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Tuesday, November 11, 2008

Rencontre avec une famille noire à Detroit: la dignité retrouvée des Johnson

Detroit (Michigan)- C'est l'explorateur français Antoine Laumet de la Mothe de Cadillac qui fonda en 1701 la ville de Detroit qui sera la capitale de l'automobile aux Etats-Unis. C'est lui qui donna ce nom à connotation française à la ville. Il faut dire qu'il ne s'était pas trop torturé les méninges pour trouver un nom original. En explorateur, il avait remarqué un petit détroit qui relie le lac Huron au lac Erié à proximité de la frontière canadienne et c'est ainsi qu'il avait appelé la future ville, Détroit. Beaucoup plus tard, les ingénieurs de General Motors, qui cherchaient au milieu du XXeme siècle un nom à leur voiture de luxe, ne s'étaient pas trop fatigués non plus et avaient donné à leur "bijou motorisé" le nom aristocratique de "Cadillac", en hommage au fondateur français de la ville.
Detroit est pratiquement l'unique ville aux Etats-Unis de laquelle il est possible de voir des Canadiens à bicyclette ou en plein exercice de jogging sur l'autre côté du lac. Il est courant que de jeunes américains aillent passer leur week-end au Canada. Il suffit de traverser le petit détroit qui relie les deux lacs Huron et Erié. Il y a même eu des Américains qui avaient traversé ce détroit pour aller demander l'asile politique au Canada "plutôt que d'aller se faire tuer dans les guerres stupides et désastreuses de George Bush", explique Kenneth Johnson, un Afro-Américain à la carrure d'athlète et à la bonne humeur débordante.
Fuyant la pauvreté et la discrimination, les parents de Kenneth avaient émigré dans les années 1950 du Mississipi vers Detroit, alors en plein essor économique grâce à une industrie automobile florissante. Le petit Kenneth n'avait que cinq ans quand de terribles émeutes éclatèrent dans la plus grande ville du Michigan le 23 juillet 1967, laissant derrière elles 43 morts, des centaines de blessés et 2000 bâtiments détruits. Six ans plus tard, Detroit élit son premier maire noire, Coleman Young. Cet événement était rendu possible par le départ massif des Blancs vers les banlieues après les émeutes et, du coup, les Noirs étaient devenus majoritaires à Detroit.
"Les émeutes et l'élection du premier maire noir de la ville étaient les deux événements qui avaient marqué mon enfance l'un négativement, l'autre positivement", affirme Kenneth Johnson.
C'est pour un oui ou pour un non que Kenneth Johnson éclate d'un rire sonore qui fait retourner les passants et leur arrache le sourire. La bonne humeur de Johnson est devenue "permanente" depuis l'élection de Barack Obama au poste "le plus convoité aux Etats-Unis et le plus envié dans le monde", selon ses propres termes.
Kenneth Johnson et sa femme Kathy s'étaient réveillés de très bonne heure le mardi 4 novembre pour "voter parmi les premiers". Ils étaient devant le bureau de vote à 5H30 du matin, une heure et demi avant son ouverture. "Malgré cela, nous avons trouvé du monde devant nous, et pas seulement des Noirs", explique Kathy, une Afro-Américaine de 40 ans qui passe son temps entre son travail de cheffe de rayon au Macy's (une chaîne commerciale célèbre aux Etats-Unis) et l'éducation de ses trois enfants.
La famille Johnson vit un "intense bonheur inconnu jusqu'ici", en dépit du fait que Kenneth, le chef de famille, technicien dans une chaîne de montage à Chrysler, est au chômage depuis quelques semaines, "victime à 45 ans de la terrible crise qui frappe le secteur automobile".
Le bonheur de la famille Johnson s'explique par "trois niveaux de satisfaction": "D'abord, en nous levant tôt, nous avons été parmi les premiers à contribuer à l'élection de Barack Obama; ensuite nous nous sentons beaucoup plus sécurisés et beaucoup plus dignes avec un président noir à la Maison blanche"; enfin on ressent un soulagement physique et moral immense dans la mesure où l'élection d'Obama constitue pour tous les Noirs américains, qu'ils le reconnaissent ou pas, une sorte de revanche sur un passé honteux. Honteux pas seulement pour les Noirs victimes de la ségrégation raciale, mais aussi et surtout pour les Blancs qui, pendant si longtemps avaient institué cette ségrégation en système de gouvernement", explique Kenneth Johnson avec une fierté évidente.
Ce que vivent aujourd'hui les Noirs aux Etats-Unis, Kathy ne l'a pas imaginé dans ses "rêves les plus fous". Il est vrai que le chemin parcouru en un demi siècle est époustouflant. " J'éprouve encore de temps en temps le besoin de me pincer pour me convaincre que je ne suis pas en train de rêver", affirme Kathy avec une mine rêveuse. Son beau frère Saul Johnson rappelle l'une des histoires terrifiantes vécues par les Noirs au milieu du siècle dernier. "Il y a un demi siècle en Caroline du nord, en 1958, une petite fille blanche embrassa innocemment sur la joue le petit Hanover, un garçon noir de neuf ans. La police arrêta Hanover et, malgré son jeune âge, lui colla l'accusation de 'tentative de viol et d'attentat à la pudeur', et le traîna devant un tribunal où un jury raciste condamna l'enfant à douze ans de prison. Après que la presse eût parlé de l'affaire et souligné le ridicule de la chose, Hanover était relâché. Aujourd'hui, un Noir qui a moins de dix ans que Hanover est élu président des Etats-Unis, n'est-ce pas fabuleux?"
"Mieux encore", enchaîne Kenneth, "vous vous rappelez ce qu'avait dit en 1991 Bill Clinton à son rival à la candidature du parti démocrate, le gouverneur de New York, Michael Cuomo? Que l'Amérique n'était pas prête à élire un président dont le nom se terminait par un 'O' ou par un 'I'. Aujourd'hui l'Amérique a non seulement élu un président dont le nom est beaucoup plus étrange que Michael Cuomo, mais en plus, il est noir". Kenneth était parti ensuite d'un rire si sonore et si communicatif que toute l'assistance en riait aux larmes.
La famille Johnson est maintenant fière de faire partie de "la grande famille américaine". Saul, le frère de Kenneth est un intellectuel qui a fait des études universitaires et occupe aujourd'hui un poste important dans l'administration de l'Etat du Michigan, à Lansing la capitale. Ce que Saul admire le plus, "c'est la capacité incroyable des Etats-Unis d'écorner les tabous. Sans doute faudrait-il du temps, mais ce pays a prouvé à maintes reprises qu'il finirait tôt ou tard par venir à bout des tabous les plus ancrés dans son psyché."
Kenneth approuve, amis ajoute une importante nuance:" Il faut du temps, mais il faut aussi et surtout les conditions adéquates. Imaginons un instant que Bush était un bon président et que, aux lieu de toutes ses bêtises, il a fait de bonnes choses pour le pays et pour les citoyens comme l'avaient fait par exemple Roosevelt et Eisenhower, Barack Obama n'aurait jamais été élu président."
Kathy s'empresse de verser de l'eau au moulin de son mari: "C'est tout à fait vrai. Et c'est là une superbe ironie de l'histoire: voilà une famille patricienne, les Bush, conservateurs de père en fils et méprisants à l'égard des classes défavorisées, dont le dernier rejeton, George, a préparé, grâce aux monumentales erreurs qu'il a commises pendant huit ans, le terrain à l'élection du premier président noir des Etats-Unis."
Mais Barack Obama, élu en plein marasme économique n'a pas eu la chance de Bush quand il a succédé à Bill Clinton en plein boom économique et avec des caisses pleines à craquer. Saul rappelle le commentaire mi-figue mi-raisin fait il y a quelques jours par Terence Young, le premier ambassadeur noir américain auprès des Nations Unies, dans l'émission télévisée de l'humoriste et présentateur Stephen Colbert:" Le monde est devenu si problématique et si difficile à gérer que personne ne veut plus s'en occuper. C'est pour cela qu'on a confié sa gestion aux Noirs."
Pour la nième fois, Kenneth Johnson est secoué par son rire sympathique et communicatif.

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