airelibre

Wednesday, November 25, 2009

Une histoire de trillions

Le journaliste américain Michael Johnson a publié le 20 novembre dernier un article dans le New York Times dans lequel il a livré les résultats de calculs laborieux pouvant nous aider à nous familiariser avec le trillion qui, signe des temps, est en train de s’imposer de plus en plus comme l’unité d’évaluation des coûts des guerres, du montant des fortunes ou du volume des dettes.
Pour ceux qui l’ignorent encore, le trillion égale 1000 milliards, c'est-à-dire 1 suivi de douze zéros. Beaucoup de commentateurs américains parlent par exemple de la guerre du trillion de dollars (One trillion-dollar war) pour désigner la guerre d’Irak qui a très probablement dépassé ce montant faramineux. Un trillion de dollar n’est pas une mince affaire. D’après les calculs fournis par Michael Johnson, si un trillionnaire en dollars (il n’y en a pas encore, mais peut-être un jour on en aura) décide de compter sa fortune à la main dollar après dollar, il aura besoin de 32000 ans. On aura besoin de beaucoup plus, 240.000 ans exactement, si l’on veut compter toutes les sommes payées sur la planète Terre pour développer et acquérir des armes nucléaires, sommes qui s’élèvent jusqu’à présent à 7,9 trillions de dollars.
Si au lieu des dollars, on compte les kilomètres, le trillion est plus impressionnant encore. Quelqu’un qui décide de concrétiser la folie de parcourir un trillion de kilomètres, il lui faut faire vingt cinq millions de fois le tour de la terre, pas un de moins.
Il n’y a pas si longtemps, on avait beaucoup moins de problèmes avec les zéros à la droite du un. Les comptes se faisaient à l’aide des cent et des mille, le million lui était le chiffre magique. Celui qui en avait était auréolé du titre admiré et envié de millionnaire. Du moins jusqu’à l’irruption du milliard qui banalisa brusquement les millionnaires. Ils sont devenus si nombreux, qu’eux-mêmes se comptent déjà en… millions. Place donc aux milliardaires dont la liste des cent premiers est publiée annuellement, après actualisation, par le magazine américain Forbes. Dans le classement de 2009, Bill Gates a repris son habituelle première place qu’il a cédée l’année dernière à l’investisseur américain Warren Buffet, et ce, en dépit d’une baisse de 18 milliards de dollars de sa fortune.
L’homme le plus riche de la planète n’a donc « que » 40 milliards de dollars. Il est encore très loin du trillion mais, au rythme où va le monde, avec une espérance de vie de plus en plus en plus allongée, des dents de plus en plus longues et un système financier global de plus en plus fou, il n’est pas impossible de voir naître un jour ici ou là les premiers trillionnaires.
Cependant, si l’on regarde du côté des personnes morales et des institutions, on constatera qu’il y a déjà quelques trillionnaires. Très rares certes, mais il y’en a. On peut parfaitement qualifier l’Etat chinois de trillionnaire, si l’on prend en compte les deux ou trois trillions de dollars qui reposent dans les sous-sols de la banque centrale chinoise, fruits de l’extraordinaire dynamisme des exportateurs chinois et de la sage gestion des fruits de la croissance.
De l’autre côté du Pacifique, il y a un autre genre de trillionnaire : le trillionnaire négatif. Parce que les Américains sont de grands gaspilleurs devant l’Eternel, parce que leur pays vit depuis des années bien au dessus de ses moyens, parce que l’Etat fédéral, en plus des guerres coûteuses qu’il mène, s’est trouvé obligé il y a quelques mois d’intervenir massivement pour sauver des centaines de banques et d’entreprises de la faillite, la dette américaine se compte désormais en trillions. Les milliards, eux, ne servent plus que dans le calcul du service de la dette.
Avec une dette qui s’élève actuellement à 12 trillions de dollars, les Etats-Unis paient 202 milliards d’intérêts par an. Avec un endettement supplémentaire de plus d’un trillion de dollars par an, la Maison blanche a calculé qu’en 2019, le service de la dette dépassera les 700 milliards de dollars, soit plus que les budgets combinés des ministères de l’Intérieur, de l’Education, de l’Energie et des guerres d’Irak et d’Afghanistan…
Il faut souhaiter que la Maison blanche ne se contente pas de faire des calculs sur le volume de sa dette et le montant des intérêts à payer, mais de se pencher surtout sur les moyens de renverser la tendance. Car quand on emprunte avec frénésie et on dépense sans compter, un jour viendra où l’on se rend compte qu’il n’est plus possible ni de rembourser ni d’emprunter encore. Et c’est la faillite.
Si les Etats-Unis veulent des propositions pour les aider à renverser la tendance et ne pas foncer tout droit vers la faillite, il y’en a en pagaille. Voici une proposition intéressante : la Maison blanche pourrait se demander sur le sens, l’utilité et l’intérêt de 700 bases militaires et 250.000 soldats à l’étranger (sans compter ceux qui guerroient en Irak et en Afghanistan), disséminés dans 135 pays. Ont-ils servi à préserver les intérêts américains dans le monde ? Difficile de répondre par l’affirmative quand on sait le nombre de revers et d’échecs accumulés entre le désastre vietnamien et la catastrophe irakienne.
Remettre en cause progressivement cette présence militaire à l’étranger inutile et coûteuse d’une part, et introduire une bonne dose de modestie et d’humilité dans la politique étrangère américaine d’autre part, voici deux bonnes recettes qui pourraient aider les Américains à arrêter l’hémorragie financière dont est victime leur pays. L’autre alternative est de continuer à accumuler les trillions de dettes. Mais c’est une alternative qui ne peut pas durer indéfiniment. La faillite est au bout du chemin. Et elle interviendra bien avant que l’Amérique n’atteigne le quadrillion de dollars de dette : 1 suivi de quinze zéros.

1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

Bravo pour l'analyse.
Les US utilisent leur engagement militaire comme un outil de relance économique. L'industrie de l'armement et le lobby des armes aux US fait vivre des centaines de milliers d'emplois. Ce sont autant d'électeurs que d'investisseurs dans les campagnes électorales de démocrates et des républicains.
Un redéploiement de ces troupes à l'étranger serait réellement problématique: baisse des crédits de l'armée, baisse des investissements, baisse des emplois, etc.
La paix ne crée pas d'emplois aux US. La guerre, si..

4:48 PM  

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