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Wednesday, November 11, 2009

A quoi bon négocier avec un rouleau compresseur?

On ne sait pas trop si, en décidant de ne pas briguer un nouveau mandat, le président palestinien, Mahmoud Abbas, visait à faire pression sur les Américains et les Israéliens avec le peu de moyens à sa disposition, ou s’il est réellement fatigué et a perdu tout espoir en la vertu du dialogue pour l’édification d’un Etat palestinien.
Il faut dire que l’homme a toutes les raisons de se sentir fatigué, découragé, désespéré et trahi. Au regard du nombre incalculable des échecs, des déconvenues, des engagements non tenus par les Israéliens, mais aussi par les Américains depuis le 13 septembre 1993, date de la signature des accords d’Oslo, ce qui étonne ce n’est pas que Mahmoud Abbas décide d’abandonner, mais qu’il le décide si tardivement.
Etant l’un des principaux architectes des accords d’Oslo, il est le mieux placé actuellement pour mesurer le fossé vertigineux entre ce qui fut signé par les parties palestinienne et israélienne alors, et la réalité sur le terrain aujourd’hui. Etant l’un des principaux négociateurs depuis près de deux décennies avec divers gouvernements israéliens, il connaît plus que tout autre la profondeur de la mauvaise foi des politiciens israéliens et la constance du soutien inconditionnel qui leur est prodigué par les administrations américaines successives.
Pour qu’un homme continue de négocier avec ses spoliateurs alors que ceux-ci, tout en lui donnant l’impression de négocier, continuent de le spolier d’année en année, il doit être animé d’une volonté d’acier de récupérer son bien. Jusqu’au jour où il se rend compte qu’il ne pourra ni récupérer ce qui lui a été pris par la force, ni garder le peu qui lui reste.
Mahmoud Abbas se trouve aujourd’hui dans l’impossible position où il ne peut ni récupérer les terres spoliées de ses ancêtres, ni défendre le peu de terres qui restent contre le rouleau compresseur de la colonisation. Et c’est parce qu’il est pleinement conscient de la situation intenable dans laquelle il se trouve qu’il a cette fois tenu bon de ne pas reprendre les négociations, arrêtées depuis 2008, avant le gel de la construction dans les colonies.
L’incroyable « sortie » de Mme Hillary Clinton assurant que les Israéliens ont fait « des concessions sans précédent sur la question des colonies », alors que tout le monde sait qu’ils n’ont jamais été aussi déterminés à ne pas faire la moindre concession, a irrité encore plus Mahmoud Abbas et a probablement accru sa détermination à rendre publique son intention de jeter l’éponge.
Dimanche dernier, des centaines de Palestiniens sont descendus dans la rue pour demander à Mahmoud Abbas de ne pas les abandonner et l’exhorter à se représenter encore à la prochaine élection. Mais à supposer qu’il réponde positivement à la demande des manifestants, qu’il se représente et qu’il réussisse encore une fois à se faire élire. Il fera quoi de son nouveau mandat ? Négocier encore et encore avec un rouleau compresseur ? A quoi ça sert sinon à se tromper soi-même et à contribuer à leurrer le monde en lui faisant croire que le rouleau compresseur négocie alors que ses ravages sur le terrain n’ont jamais cessé depuis 42 ans ?
Cela fait cinq ans jour pour jour que le leader Yasser Arafat a disparu, laissant derrière lui un peuple désorienté, une classe politique divisée et un processus de paix dans l’impasse. Quelques mois après lui, son ennemi irréductible Ariel Sharon sombre dans le coma (il y est toujours). Mais la disparition de ces deux principaux protagonistes du conflit israélo-arabe cordialement détestés l’un par le peuple israélien et l’autre par le peuple palestinien, loin de débloquer le processus de paix, a encore compliqué la donne.
Ce que l’on constate est que quand les deux principaux responsables israélien et palestinien sont irréductiblement ennemis, comme c’est le cas pour Yasser Arafat et Ariel Sharon, le processus de paix avait du plomb dans l’aile. Et quand les deux principaux responsables sont cordialement amis, comme c’est le cas pour Mahmoud Abbas et Ehud Olmert, (celui-ci invitant assez souvent celui-là chez lui pour parler de paix autour d’un dîner), le processus n’a pas décollé non plus.
Il y a trente cinq ans jour pour jour, Yasser Arafat s’adressait à l’Assemblée générale de l’ONU en ces termes : « Pourquoi ne pourrais-je pas rêver ? Pourquoi ne pourrais-je pas espérer ? La révolution ne traduit-elle pas dans les faits les rêves et les espoirs ? Alors agissons ensemble pour que mon rêve devienne réalité, pour que je puisse revenir d’exil avec mon peuple et vivre là bas en Palestine…dans un unique Etat démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivraient dans la justice, la fraternité et le progrès. » C’était le 13 novembre 1974.
Il y a cinq ans jour pour jour, Yasser Arafat mourrait, emportant avec lui dans sa tombe ses rêves et ses espoirs. C’était le 11 novembre 2004. L’Autorité palestinienne qu’il a présidée de 1996 jusqu’à sa mort n’a rien pu faire face à la détermination du rouleau compresseur israélien. Lui succédant à la présidence, Mahmoud Abbas n’a pas eu plus de succès, bien que les portes de la Maison blanche lui fussent grandes ouvertes du temps de Bush comme au temps d’Obama.
Les Palestiniens parlent maintenant de plus en plus d’autodissolution de l’Autorité palestinienne et d’abandon des négociations. Jusqu’à ce jour, celles-ci n’ont été rien d’autre que la feuille de vigne derrière laquelle Israël cache au monde la réalité hideuse d’un apartheid qui n’a rien à envier à celui des Boers sud-africains.
En parlant de l’éventualité de l’autodissolution de l’Autorité palestinienne, Saeb Erekat, Nabil Abou Rdeina et leurs amis ne peuvent pas ne pas avoir en tête le discours d’Arafat devant l’Assemblée générale de l’ONU, et en particulier le passage relatif à l’ « unique Etat démocratique ». Si la révolution et la lutte armée ne sont plus d’actualité, si le rouleau compresseur de la colonisation travaille jour et nuit et si les grandes puissances continuent de regarder ailleurs, que reste-t-il à faire sinon à s’inspirer de l’exemple sud-africain et se préparer à la résistance civile pour l’égalité des droits dans le cadre de l’ « unique Etat démocratique » ?

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