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Saturday, March 21, 2009

Le calvaire non stop des Irakiens

Les peuples et les personnes ont au moins un point commun. Chez les uns et les autres, il y’en a qui sont nés sous une bonne étoile, et il y’en a qui sont nés sous une mauvaise étoile. Le peuple irakien appartient incontestablement à la seconde catégorie. On n’a même pas besoin de remonter aux tempêtes politiques qui ont ensanglanté l’Irak dans les années 50 et 60 du siècle dernier pour s’en convaincre. Le calvaire biblique de ce peuple a commencé le 22 septembre 1980, le jour où la guerre Iran-Irak s’est allumée, consumant pendant huit ans les forces vives et les richesses des deux pays dans une confrontation absurde. Les deux pays assument une large responsabilité en jouant le jeu du machiavélisme occidental. Les Etats-Unis, excités de voir leur ennemi du moment (l’Iran) et leur futur ennemi (l’Irak) s’autodétruire, n’ont pas hésité à armer ouvertement l’Irak et secrètement l’Iran pour les aider à s’affaiblir mutuellement et servir ainsi les intérêts stratégiques de plusieurs capitales occidentales, et d’Israël bien sûr.
Deux ans après la fin de ce premier calvaire, et alors que les Irakiens vivaient encore dans leur chair les effets terrifiants de la guerre Iran-Irak, ce peuple malheureux fut entraîné dans une aventure qui s’avèrera plus ravageuse que la précédente : l’invasion du Koweït le 1er août 1990. L’arrogance et l’incompétence du régime de Saddam, il faut bien le dire, ont alors facilité la tâche de Bush père qui n’a pas trouvé de difficultés particulières pour rassembler une coalition internationale qui a attaqué l’Irak dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991 dans le cadre de ce qu’on appelait « Tempête du désert ». Rappelons que cette coalition, au lieu d’aller directement au Koweït pour expulser les forces d’invasion de Saddam Hussein, s’est attaqué à Bagdad en premier lieu, où des centaines de milliers de tonnes de bombes ont été déversés sur les ponts, les routes, les canalisations, les centrales électriques, les facilités pétrolières et autres infrastructures vitales pour le peuple irakien.
L’après « Tempête du désert » s’avèrera plus terrifiant encore. Les Etats-Unis, non contents d’avoir détruit les capacités économiques et militaires de l’Irak, on tenu à soumettre ce pays à la pire des sanctions dans les annales des Nations Unies. Sous le prétexte fallacieux d’empêcher Saddam de reconstruire ses forces, on a privé les enfants des produits fondamentaux et des médicaments nécessaires à leur croissance normale. On a privé même les écoliers des crayons, car ils contiennent la mine dangereuse qui aurait permis à Saddam de se réarmer…
Ces sanctions n’ont pas provoqué seulement l’appauvrissement brutal de tout un peuple, ils ont engendré la mort de centaines de milliers d’enfants, victimes de malnutrition et de maladies. Ils étaient un demi million à mourir ainsi entre 1991 et 1996, quand Mme Madeleine Albright était la Secrétaire d’Etat de Bill Clinton. L’unique souvenir que cette ancienne ministre a laissé dans la mémoire des Irakiens et des Arabes en général, c’est sa réponse abominable à la question d’un journaliste qui lui demandait si ça valait la peine de sacrifier un demi million d’enfants irakiens pour le maintien de ces sanctions ? « Oui, cela vaut la peine », a répondu cette dame qui sortait de ses gonds et perdait ses nerfs chaque fois qu’un ou deux Israéliens mourraient dans un attentat perpétré par des Palestiniens.
Les sanctions renouvelées régulièrement par un Conseil de sécurité sans réelle indépendance, ne tomberont d’elles-mêmes que le jour où Bush fils envoya ses troupes déchiqueter gratuitement l’Irak le 19 mars 2003. Inutile de revenir ici sur la tragi-comédie des armes de destruction massive, ni les grotesques tentatives de manipulation de l’opinion internationale, ni encore sur les prestations ridicules du secrétaire d’Etat Colin Powell le 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité et son histoire à dormir debout des laboratoires mobiles qui sillonnaient les rues de Bagdad. Tout cela était relaté, analysé et commenté à plusieurs reprises dans ces mêmes colonnes.
Le peuple irakien est donc passé du calvaire de 13 ans de sanctions économiques impitoyables à un calvaire autrement plus terrifiant, celui qu’a engendré la guerre de Bush fils. Celle-ci a détruit le régime baathiste, a brisé le peu d’infrastructures encore fonctionnelles après 13 ans de sanctions et libéré les démons des conflits ethniques. Résultat : quatre ou cinq millions de réfugiés et de déplacés, plusieurs centaines de milliers de morts, une économie aux abois, un tissu social déchiré et, six ans après l’invasion du pays, un avenir toujours incertain.
Le plus terrible est que cette série de calvaires non stop vécus par le peuple irakien du 22 septembre 1980 jusqu’à ce jour a été causée par des guerres plus absurdes les unes que les autres et qui n’ont engendré finalement que des perdants au premier rang desquels l’Irak bien sûr, mais aussi l’Iran, les Etats-Unis et plusieurs autres pays de la région dont les économies et la sécurité ont été affectées à des degrés divers.
Six ans après l’invasion qui a fini par briser gratuitement l’échine de l’Irak, les envahisseurs cherchent le moyen de quitter le pays. Le président Obama a décidé d’un calendrier de retrait progressif qui verra le dernier soldat US quitter l’Irak le 31 décembre 2011. Le retrait des envahisseurs est toujours une bonne nouvelle. Mais sont-ils conscients du gâchis qu’ils laisseront derrière eux ?
D’habitude avare de déclarations, le CICR a parlé le 19 mars, jour du sixième anniversaire de l’invasion, de « climat humanitaire stagnant ». En d’autres termes, aucun progrès sur le plan humanitaire n’a été réalisé. Le président du CICR Jakob Kellenberger a affirmé de son côté que « beaucoup d’efforts sont encore nécessaires pour que les besoins de base des Irakiens soient assurés ». Six ans après l’invasion donc, les « besoins de base » des Irakiens sont toujours loin d’être assurés. Quant à la reconstruction de l’Irak, elle est devenue un slogan creux qui sert à meubler les discours démagogiques. Après près de trente ans de calvaires incessants, le peuple irakien ne voit toujours pas le bout du tunnel.

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