airelibre

Monday, November 30, 2009

Fuite en avant iranienne

La résolution du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, adoptée vendredi 27 novembre contre l’Iran, constitue une nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose depuis 2006 la République islamique aux pays occidentaux. Ceux-ci ont réussi cette fois à attirer dans leur camp, lors du vote de la résolution, la Russie et la Chine, ce qui représente un sérieux revers pour les Iraniens qui comptaient beaucoup sur Moscou et Pékin pour échapper aux sanctions internationales.
La résolution de l’AIEA demande à l’Iran de « suspendre immédiatement » les travaux de construction de l’usine de Fordow, près de la ville de Qom, de « fournir des informations sur les objectifs du site et son calendrier de réalisation » et de « confirmer qu'il n'a pas pris de décision quant à la construction ou l'autorisation de construction de quelque installation nucléaire que ce soit qui n'ait pas été signalée à l'AIEA ». Sans oublier bien sûr la demande principale et persistante relative à l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium.
Quarante huit heures après l’adoption de cette résolution, l’Iran a réagi d’une façon pour le moins surprenante. Non seulement les autorités de la république islamique ignorent l’injonction du Conseil des gouverneurs de l’AIEA d’arrêter les travaux engagés dans l’usine de Fordow, mais elles décident de lancer des travaux de construction de dix nouvelles usines d’enrichissement d’uranium de la taille de celle de Natanz.
Plus encore, le président Ahmadinejad a affirmé que l’Iran doit viser la production de 250 à 300 tonnes d’uranium enrichi par an, et le gouvernement iranien se penchera dès le mercredi 1er décembre sur les moyens susceptibles de permettre à l’Iran d’enrichir l’uranium à 20%.
Par cette réaction démesurée, les autorités iraniennes montrent leur excès de frustration face à ce qu’elles considèrent comme une injustice de la part de la Communauté internationale qui, dans le traitement de la chose nucléaire, a des règles strictes et obligatoires pour l’Iran, et d’autres flexibles et facultatives pour Israël. Mais ça, tout le monde le sait et n’explique pas pourquoi maintenant précisément l’Iran a choisi de durcir sa position.
Deux autres frustrations expliquent peut-être cette fuite en avant iranienne. D’abord Téhéran est convaincu que la résolution de l’AIEA est motivée plus par les considérations politiques du Conseil des gouverneurs que par les rapports techniques des inspecteurs qui, depuis des années visitent les sites nucléaires iraniens. Ensuite, le vote positif de la Russie et de la Chine, qui a enchanté Washington, a visiblement pris l’Iran par surprise. On ne sait pas trop si la Russie et la Chine ont plié devant les pressions américaines, ou si elles ont été excédées par l’incohérence et le tâtonnement de Téhéran qui, après avoir accepté le 1er octobre d’enrichir son uranium à l’étranger, a fait marche arrière.
La réponse démesurée de Téhéran face à la résolution de l’AIEA prouve que les autorités iraniennes ont fait le choix de la confrontation plutôt que celui de l’apaisement et, que, par conséquent, elles sont prêtes à assumer les conséquences de leur choix.
Sauf coup de théâtre de dernière minute, hautement improbable, le dossier sera transmis au Conseil de sécurité. Dans le cas où ni la Chine ni la Russie n’opposeraient de veto, les sanctions contre l’Iran seraient intensifiées. Mais on peut d’ores et déjà poser la question de l’efficacité de ces sanctions et de leur capacité à obtenir un changement d’attitude d’un pays comme l’Iran qui jouit d’une position géographique très confortable.
Tout d’abord, et l’expérience le démontre, les sanctions n’ont jamais affaibli le régime ciblé, mais le renforcent plutôt en provoquant une réaction nationaliste de la population qui fait front avec ses dirigeants contre « l’injustice » infligée de l’extérieur. Ensuite, et même dans les cas extrêmes où les Américains puissent imposer un blocus maritime dans le Golfe, au sud, et les Russes un blocus dans la mer caspienne, au nord, il est impossible de faire autant avec les milliers de kilomètres de frontières que l’Iran a avec l’Irak, la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Afghanistan et le Pakistan.
En conclusion, les sanctions que les Etats-Unis et leurs alliés veulent imposer à l’Iran, auront peu de chances d’être « paralysantes », comme l’a déjà promis Mme Hillary Clinton, peu de chances d’affaiblir le régime iranien, mais énormément de chances de substituer au commerce légal, un commerce illégal où fleurissent toutes sortes de trafic et d’activités de contrebande. N’importe quel pays à la place de l’Iran, empêché de respirer normalement, cherchera à s’oxygéner en recourant à d’autres voies respiratoires. C’est tout à fait normal.Mais le problème avec des sanctions inefficaces est qu’elles peuvent très bien se transformer en atout entre les mains des boutefeux aux Etats-Unis et en Israël, très frustrés eux aussi qu’une guerre n’est toujours pas engagée contre l’Iran. Celui-ci, dont la réaction démesurée prouve qu’il se soucie très peu des sanctions, semble avoir pour unique objectif d’éviter la guerre. Ses manœuvres militaires et ses menaces incendiaires contre « tout agresseur » s’inscrivent dans cette stratégie. Toutefois, les Iraniens savent que leur seule chance d’éviter la guerre réside non pas dans leurs propres moyens de dissuasion, mais dans l’engluement durable des forces américaines en Irak et en Afghanistan.

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