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Wednesday, February 27, 2013

Les ambitions démesurées du Qatar

L’histoire retiendra comment un petit pays de 11.500 kilomètres carrés et d’un demi million d’habitants est animé par des ambitions régionales et internationales inversement proportionnelles à sa taille. Les historiens l’expliqueront peut-être par la folie des grandeurs qui ronge ses gouvernants. Ou, pour mieux comprendre le phénomène, feront-ils appel à la fameuse fable de Lafontaine : « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », mais qui « s’enfla si bien qu’elle creva ». La morale de l’histoire, comme le souligne Lafontaine dans sa fable : « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ». Le Qatar est-il la grenouille de la fable, et supportera-t-il longtemps le poids écrasant de ses ambitions régionales, et même planétaires ? En fait, avoir des ambitions est une qualité. Mais quand ces ambitions, comme c’est le cas du Qatar, consistent à semer la pagaille chez les autres, cela devient problématique. Le petit émirat n’est pas derrière tous les problèmes que vivent la Tunisie, l’Egypte, la Libye et la Syrie, certes. Mais il y est pour quelque chose. Il est intervenu directement avec ses avions de chasse et ses pilotes à côté des forces de l’Otan pour détruire le régime de Kadhafi. Il s’est montré d’une grande générosité avec l’opposition hétéroclite syrienne qui reçoit de Doha une aide massive évaluée en centaines de millions de dollars. Il est également généreux avec l’islamisme et ses diverses variantes en Tunisie et en Egypte, et en particulier celles qui œuvrent pour la « wahhabisation » de ces deux pays sunnites. Et les ambitions de ce petit émirat sont étendues jusqu’au Sahel africain où il a financé et armé les terroristes islamistes, faisant d’eux aussi des grenouilles de la fable, puisqu’ils se sont crus capables de pouvoir mettre la main sur le Mali, et en faire le premier noyau d’un califat qui ferait son chemin jusqu’en Indonésie… En plus de ses ambitions inversement proportionnelles à sa taille, il y a un autre problème tout aussi étrange et qui caractérise la politique des gouvernants qataris. Ou plutôt qui caractérise les contradictions saisissantes de cette politique. C’est un émirat qui « aide » les pays du « printemps arabe », mais condamne à la prison à vie le poète qatari, Mohamed Al Ajami Ibn Dhib, pour avoir fait un poème glorifiant ce même « printemps arabe » ; qui aide à la destruction des régimes dictatoriaux, mais avec la sournoise intention de les remplacer par des dictatures religieuses ; qui soutient la cause palestinienne, mais entretient de bonnes relations avec Israël ; qui entretient des relations intimes avec les Etats-Unis, mais ouvre les antennes de sa chaîne de propagande « Al Jazeera » aux terroristes d’Al Qaida ; il investit des milliards de dollars en France, et y achète même un club de football, mais aide les groupes terroristes dans le nord du Mali etc. Le problème qui se pose avec acuité, notamment en Tunisie et en Egypte, est le rôle obscur de Qatar dans le détournement des révolutions du « printemps arabe » de leur trajectoire initiale ayant pour revendication : l’emploi, la liberté et la dignité. La ténébreuse, mais solide relation établie entre le Qatar et les islamistes en Egypte et en Tunisie explique dans une large mesure la substitution à cette trajectoire, une autre fondamentalement différente et n’ayant absolument rien à voir avec les préoccupations des mouvements populaires ayant renversé les régimes de Ben Ali et de Moubarak. Le Qatar est aujourd’hui impliqué à un degré ou un autre dans une dangereuse entreprise consistant à détruire les Etats nationaux en Tunisie et en Egypte et de leur substituer des Etats islamiques, basés sur la vision wahhabite de l’islam. Les instruments de cette destruction sont les pouvoirs islamistes en place qui, en Tunisie comme en Egypte, sont en train de mettre la main sur tous les rouages de l’Etat et de l’administration en vue d’ « islamiser » ces sociétés, insuffisamment islamique aux yeux de Rached Ghannouchi et Mahmoud Morsi et des partis qu’ils président. En Tunisie, le processus de reproduction du régime dictatorial a connu, le 6 février dernier, une tournure fascisante puisqu’il y a eu recours à l’assassinat politique dans le but évident de terroriser les opposants politiques et d’imposer par la violence à un pays sunnite, tolérant et ouvert, la version wahhabite de l’islam. L’exemple le plus révélateur de cette tendance est que les jeunes qui ont manifesté pour exiger l’emploi et le développement régional ont été réprimés à la chevrotine, et ceux qui ont détruit une quarantaine de « zaouias », qui ont perturbé les meetings politiques de l’opposition, ou qui ont agressé violemment des journalistes, des intellectuels et des artistes n’ont jamais été inquiétés. On ne sait pas si le Qatar est impliqué ou non dans la violence politique qui sévit en Tunisie et en Egypte, mais ce que tout le monde sait est que ce petit émirat prodigue un soutien multiforme aux Frères musulmans des deux pays. Un exemple parmi d’autres : la partialité avec laquelle « Al Jazeera », la chaîne de la famille au pouvoir, couvre les événements en Tunisie. Elle est si engagée à côté des islamistes, qu’elle n’hésite pas à recourir à la manipulation des images et du son pour les montrer plus forts et plus nombreux que leurs adversaires, comme on a pu le constater le jour des funérailles du martyr Chokri Belaid. Mais comment se fait-il qu’un pays minuscule et dont l’âge ne dépasse pas la quarantaine d’années, peut nourrir de si grandes ambitions et s’engager à les réaliser sans se départir de sa suffisance et de son arrogance ? Il y a bien sûr les rentrées d’argent faramineuses provenant de la vente du pétrole et du gaz. Mais il y a aussi la plus grande base militaire américaine en dehors des Etats-Unis, celle d’Al Udeid, qui peut accueillir jusqu’à 120 avions bombardiers et 11 000 soldats US. La construction de cette base a coûté un milliard de dollars payés par la famille régnante. Elle a remplacé la base de Dhahran en Arabie Saoudite, suite à l’hostilité croissante des saoudiens. Il est à rappeler ici que Dhahran était la base d’attaque contre le régime de Saddam Hussein en janvier 1991, et Al Udeid la base d’attaque contre le même régime en mars 2003. La base d’Al Udeid est vitale pour les Etats-Unis dans leur guerre en Afghanistan. Elle était vitale pour leur guerre contre l’Irak. Elle sera vitale pour leur prochaine guerre, peut-être contre l’Iran si Israël continue sa propagande belliqueuse et si Washington finit par plier face au Lobby israélien aux Etats-Unis. Mais la base d’Al Udeid est également vitale pour le Qatar dans la mesure où elle assure à l’émirat une protection certaine contre ses ennemis. Compte tenu de la base militaire géante qu’accueille le Qatar, et compte tenu des relations à la fois très développées et très déséquilibrées avec les Etats-Unis, il est hautement improbable que la famille régnante du Qatar puisse s’engager dans une politique très ambitieuse, et parfois agressive à des milliers de kilomètres de chez elle sans l’accord préalable de Washington. La politique ténébreuse du Qatar vis-à-vis des pays du « printemps arabe » reçoit de toute évidence l’approbation de Washington qui n’a apparemment aucun problème avec des régimes islamistes dans le monde arabe. Les Etats-Unis n’entretiennent-ils pas depuis 70 ou 80 ans des relations extrêmement intimes et cordiales avec l’Arabie saoudite, l’un des pays les plus rigoristes, les plus réactionnaires ? S’ils se sont accommodés aussi longtemps avec le régime saoudien, ils pourront s’accommoder avec d’autres régimes semblables. Toutefois, il y a une chose mystérieuse : comment se fait-il que les Etats-Unis se permettent de regarder ailleurs quand cet émirat minuscule prodigue son aide à des islamistes violents dont l’idéologie est la même que celle des terroristes qui avaient attaqué l’Amérique le 11 septembre 2001 ? Comment expliquer cela sinon par le fait que les Etats-Unis ont besoin d’entretenir le danger terroriste pour justifier aux yeux du monde leur rôle de gendarme agressif ? Sans parler du complexe militaro-industriel qui a des intérêts évidents dans l’amplification des dangers (supposés ou réels) auxquels fait face l’Amérique.

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