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Monday, November 16, 2009

Le dangereux marché du mercenariat

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique et l’émergence des Etats-Unis comme l’unique superpuissance du monde, deux tendances contradictoires n’ont cessé de se développer avec d’importantes conséquences pour la politique de défense américaine : une réduction croissante du nombre des soldats de l’US Army d’une part, et une extension des zones de guerre et d’intervention américaine d’autre part. Le nombre des soldats américains s’élevait à 2,1 millions en 1990 ; il n’est plus que de 1,4 million aujourd’hui. Ce qui n’a pas empêché les Etats-Unis de s’engager dans deux grandes guerres à 10.000 kilomètres de leur territoire et dont l’une, en Irak, mobilise 130.000 soldats, et l’autre, en Afghanistan, mobilise 60.000 (sans compter ceux qui guerroient sous la bannière de l’Otan). Ce chiffre pourrait bientôt s’élever à 100.000 si le président Obama approuvait la demande du général McChrystal.
Ce double mouvement de rétrécissement de la taille de l’armée et d’extension des zones d’intervention a forcé le Pentagone à recourir aux entreprises militaires privées pour les charger des tâches qui relevaient auparavant de la responsabilité de l’armée américaine. Parler d’entreprises militaires n’est pas très approprié. Il serait plus juste d’utiliser les termes entreprises de mercenariat pour désigner ces multinationales de la sécurité qui s’appellent Blackwater, Dyncorp, Triple Canopy, Kellog Brown & Root (filiale de Halliburton que présidait Dick Cheney de 1995 à 2000), Kroll, Control Risk, Olive Security, Wackenhut etc…
Le recours aux mercenaires qui se voient confier des responsabilités qui étaient assumées avant par une armée disciplinée, structurée et obéissant à un commandement militaire lui-même obéissant à un commandement civil, a forcément des conséquences graves sur la politique étrangère et de défense des Etats-Unis et des répercussions néfastes sur leur réputation et leur image dans le monde. Concrètement, ce recours aux mercenaires se traduit par des brèches dans le monopole étatique de l’usage légitime de la violence, comme disent les constitutionnalistes. On n’exagère nullement en disant que l’on assiste à une privatisation rampante de la politique étrangère américaine dans les zones de conflit, dans la mesure où des milliers de mercenaires qui servent en Irak et en Afghanistan ne reçoivent leurs ordres ni de la Maison blanche ni du Pentagone, mais du siège de Blackwater en Caroline du nord.
La plus tristement célèbre de ces entreprises de mercenariat et la plus puissante entre elles est Blackwater. Ses rentrées d’argent se chiffrent en milliards de dollars et elle emploie des dizaines de milliers de mercenaires, principalement en Irak et en Afghanistan. Anciens soldats chiliens du régime de Pinochet, anciens défenseurs de l’apartheid sud africain, Américains désoeuvrés à la recherche d’aventures et de gain rapide, les employés de Blackwater se distinguent essentiellement par un excès de muscles et un déficit de matière grise, si l’on en juge par les bavures innombrables commises en Irak et en Afghanistan.
Le 16 septembre 2007 restera une journée noire dans les annales de Blackwater. 17 Irakiens ont été massacrés et 20 autres blessés parce qu’ils ont eu le malheur de croiser sur leurs chemins les mercenaires de Blackwater. Ceux-ci, escortant des fonctionnaires du département d’Etat à Bagdad, avaient semé la terreur parmi les automobilistes irakiens. Ils tiraient aveuglément sur tous ceux qui n’arrivaient pas à se dégager à temps de la route empruntée par le cortège des diplomates américains. Pour ceux qui sont familiers avec la circulation infernale du centre de Bagdad, la tentative de dégager à coups de mitraillettes une artère bouchée par les embouteillages montre le vide vertigineux, intellectuel et moral, de ces mercenaires à qui le Pentagone a confié la défense des intérêts américains.
Plus de deux ans après, ce massacre continue de faire des vagues. La semaine dernière, le New York Times a révélé que les dirigeants de Blackwater avaient déboursé un million de dollars pour corrompre de hauts responsables irakiens et les inciter à la fois à enterrer l’affaire et à annuler la décision des autorités de Bagdad d’expulser du pays l’entreprise de mercenariat et ses employés sans scrupules.
Plus de deux ans après, Blackwater est toujours massivement présente en Irak et aucune suite judicaire n’a été donnée à l’affaire devant les tribunaux irakiens. Preuve que Blackwater n’a pas seulement des « talents » en matière de protection des diplomates ou d’interrogatoire et de torture des prisonniers, mais elle est tout aussi capable de corrompre ceux qui sont en mesure de remettre en cause sa présence dans le pays ou de poursuivre ses employés coupables de crimes.
Dans cet immense marché du mercenariat, Blackwater n’est pas l’unique entreprise à protéger des employés qui souffrent de graves déficits intellectuels et moraux. Pendant la guerre des Balkans des années 1990, plusieurs mercenaires de DynCorp ont été épinglés dans « des affaires de racket et de trafic d’adolescentes ». La personne intègre qui a dénoncé ces malversations a été virée et les coupables protégés de toute poursuite par un rapatriement rapide.
La question qui se pose est comment le pays qui se veut le modèle à suivre dans le monde peut-il se permettre de salir sa réputation en recourant à des entreprises de sécurité du genre Blackwater et DynCorp ? Comment peut-il confier des missions d’une importance vitale pour les intérêts et la réputation des Etats-Unis à des mercenaires qui ne sont soumis à aucune règle juridique et à aucun précepte moral ? La moindre des précautions que la puissance américaine aurait dû prendre avant d’aller s’approvisionner dans le marché du mercenariat est de fixer des règles et d’édicter des lois qui clarifient les droits et délimitent les responsabilités des mercenaires qui travaillent à proximité des champs de bataille. C’est parce qu’une telle précaution n’a pas été prise que les tueurs de la place Nisour à Bagadad et les coupables de « racket et de trafic d’adolescentes » au Kosovo continuent de vivre paisiblement après avoir commis leurs crimes.

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