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Tuesday, January 04, 2011

La mise en garde ignorée d'Eisenhower

Trois jours avant de quitter la Maison blanche, le président Dwight Eisenhower, dans son discours de fin de mandat, avait mis en garde ses concitoyens contre les dangers provenant de « l’influence injustifiée » qu’exerçait le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis. C’était il y a un cinquante ans, plus précisément le 17 janvier 1961.
Il serait intéressant de reproduire ici les passages les plus significatifs du discours d’Adieu d’Eisenhower à son peuple. « La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire (…). Notre travail, nos ressources, nos moyens d’existence sont en jeu, et jusqu’à la structure même de notre société. Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques (…). Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. »
Avant de devenir président et de faire son entrée à la Maison blanche le 20 janvier 1953, Dwight Eisenhower avait mené une brillante carrière militaire qui a fait de lui le soldat le plus gradé de la hiérarchie militaire américaine (général 5 étoiles). La place centrale qu’il occupait dans cette hiérarchie faisait de lui un observateur privilégié des pratiques peu orthodoxes du complexe militaro-industriel. Et les huit années passées à la Maison blanche avaient fini par le convaincre de la dangerosité de ce puissant lobby qui, sans la présence d’un « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients », risquait de faire main basse sur les mécanismes de prise de décision de la stratégie militaire et de la politique étrangère des Etats-Unis.
La mise en garde d’Eisenhower fut ignorée, car il n’y a avait pas aux Etats-Unis cet « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients » pour empêcher les dérives militaires et politiques qui, depuis des décennies, ne cessent de miner le statut, la réputation et les finances de la superpuissance américaine.
S’agissant des grands choix de stratégie militaire et de politique étrangère de leur pays, les citoyens américains, dans leur grande majorité, ne sont ni « vigilants » ni « conscients » dans le sens souhaité par Eisenhower, c'est-à-dire dans le sens d’une force capable de contrôler étroitement les décisions gouvernementales, et de s’y oppose éventuellement si elles vont à l’encontre de l’intérêt général. Leur indifférence absolue à ce qui se passe en dehors de leurs frontières les prédispose à faire confiance à leurs dirigeants et à prendre pour argent tout ce que ceux-ci leur disent.
L’exemple le plus ahurissant est celui de la relation de la majorité des citoyens américains avec l’ex-président George W. Bush. Ce n’est un secret pour personne que celui-ci était la marionnette commune du complexe militaro-industriel et du lobby pétrolier qui l’avaient utilisé et manipulé à volonté. Pour servir les intérêts des fabricants d’armes et des compagnies pétrolières, Bush et son équipe avaient manipulé à leur tour le peuple américain en lui faisant avaler le mensonge des armes de destruction massive et du danger que posait Saddam Hussein pour le monde en général et pour les Etats-Unis en particulier. Et bien que le mensonge de Bush éclatât au grand jour, bien que son invasion de l’Irak tournât au désastre, les citoyens américains l’avaient réélu en novembre 2004 pour un second mandat. Un si grand déficit de vigilance et de conscience ferait retourner Eisenhower dans sa tombe.
Mais il y a plus ahurissant encore. Le peuple américain, qui compte 300 millions d’individus et représente moins de 5% de la population mondiale, ne s’est jamais posé la question pourquoi dépense-t-il pour son armée et sa sécurité autant sinon plus que le reste du monde ? L’ironie de l’histoire a fait que le cinquantième anniversaire de la célèbre mise en garde d’Eisenhower coïncide avec l’adoption par les représentants du peuple américain d’un budget militaire record : 735 milliards de dollars, dont le principal bénéficiaire n’est autre que le complexe militaro-industriel. Si l’on ajoute à ce budget du Pentagone ceux des départements de la sécurité intérieure, de l’énergie et de celui des vétérans des guerres américaines, le budget total pour la défense et la sécurité s’élèvera à 861 milliards de dollars pour l’année fiscale 2011, dépassant de loin ce que dépense le reste de l’humanité dans ces secteurs.
Le peuple américain n’a jamais pris la peine non plus de se demander pourquoi a-t-il besoin de 800 bases militaires disséminées dans une quarantaine de pays, alors que l’Amérique est le pays le mieux protégé du monde, non seulement par son armée puissante et sa défense anti-aérienne performante, mais, mieux encore, par deux océans immenses capables d’épuiser à eux seuls tout ennemi qui s’aventurerait à les franchir pour envahir la république américaine. Là aussi, le principal bénéficiaire de la dissémination et la multiplication des bases américaines à travers le monde est le complexe militaro-industriel dont avait mis en garde Eisenhower il y a un demi-siècle.
La course à l’armement nucléaire et conventionnel imposée par les Etats-Unis à leurs rivaux de la Guerre froide, les politiques agressives menées par Washington vis-à-vis du Vietnam et de plusieurs pays au Moyen-Orient et en Amérique latine et la « guerre globale contre le terrorisme » ne peuvent être comprises qu’à travers l’ « influence injustifiée » du complexe militaro-industriel dont l’unique intérêt se limite au nombre de contrats décrochés et au calcul du pourcentage relatif à la progression annuelle de son chiffre d’affaires. Jusqu’à quand cela va continuer ? Jusqu’à l’émergence de cet « ensemble uni de citoyens vigilants et conscients ». Si jamais il émergera un jour.

1 Comments:

Blogger Marianne said...

Excellent article! Oui, les Etats-Unis ont besoin des guerres - pour prospérer! Quelle perspective angoissante pour toute l'humanité, pour notre avenir...

11:58 AM  

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