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Saturday, November 21, 2009

Nouvelles réalités en Asie-Pacifique

En foulant le sol de la Corée du sud, au terme de sa récente tournée asiatique d’une semaine, le président américain Barack Obama a dû pousser un soupir de soulagement. Enfin il arrive dans un pays où il n’avait aucune question embarrassante à soulever, aucun problème épineux à régler, aucun dossier délicat à traiter derrière des portes closes avec ses hôtes sud-coréens. En effet, Séoul est l’une des rares capitales au monde, pour ne pas dire la seule, avec laquelle Washington entretient depuis près de 60 ans des relations calmes et radieuses, n’ayant jamais été affectées par la moindre petite vague. Sur les deux principaux sujets qui forment la base de leur alliance, la Corée du nord et la coopération économique, les deux pays ont toujours eu des vues harmonieuses.
Pendant soixante ans, les Etats-Unis ont entretenu des relations tout aussi harmonieuses avec le Japon. Mais les choses ont brusquement changé le 30 août 2009, le jour où l’opposition libérale, dirigée par Yukio Hatoyama, balaya les conservateurs après 54ans de pouvoir quasi-ininterrompu. Avant l’arrivée du Parti démocrate du Japon au pouvoir, les responsables américains se sentaient aussi à l’aise à Séoul qu’à Tokyo. Le premier à sentir que les choses ont réellement changé, c’est Barack Obama lors de sa récente visite au Japon.
Bien qu’Obama et ses hôtes japonais aient réaffirmé avec plus ou moins de conviction que l’alliance nippo-américaine est aussi forte et aussi stratégique qu’avant, il était clair pour tout le monde qu’une page est définitivement tournée et que les deux pays s’apprêtent à entamer l’écriture d’une nouvelle page de leur histoire. Pour reprendre la jolie formule du professeur Kunihiko Miyake qui enseigne les relations internationales à l’université Ritsumeiken de Kyoto, « les deux pays sont dans le même lit, mais ils rêvent de choses différentes. »
A un moment où le pouvoir mondial est en train de glisser de l’Atlantique vers le Pacifique, le Japon ne peut plus se permettre de continuer d’obéir au doigt et à l’œil et à acquiescer avec toute la politesse japonaise et l’empressement de l’allié fidèle à tous les désirs de Washington, comme ce fut le cas pendant plus de 60 ans. L’insistance japonaise sur la révision du statut qui régit la présence des 47000 Marines US à Okinawa, et la décision annoncée par Tokyo de mettre un terme en janvier prochain à sa mission de ravitaillement dans l’océan indien de la coalition internationale qui se bat en Afghanistan, ne sont que les premiers signes annonciateurs d’un changement de nature dans la relation nippo-américaine où l’indépendance en terme de pouvoir de décision est en train de se substituer à la loyauté inconditionnelle et à l’acquiescement automatique. C’est le principal message avec lequel Obama a quitté Tokyo.
Mais c’est en Chine que Barack Obama a dû sentir plus fortement encore la réalité du grand changement stratégique qui secoue le monde avec le déplacement inexorable du centre de gravité de l’Atlantique vers le Pacifique.
Richard Nixon était le premier président américain à aller en Chine en visite officielle du 21 au 28 février 1972 (Obama n’avait alors que 11 ans). Et bien qu’il eût qualifié les huit jours qu’il avait passés dans la Chine de Mao de « semaine qui a changé le monde », les Etats-Unis n’avaient réellement changé d’attitude que sept ans plus tard en établissant en 1979 des relations diplomatiques avec Pékin après les avoir rompues avec Taïwan.
Obama est arrivé il y a quelques jours en Chine, et il a dû se rendre compte que sa mission est autrement plus difficile que celle de son prédécesseur il y a trente sept ans. Il est arrivé dans un pays transformé en un temps record en une véritable puissance économique et politique de la région Asie-Pacifique.
La Chine qui ployait sous une pauvreté endémique il y a trente ans, possède aujourd’hui près de 3 trillions de dollars de réserves en devises, le 1/10e du « PNB » mondial. Cela dénote le dynamisme époustouflant des industries exportatrices de ce pays qui est devenu le principal argentier du monde et le plus grand créancier des Etats-Unis qui poursuivent leurs guerres coûteuses grâce, entre autres, à l’achat massif par Pékin de bons de trésor américains.
Obama est arrivé en Chine avec un bon nombre de dossiers épineux pour la résolution desquels Washington désire ardemment une attitude conciliante de la part des dirigeants chinois : la réévaluation de la monnaie chinoise, la stabilisation du système financier international, l’aide de Pékin pour le Pakistan dans sa lutte contre le terrorisme taliban, l’aide de Pékin sur les dossiers nucléaires nord-coréen et iranien, sans parler du climat ou des déficits commerciaux vertigineux engendrés par le dynamisme débordant des exportateurs chinois.
A la lumière de tous ces dossiers plus épineux les uns que les autres, on voit bien que les Etats-Unis ont bien plus besoin de la Chine qu’elle n’a besoin d’eux. On comprend aussi les raisons du profil bas et des précautions extrêmes prises par Obama en Chine pour ne pas froisser ses hôtes. Pratiquement aucun sujet « délicat » n’a été évoqué publiquement par le président américain. Ni Tibet, ni Dalai Lama, ni Taiwan, ni Ouigours, ni droits de l’homme, sujets que Washington avait l’habitude d’aligner immanquablement sur la table chaque fois que des responsables américains et chinois se rencontrent.
Mais en dépit du profil bas et des précautions, la moisson d’Obama en Chine a été un peu maigre. Le principal message avec lequel il est rentré de Pékin, pour reprendre la formule de Willy Lam, professeur d’histoire à l’université chinoise de Hong Kong, est que « le dragon chinois ne s’est pas seulement réveillé, mais il crache du feu ».

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