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Monday, March 16, 2009

Victoire à la Pyrrhus du Lobby

Dans la dernière « Chronique », intitulée « On n’est pas sorti de l’auberge », il a été question d’un nouveau coup réussi par le Lobby israélien aux Etats-Unis sans que l’administration Obama ne lève le petit doigt ou n’émette la moindre critique sur cette interminable immixtion des défenseurs des intérêts d’un pays étranger dans le processus de prise de décision à Washington.
Beaucoup aux Etats-Unis et à travers le monde n’ont pas caché leur déception face à la notable passivité de la nouvelle administration américaine et à sa visible réticence à prendre ne serait-ce qu’un semblant d’indépendance vis-à-vis de ce puissant groupe de pression qui continue, contre tout bon sens, à confondre les intérêts israéliens et les intérêts américains, et même à placer ceux-là au dessus de ceux-ci.
Certains expliquent la passivité de l’administration Obama par l’influence exercée par le secrétaire général de la Maison blanche, Rahm Emmanuel, un Israélo-Américain qui avait servi au début des années 1990 dans l’armée israélienne et qui continue à porter Israël et les intérêts d’Israël dans son cœur. Sans doute le fait que Rahm Emmanuel occupe un poste si stratégique remplit-il d’aise Israël et le Lobby, mais n’explique pas à lui seul cette passivité.
La nouvelle administration ne commence son mandat dans un terrain vierge. Les mécanismes de prise de décision à Washington sont étroitement surveillés et fortement dominés par les réseaux de contrôle mis en place depuis des décennies par le Lobby. Ces réseaux de contrôle sont d’une efficacité telle que pas une décision en relation avec le conflit du Moyen-Orient ne pourra être prise aujourd’hui à Washington si le Lobby s’y oppose. Aucun sujet ne pourra être débattu par les grands médias du pays si l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) et l’ADL (Anti-Defamation League) le considèrent comme « dangereux pour l’amitié israélo-américaine ».
Le premier coup frappé par le Lobby après l’installation de la nouvelle administration est d’avoir empêché la nomination à la tête du Conseil National du renseignement de Charles Freeman, coupable d’avoir critiqué la politique de colonisation et de répression qu’Israël a mené et mène toujours contre les Palestiniens. En apparence, le poste auquel était destiné Charles Freeman n’est pas particulièrement important et ne nécessite le feu vert ni du sénat ni de la Chambre des représentants. Si par exemple le Lobby ne s’était pas opposé à la nomination de Charles Freeman, celui-ci aurait déjà commencé son travail et très peu de monde, y compris aux Etats-Unis, auraient entendu parler de lui.
Alors pourquoi le Lobby prend-il le risque d’une publicité négative si le poste que devait occuper Charles Freeman n’est pas de la plus haute importance ? Le comportement du Lobby dans le cas d’espèce s’explique par trois considérations au moins.
D’abord, le Conseil National de Renseignement (CNR) est l’organisme qui prépare le rapport quotidien d’informations ultrasecrètes à l’intention du président Obama. Et à ce titre, le Lobby ne désire pas que le président des Etats-Unis soit briefé tous les jours que Dieu fait par quelqu’un qui non seulement ne se soucie pas d’être en odeur de sainteté dans les cercles pro-israéliens de Washington, mais, plus grave encore, pense sérieusement que les intérêts des Etats-Unis et d’Israël ne coïncident pas.
Ensuite, le CNR est l’organisme qui prépare le rapport annuel au nom des 16 agences de renseignements américaines, mieux connu sous le nom de National Intelligence Estimate (NIE). Or, devait penser le Lobby, si le NIE de l’année dernière avait ébranlé le projet agressif des Israéliens contre l’Iran en estimant que ce pays avait arrêté son programme nucléaire depuis 2003, comment seront alors les prochains rapports qu’aura à rédiger Charles Freeman ?
Enfin, le Lobby, qui n’a pas perdu tout espoir de provoquer une guerre contre l’Iran, désire la nomination à la tête de CNR de quelqu’un qui soit anti-arabe et anti-iranien, et qui approuve sans trop se poser de questions tout ce que planifie Israël vis-à-vis des Palestiniens, du Liban ou de l’Iran. Ce n’est pas le cas de Charles Freeman, d’où la mobilisation du Lobby pour lui barrer la route.
Beaucoup de commentateurs aux Etats-Unis pensent que le Lobby a eu cette fois une « victoire à la Pyrrhus », c'est-à-dire une victoire dont le coût est si élevé qu’elle finira par prendre la forme d’une défaite. Certes, Charles Freeman a jeté l’éponge à force de harcèlement, mais il a gagné la sympathie de larges secteurs du monde du renseignement et de nombreux diplomates qui lui ont exprimé leur soutien tout en faisant part de leur agacement face à l’activisme débridé du Lobby.
Dans les milieux de la presse, pour la première fois le Main Stream Media discute clairement de l’influence du Lobby. Même si le Washington Post s’était rangé dans un éditorial non signé du côté du Lobby et s’en était pris à Charles Freeman, Des éditoriaux signés dans le même journal par David Broder et David Ignatius, notamment, ont exprimé plutôt leur sympathie pour Charles Freeman. Il en est de même de Fareed Zakaria, le directeur de l’hebdomadaire ‘Newsweek’. Sur la côte ouest, le Los Angeles Times a défendu Charles Freeman.
On est donc loin de 2006, quand tout ce beau monde avait boycotté le travail de John Mearsheimer et de Stephen Walt sur l’influence néfaste du Lobby sur la politique étrangère américaine. En se faisant prendre en flagrant délit d’immixtion dans la nomination d’un haut fonctionnaire américain, le Lobby est sorti de l’ombre dans lequel il évoluait comme un poisson dans l’eau. Steve Rosen, l’un des hommes-clés du Lobby, en attente de jugement pour espionnage en faveur d’Israël, a dit que « le Lobby est une fleur qui s’épanouit dans l’obscurité et qui meurt au soleil. » Il ne doit pas s’inquiéter seulement pour le procès qui l’attend, mais aussi pour son Lobby qui commence à sortir de l’obscurité qui l’a protégé pendant si longtemps.

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