron anarchique, l’euphorie était telle que l’on se préparait à Washington, à Paris et à Londres à faire subir à Bashar al Assad le même sort que Kadhafi et à la Syrie le même sort que la Libye. Consumés par leurs démangeaisons anti-syriennes, Barack Obama et François Hollande ne se tenaient plus en place. Et leur ardent désir de détruire l’Etat syrien se serait concrétisé, n’eût été l’idée géniale de Poutine de troquer les armes chimiques syriennes contre l’annulation des bombardements de Damas décidés par Obama et Hollande. Le deuxième coup de génie de Poutine est sa décision d’intervenir, seul au besoin, contre les hordes islamistes qui, depuis quatre ans et demi, sèment la mort et la destruction en Syrie. Si le président russe a finalement décidé d’intervenir, c’est parce que la médiocrité politique occidentale est toujours à l’œuvre. Elle a empêché pendant longtemps les décideurs à Washington, Paris et Londres de comprendre une chose d’une simplicité consternante : s’entêter à faire subir à Bashar al Assad le sort de Kadhafi, c’est donner au terrorisme une seconde opportunité historique égale ou supérieure à celle qui lui fut offerte par George W. Bush en Irak en 2003. Grâce à la résistance héroïque de l’armée syrienne, grâce à la politique intelligente de Moscou, les dirigeants occidentaux, l’un après l’autre, montrent des signes de guérison de leur obsession pathologique anti-Bashar al Assad. Pour eux, celui-ci ne fait plus partie du problème, mais de la solution, et ils n’ont plus d’objection à ce qu’il se maintienne « provisoirement » au pouvoir. Mieux vaut tard que jamais… Poutine a eu donc gain de cause et se prépare militairement et logistiquement à confronter l’hydre terroriste. Avant de s’engager pleinement dans cette confrontation existentielle, le président russe, chrétien orthodoxe, a tenu à se présenter au monde comme le défenseur de vrai islam et de ses valeurs positives. Accompagné des présidents turc et palestinien, Poutine a inauguré la « plus grande mosquée d’Europe » à Moscou dont la reconstruction a coûté au contribuable russe la bagatelle de 170 millions de dollars. « Nous voyons », a dit Poutine « ce qui se passe au Moyen-Orient où les terroristes du prétendu Etat islamique sont en train de compromettre cette grande religion et de semer la haine. (…) Cette mosquée sera une source d’éducation et de promotion des idées humanistes et des vraies valeurs de l’islam. » Encore un coup de maître.

Tuesday, September 08, 2015

Les courroux de l'oncle Sam et les calculs de l'ami Poutine

Les Etats-Unis ont des soucis ces jours-ci. En fait pas seulement ces jours-ci, mais cela fait presque un siècle maintenant que ces Russes, que Dieu les pardonne, empêchent la démocratie bienfaitrice américaine de vivre tranquillement et sereinement. De Vladimir Lénine en 1917 à Vladimir Poutine en 2015, en passant par les camarades Staline, Khrouchtchev et Brejnev, aucun de ces dirigeants n’a jamais pris la moindre petite décision qui plaise à l’oncle Sam. Celui-ci s’est toujours montré courroucé face à tous les dirigeants russes, à l’exception peut-être de ce pauvre Gorbatchev, le seul qui a trouvé grâce aux yeux de l’oncle Sam, et c’est normal puisqu’il l’a aidé à réaliser son rêve le plus cher : le démantèlement de l’Union soviétique. Mais ça, c’est de l’histoire ancienne, et ce qui nous intéresse c’est le bouillonnement historique que nous vivons aujourd’hui. Là aussi, l’oncle Sam est soucieux, mal à l’aise, ne cachant pas son courroux face à ce que fait Poutine en Ukraine, mais aussi et surtout face à ce qu’il projetterait de faire en Syrie. Les soucis américains relatifs à l’intention du président russe en Syrie ont été rendus publics par le New York Times dans son édition du 5 septembre. L’article en question porte le titre “US Government Fears That Russian Military Intervention In The Syrian Civil War Is Forthcoming” (Le gouvernement américain craint une intervention militaire russe dans la guerre civile syrienne). Les auteurs de l’article, Michael Gordon et Eric Shmitt, font état de trois informations qui, si elles sont exactes, pourront en effet servir d’indices d’une prochaine intervention militaire russe à côté des forces de Bashar Al Assad : 1- Les Russes ont envoyé en Syrie des maisons préfabriquées pouvant abriter des centaines de personnes ; 2- ils ont installé en Syrie une station mobile de contrôle du trafic aérien ; 3- Ils ont demandé en septembre à des pays voisins des autorisations de survol d’avions militaires…C’était suffisant pour que le département d’Etat se mette dans tous ses états. Si l’on considère, à juste titre, que la priorité mondiale aujourd’hui est la destruction de l’hydre terroriste, la question légitime qui se pose est pourquoi les Etats-Unis sont-ils soucieux d’une éventuelle intervention militaire russe en Syrie ? En toute logique, s’ils ont pour priorité la destruction du terrorisme dans la région, ils devront être soulagés plutôt que soucieux de la décision, réelle ou supposée, de la Russie de s’engager directement dans la guerre anti-terroriste. Le moins qu’on puisse dire est que les Etats-Unis ne sont pas sérieux dans la guerre contre le fléau du terrorisme à la propagation duquel ils portent une lourde responsabilité. Voici plus de deux ans que Daech ne cesse de se renforcer et d’étendre son expansion. Ses déplacements en Syrie et en Irak et entre les deux se font en colonnes de centaines de pick-up lourdement armés. Les faits et gestes des milliers de ses combattants sont observés par les grands yeux des Etats-Unis (drones et satellites), et écoutés par leurs grandes oreilles. Pourtant, voici deux ans depuis que le président Barack Obama a déclaré la guerre aux groupes terroristes, et ceux-ci sont aujourd’hui plus forts que deux ans en arrière… Tout le monde sait que les Etats-Unis ont parfaitement les moyens de détruire Daech, mais pas la volonté. Les terroristes de ce qui s’appelle l’Etat islamique se déplacent en files indiennes composées de matériel militaire roulant et de véhicules de transport dans des espaces découverts. N’oublions pas que les deux seules interventions efficaces des forces américaines contre Daech étaient quand les terroristes menaçaient de s’emparer d’Erbil, dans le Kurdistan irakien, et de Ain El Arab-Kobani dans le Kurdistan syrien. Autant de preuves donc que les Etats-Unis ne jouent pas franc jeu dans cette guerre contre le terrorisme et leurs intentions sont obscures et douteuses. A ce niveau, la Russie et le président Poutine se trouvent aux antipodes des Etats-Unis et du président Obama. Dans cette région bouillonnante, la Russie n’a pas les grands moyens militaires des Etats-Unis pour décapiter rapidement l’hydre terroriste, mais elle en a la volonté. Quant à Poutine, contrairement à Obama, ses discours ne sont pas des paroles en l’air et ses engagements envers les alliés de la Russie obéissent à une éthique de la fidélité inconnue aux Etats-Unis. L’attitude de la Russie dans la guerre syrienne est déterminée par deux éléments d’une importance capitale. 1 : la défaite du terrorisme en Syrie est vitale pour la sécurité nationale de la Russie. La paix et la stabilité en Tchétchénie et dans les républiques d’Asie centrale dépendent largement, sinon exclusivement, de l’écrasement de l’hydre terroriste en Syrie, en Irak et ailleurs. 2 : Le régime syrien est un allié de longue date de la Russie, et cette alliance a résisté aux violentes turbulences qui avaient accompagné l’effondrement de l’Union soviétique et continue de résister à la guerre qui déchire le pays depuis près de cinq ans. Poutine a donc de bonne raisons de soutenir le régime syrien. Le président russe est suffisamment intelligent pour savoir que mener aujourd’hui la guerre contre le terrorisme à côté du régime syrien lui éviterait de la mener demain tout seul aux portes de la Russie, c'est-à-dire en Tchétchénie et dans les républiques d’Asie centrale. Il n’est donc pas étonnant que d’ici quelque temps les « inquiétudes » de l’oncle Sam se concrétisent et l’engagement de l’ami Poutine à côté du régime syrien s’amplifie. Il y a très peu de chance que le courroux de l’oncle Sam influe sur les calculs de l’ami Poutine, car celui-ci sait très bien que plus la Russie est assaillie par les dangers, plus les Etats-Unis sont à l’aise et vice-versa.

Saturday, September 05, 2015

Les plus grands perdants

Le grand perdant de l’anarchie qui, depuis près de cinq ans met le monde arabe à feu et à sang, est incontestablement le peuple palestinien. L’émergence d’une force terroriste extraordinaire avec des moyens militaires et financiers qui dépassent ceux de certains Etats constitue une menace pour plusieurs pays arabes dont l’unique priorité est de chercher à se prémunir contre un tel danger afin d’éviter le sort dramatique de la Syrie et de l’Irak où Daech, tel un cancer, tente de métastaser. Dans un tel contexte, quel pays, quel dirigeant, que parti politique dans le monde arabe a le temps, le loisir ou le désir de se pencher sur la cause palestinienne. C’est dans ce sens que l’on peut dire en toute objectivité que le plus grand perdant de l’anarchie destructrice qui s’est emparée du monde arabe est le peuple palestinien. Certes, on peut estimer que, comparé aux sorts des Syriens, des Irakiens, des Libyens ou des Yéménites, le sort des Palestiniens de la Cisjordanie sur les plans économique et sécuritaire est nettement mieux, en dépit des exactions quotidiennes de l’armée israélienne et des colons. Seulement, ce « mieux » ne veut pas dire grand-chose pour les Palestiniens. Pour eux, les irakiens, les Syriens et les Libyens ont un pays dont les frontières sont connues et reconnues, et que dès la fin de la guerre et la destruction inéluctable de Daech, ils reconstruiront leur pays et reprendront une vie normale. Cette lueur d’espoir présente dans les horizons des pays arabes en guerre, est dramatiquement absente dans l’horizon de la Cisjordanie, sans parler de la Bande de Gaza qui, d’après l’Agence de développement des Nations Unies, serait tout simplement inhabitable dans cinq ans, c'est-à-dire d’ici à 2020… Le plus grand perdant des drames qui secouent le monde arabe est incontestablement le peuple palestinien forcé à vivre en huis-clos avec l’armée israélienne et les colons qu’elle protège. Les plus grands perdants sont les Palestiniens qui, quotidiennement, assistent impuissants au « vol à main armé » de leurs terres. En fait les Palestiniens n’ont pas attendu la crise sans précédent du monde arabe pour se faire « auréoler » du statut de grands perdants. Sans doute les conditions internationales n’ont pratiquement jamais été favorables pour ce peuple qui, pendant des décennies, observe impuissant ses intérêts partir en fumée par l’alliance stratégique entre Israël et les Etats-Unis dans laquelle le militarisme israélien puise sa force et son impunité. Mais il y a une autre raison qui explique pourquoi les Palestiniens trainent le privilège douteux de grands perdants : leur division. Rien ne sert de nier que depuis l’émergence de mouvements de la résistance palestinienne contre le militarisme expansionniste d’Israël, l’unité palestinienne a toujours été la grande absente. Cette désunion est telle qu’il n’est pas certain que l’énergie déployée par les Palestiniens pour lutter contre l’occupant israélien est plus grande que celle gaspillée dans les guerres et les déchirements inter-palestiniens. L’apogée de cette désunion déchirante a été atteinte il y a plus de huit ans, en 2007, quand le Mouvement islamiste Hamas s’empara du pouvoir dans la bande de Gaza. Il est vrai que les chefs islamistes ont été élus démocratiquement. Mais en dépit de leur incapacité congénitale d’assurer les conditions minimales d’existence pour le peuple de Gaza, ils continuent de s’accrocher pathologiquement au pouvoir. En huit ans de pouvoir, on ne compte plus le nombre de guerres et les tonnes de bombes déversés sur Gaza, sans parler des effets catastrophiques sur la population du blocus imposé par Israël. Si, comme l’a annoncé l’ONU, cette bande de terre maudite sera « inhabitable » en 2020, le « mérite » revient à Israël bien sûr, mais aussi aux gens du Hamas, à leur fanatisme aveugle et à leur attachement pathologique à un pouvoir dont ils ont fait le pire des usages. Mais la folie du Hamas ne s’arrête pas là. Après avoir contribué à rendre Gaza pratiquement inhabitable, après huit ans d’amateurisme politique désastreux, les chefs du Hamas croient maintenant que le temps est arrivé d’entamer ders négociations indirectes avec Israël. Et avec quel intermédiaire ? Le sinistrement célèbre, Tony Blair. En effet, l’ancien Premier ministre britannique multiplie les rencontres dans la capitale du Qatar avec les chefs du Hamas, dont Khaled Meshaal. Tout d’abord, ses positions pro-israéliennes et anti-palestiniennes durant son règne à Londres, le disqualifient pour jouer les intermédiaires. Mais passe encore si ce n’était que ça. Le drame est que les gens du Hamas s’assoient, discutent et négocient avec l’un des principaux responsables de la catastrophe de proportions bibliques que vivent les centaines de millions d’Arabes aujourd’hui. Est-il normal que celui qui a échoué lamentablement dans son rôle d’émissaire du quartet au Proche-Orient soit choisi pour une autre mission de paix ?! Pire encore, est-il normal que celui qui assume une responsabilité de premier ordre dans la destruction de l’Irak et dans l’expansion de l’anarchie et des guerres dans le monde arabe soit chargé de jouer le rôle d’honnête intermédiaire et de missionnaire de la paix ?! Celui avec qui Hamas négocie à Doha est l’un des deux plus grands criminels de guerre de ce début de siècle et de millénaire, l’autre étant son ami George W. Bush. Dans un monde juste ces deux criminels devraient être trainés en justice plutôt que de jouir d’une retraite dorée au Texas ou de se déguiser en honnête courtier et de feindre un amour pour la paix.

Tel grand-père, tel petit-fils

En Tunisie le 18 mars et le 26 juin de cette année, nous n’avons pas eu la chance qu’ont eue les voyageurs du Thalys reliant Amsterdam à Paris en ce jour de grâce, le vendredi 21 août 2015. Le 18 mars au Bardo et le 26 juin à Sousse, il n’y a eu personne pour arrêter, neutraliser ou tuer les terroristes avant qu’ils ne perpétuent leur horrible carnage, ce qui aurait pu sauver des dizaines de vies et la réputation du pays. Ce qui aurait pu aussi éviter à des dizaines de milliers de familles tunisiennes, qui vivent du tourisme, de s’enfoncer encore plus dans la dèche, et à l’économie du pays de tomber encore plus bas. Le 21 août 2015, les 500 passagers du train Thalys ont eu la chance de compter parmi eux quatre héros qui, en neutralisant un terroriste armé jusqu’aux dents, ont pris le risque évident pour leur vie en vue de sauver celle des autres. Les trois jeunes américains (Spencer Stone, Alek Skarlatos et Anthony Sadler) et l’adulte britannique (Chris Norman) méritent bien la Légion d’honneur qui leur a été remise par le président français, François Hollande. Ils méritent bien la pluie d’éloges qui les couvrent dans leur pays et au-delà. On ne peut qu’applaudir ces personnes courageuses et souhaiter que leur exemple soit massivement suivi en ces temps follement dangereux où les terroristes prennent indistinctement pour cibles des innocents où qu’ils se trouvent sur cette planète. On imagine la frustration des terroristes de tous bords quand ils voient l’un des leurs se faire assommer et livrer à la police par ceux là-même qui ont failli être ses victimes. On imagine leur frustration aussi quand leur plan de tuer des gens qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam échoue. Mais il se trouve que ce ne sont pas seulement les terroristes qui éprouvent de la frustration quand l’attentat programmé du Thalys a tourné à la déconfiture. Hani Ramadan, frère de Tariq Ramadan et petit fils d’Hassan Al Banna, semble aussi frustré que les terroristes. Il fulmine contre ceux qui traitent de héros les trois Américains et le Britannique qui ont empêché le tueur de massacrer des innocents. Hani Ramadan, le petit-fils du théoricien de l’islam politique, est le directeur du Centre islamique de Genève. Ce poste officiel qu’il tient dans l’un des pays les plus démocratiques et les plus tolérants au monde ne l’a pas empêché de se déchaîner contre ceux qui célèbrent l’échec de l’opération terroriste contre les passagers du Thalys. Dans un article publié dans son blog hébergé par « La Tribune de Genève », ce type déplore que les trois américains qui ont empêché le massacre aient été «décorés avant la fin de l'enquête». Il fustige les médias et leur précipitation à lyncher le terroriste «avant toute enquête, et avant même que les interrogatoires mettent à jour les intentions réelles du coupable ». En effet, les intentions du terroriste sont extrêmement difficiles à déchiffrer, car, après tout, à part l’arme de guerre et les centaines de cartouches qu’il trimbale dans le train, il ressemble à n’importe quel autre voyageur. Mais c’est déjà bien que le petit fils du père spirituel du terrorisme islamiste n’ait pas exigé l’arrestation des trois Américains pour avoir assommé le terroriste avant même qu’il n’entame son carnage. Il va sans dire que le petit fils d’Hassan Al Banna n’est pas à son premier commentaire. Le 26 juin dernier il voyait dans les trois attentats simultanés en Tunisie, au Koweït et en France « la volonté des sionistes de provoquer des soulèvements contre les musulmans». Quant à l'attaque de Charlie Hebdo, elle se réduit pour lui à «un vaste processus de diabolisation de l'islam, savamment programmé au cours des années». C’est vrai qu’on assiste à un vaste processus de diabolisation de l’islam. Seulement la question qui se pose est qui se trouve derrière ce processus de diabolisation ? Pour le petit-fils, ce sont évidemment les « impérialistes et les sionistes » qui sont les initiateurs de ce processus. Hani Al-Banna n’est pas le premier ni le dernier à s’accrocher à cette théorie du complot, une théorie très convenable puisqu’elle permet aux Arabes de se décharger de toute responsabilité des malheurs qui les frappent. A croire les défenseurs de la « complotite », dont le petit-fils, les musulmans sont des anges poursuivis inlassablement par les diables impérialistes et sionistes en vue de leur rendre la vie infernale. La vérité est que, dans les temps modernes, le processus de diabolisation de l’islam a commencé il y a plus de 80 ans, quand le grand-père, Hassan Al-Banna, a infecté l’islam par le virus destructeur de la politique. Notre malheur aujourd’hui, que les petits-fils, Hani et Tariq, tentent désespérément d’expliquer en recourant à la démagogie et à la « complotite », nous vient en fait tout droit des idées désastreuses produites par le grand-père. Notre malheur aujourd’hui vient directement de la décision de Hassan Al-Banna de s’autoproclamer interprète exclusif des « intentions divines », et donc quiconque n’accepte pas ses idées ou prend la peine de les discuter est une personne « impie » dont le devoir de tout « bon musulman » est de la tuer. Voici l’origine du malheur que le petit-fils et tous les défenseurs de l’islam politique refusent de reconnaître. Il est à peine nécessaire de préciser que l’assassin qui a tué le Premier ministre égyptien, Nokrachi Pacha le 28 décembre 1948, les tueurs qui ont commis des massacres au Bardo et à Sousse les 18 mars et 26 juin 2015 et le terroriste assommé par les trois Américains le 21 août 2015 dans le train Thalys ont tous été motivés par les idées destructrices du grand-père que le petit-fils continue à défendre insidieusement aujourd’hui.

La hideuse vérité des deux lobbies

A première vue et en toute logique, quiconque chercherait à comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe, pointerait du doigt « les échecs faramineux » de la politique étrangère américaine et la « stupidité » des stratèges de la Maison blanche et du Pentagone. Si l’on va plus loin dans la recherche et plus profondément dans l’analyse, on se rendra compte qu’il n’y a là ni échecs faramineux, ni stratèges stupides, mais une réussite éclatante de la politique étrangère américaine tracée par des stratèges qui, loin d’être stupides, sont dotés plutôt d’une intelligence et d’un savoir-faire diaboliques. On entend souvent çà et là que la politique étrangère américaine est une copropriété que se partagent le lobby militaro-industriel d’une part, et le lobby sioniste, défenseur du « Grand Israël » d’autre part. Aux yeux de beaucoup de monde de telles affirmations sont la reproduction de « clichés éculés » répétés inlassablement par les « ennemis » des Etats-Unis et d’Israël. Si l’on va plus loin dans la recherche et plus profondément dans l’analyse, on se rendra bien compte qu’il ne s’agit là ni de clichés ni de propos démagogiques, mais d’une réalité consternante. Car si le monde arabe aujourd’hui est déchiré par des drames de grande ampleur, si l’anarchie est quasi-générale, si les morts se comptent en centaines de milliers et les réfugiés et les déplacés en dizaines de millions, c’est parce que le complexe militaro-industriel et le lobby sioniste qui rêve d’ « Eretz Israël » ont gagné la partie et ont imposé à l’establishment washingtonien leur vue de la politique étrangère et leur conception de l’intérêt américain qui, soit dit en passant, est loin d’être celui du peuple américain. Pour comprendre les racines de la terrible anarchie qui règne aujourd’hui, il faut revenir un quart de siècle en arrière, et plus précisément à la fatale destruction du mur de Berlin qui mit fin à la guerre froide et provoqua alors une grande vague d’espoir parmi les peuples, et en particulier le peuple américain, le premier intéressé par ces changements gigantesques. Les citoyens américains célébraient l’événement avec allégresse, car ils croyaient que cela allait se traduire par une nouvelle ère de paix, par la fin du militarisme et, par conséquent, par des coupes substantielles dans le budget gigantesque du Pentagone. Bon nombre de citoyens croyaient qu’en toute logique ces coupes substantielles devraient normalement bénéficier aux programmes sociaux dont des dizaines de millions d’Américains, noirs et hispaniques surtout, en avaient bien besoin. Que nenni ! C’était sans compter avec la réaction des deux lobbies qui se trouvaient soudain en danger de paix, c'est-à-dire en danger de mort. Pour le complexe militaro-industriel, la paix dans le monde est la pire des choses qui puisse lui arriver, car cela signifie chute de la demande, marasme du marché de l’armement, fermeture d’usines, chute du chiffre d’affaires et des bénéfices. Bref, pour ce lobby la paix mondiale est un désastre à éviter à tout prix. Pour le lobby sioniste, la généralisation de la paix dans le monde n’est pas moins dangereuse. Une telle perspective laisse craindre une paix forcée entre Israéliens et Palestiniens et donc le retour d’Israël aux frontières du 4 juin 1967. Bref une telle paix signifierait la mort du sionisme et la fin du rêve du « Grand Israël ». Que faire alors face à ce danger mortel de la paix qui pointait à l’horizon des années 1990 ? Deux choses importantes : l’union sacrée des deux lobbies et la création en toute urgence de nouveaux ennemis. Pour la première chose, aucun problème. Ceux qui se ressemblent s’assemblent, a fortiori quand les deux intéressés sont menacés par le même « fléau ». Pour la seconde chose, aucun problème non plus. Un ennemi de perdu (l’URSS), dix de retrouvés (l’Irak, la Syrie, la Libye, la Corée du nord, le terrorisme international etc.). Reste à faire tourner la machine de propagande, et là aucune difficulté n’a été rencontrée par les lobbies qui ont à leur disposition des moyens financiers quasi-illimités et de grands médias internationaux qui obéissent au doigt et l’œil …et au dollar. Il n’a donc été guère difficile d’occulter la vérité qui veut que les deux lobbies sont en danger de paix et que, pour continuer à vivre, il leur faut des guerres à tout prix. Il n’a donc été guère difficile non plus d’exploiter la naïveté et l’ignorance de tout ce qui a trait à l’étranger des citoyens américains pour leur faire croire que leur mode de vie, leur liberté et leur prospérité sont en danger de mort. Il faut préciser ici que les deux lobbies ont reçu l’aide précieuse qui leur fut assurée par la stupidité immense et le fanatisme aveugle largement présents, il faut bien le dire, dans le monde arabe. La première aide décisive leur fut présentée sur un plateau d’argent par Saddam Hussein qui tomba tête première dans le piège tendu en envahissant le Koweït en août 1990, c'est-à-dire juste quelques mois après la chute du mur de Berlin. La seconde aide plus décisive encore fut présentée aux lobbies sur un plateau en or par la nébuleuse terroriste d’Al Qaida le 11 septembre 2001. La suite est connue. Si le monde arabe est aujourd’hui à feu et à sang, ce n’est pas à cause des « fautes commises » par les responsables de la politique étrangère américaine, mais parce que les plans et les politiques tracés par les stratèges au service des deux lobbies ont réussi au-delà de leurs rêves les plus fous. Les résultats sont bien là. Les ventes d’armes et les bénéfices financiers du complexe militaro-industriel n’ont jamais été aussi élevés. Quant au lobby sioniste, la question palestinienne qui lui a tant fait perdre le sommeil n’a jamais été aussi ignorée, négligée et marginalisée qu’elle ne l’est aujourd’hui.