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Wednesday, November 05, 2008

Une journée électorale en Amérique profonde

Madison (Wisconsin)- A 230 kilomètres au nord-ouest de Chicago, on est dans un autre Etat et dans un autre environnement. Madison, bien que nettement moins grande que Milwaukee, est la capitale du Wisconsin, l’un des Etats de la région des grands lacs, baignée du nord au sud sur des centaines de kilomètres par le lac Michigan.
Madison est le prototype des petites villes calmes et tranquilles qui font la particularité de l’Amérique profonde. L’air et les chaussées sont propres et au centre ville, les cyclistes sont presque autant nombreux que les automobilistes. Quand aux bus, on peut dire qu’ils sont littéralement pris d’assaut lorsqu’ils sont aux trois quarts vides.
Justement, en ce jour de vote aux Etats-Unis, les bus, désespérément vides, ont commencé de très bonne heure à sillonner les rues de Madison moins pour transporter d’improbables voyageurs que pour rappeler aux passants qu’il faut voter aujourd’hui. En effet, le panneau lumineux qui, d’ordinaire indique la destination du bus, est devenu clignotant pour la circonstance et indique alternativement la destination et le devoir du citoyen (Vote Today – Votez aujourd’hui).
Martin Luther King Jr. a droit à un boulevard au cœur du centre administratif de la capitale du Wisconsin. Le State Capitol (parlement de l’Etat), le bureau du gouverneur, le City Hall, et les divers bâtiments municipaux ont au moins une entrée dans le boulevard Martin Luther King ou à proximité immédiate.
Tout comme à Washington, le Capitole (Congrès de l’Etat) est situé sur une colline et surplombe toute la ville, et tout comme à Washington, aucune bâtisse ne dépasse en hauteur le centre législatif de l’Etat de Wisconsin.
Johnson Street est situé à quelques centaines de mètres de la colline du Congrès. C’est là que se trouve le Madison Area Technical College, transformé en la circonstance en principal bureau de vote (Polling Center) de la ville de Madison.
Ouvert à sept heures du matin (14 heures en Tunisie), ce bureau de vote a reçu pendant douze heures les électeurs qui, compte tenu de la taille modeste de Madison, n’ont pas eu à attendre longtemps dans les files d’attente, contrairement à ceux qui ont voté dans les grandes villes où l’attente dans les files ne se compte pas en minutes mais en heures.
La disposition des bureaux de vote est partout la même. Deux personnes au minimum sont affectées au service d’ordre qui guide et renseigne les votants alignés dans la file d’attente ; deux tables en L comportant chacune trois personnes au minimum. A la première table, le votant décline son identité et s’assure qu’il est bien inscrit sur la liste électorale. A la deuxième table, on fournit « le matériel électoral », c'est-à-dire la liste des candidats. Le votant se dirige ensuite vers une machine où il vote électroniquement, mais laisse une trace de son vote sur papier « pour le cas où l’on aura besoin de recompter les votes », explique Lynn Phelps, le chef de bureau de vote (Chief Examiner).
Lynn Phelps, un retraité de 70 ans, affable et souriant, s’est excusé presque de ne pas avoir visité la Tunisie, « mais seulement le Maroc et le Kenya », avant de nous donner quelques détails sur le déroulement des élections dans le bureau dont il est le chef.
« Beaucoup de votants », explique en aparté Lynn Phelps, « qui viennent voter pour Obama ou McCain sont étonnés de se voir livrer une liste comportant neuf candidats à la présidence et neuf à la vice présidence. » En effet, si en Amérique et dans le monde, les gens ne connaissent que les deux principaux candidats et leurs deux colistiers et ne soupçonnent même pas l’existence sur terre des sept autres et de leurs colistiers, la faute revient aux médias américains qui ne parlent que des deux principaux candidats, et à la quasi-inexistence de ressources financières des sept autres.
Voici la liste totale des candidats qu’a reçue hier chaque électeur aux Etats-Unis : Barack Obama-Joe Biden (Démocrates), John McCain-Sarah Palin (Républicains), Cinthia McKinney-Rosa Clemente (Wisconsin Green Party), Bob Barr-Wayne A. Root (Libertarian Party), Brian Moore-Stewart A. Alexander (Socialist Party USA), Gloria LaRiva-Robert Moses (Party for Socialism and Liberation), Ralph Nader-Matt Gonzales (Indépendants), Chuck Baldwin-Darrel L. Castle (Constitution Party), Jeffrey J. Wamboldt-David J. Klimisch (We, the People –Nous le Peuple-).
Inutile de dire que très rares sont ceux qui prennent la peine de lire toute la liste des candidats. Comme on le voit, théoriquement, les Etats-Unis sont un pays multipartisan, mais dans les faits, c’est un pays bipartisan avec une domination absolue des partis républicain et démocrate de la vie politique américaine.
Becky Fichtner, employée administrative à Madison, ne cache pas sa préférence: « Pour qui je vais voter ? Pour McCain, bien sûr. Parce qu’il est plus expérimentée et parce que, si c’est lui qui dirige, je me sentirai plus rassurée et plus en sécurité. » Cassie Thiel, étudiante en biologie, elle aussi votera pour McCain. « Nous sommes une famille républicaine, de tradition conservatrice. Nous avons voté toujours pour les candidats républicains. Nous ne ferons pas exception cette fois ». La décision de voter pour tel candidat se prend en famille ? « Oui au sein de la famille, mais pas au niveau de la grande famille. Mes deux oncles maternels votent eux pour Obama, mais cela n’affecte en rien notre relation. »
Brigitte Daly travaille dans le commerce et a déjà voté pour Obama. Les raisons ? « Il est plus convaincant et plus crédible quand il parle de changement. Et dans ce pays, le changement, on en a bien besoin. » John Colbert, un jeune à peine sorti de l’adolescence, a voté lui aussi pour Obama à peu près pour les mêmes raisons que Brigitte.
Dans ce bureau de vote, et dans d’autres que nous avons visités dans la région de Madison, il est pratiquement impossible de voir dégagée une tendance en faveur de l’un ou l’autre candidat. Les petits sondages de sortie des urnes que nous avons pu effectuer donnent des résultats très serrés, ce qui ajoute à l’incertitude de l’issue de cette élection historique.
En prenant la peine d’observer pendant de longues minutes les électeurs de cette Amérique profonde alignés dans des files d’attente et attendant leur tour pour donner leur précieuse voix, on ne peut réprimer un sentiment de malaise qui accentue l’impression d’étrangeté que dégage l’ordre du monde. Ce sont ces personnes d’une fragilité saisissante, les unes à peine sorties de l’adolescence, les autres en pleine activité ou ayant leur avenir derrière elles, ce sont ces personnes avec leur limites, leur ignorance de ce qui se passe dans le monde et leur incapacité à saisir les grands enjeux de ce début de millénaire tumultueux qui décident non seulement de la politique qui doit être suivie aux Etats-Unis, mais aussi de la politique qui, de toute évidence, affectera la vie de milliards d’hommes et de femmes dans les quatre coins du monde. Les votes de Becky Fichtner et Cassie Thiel ou ceux de Brigitte Daly et John Colbert affecteront d’une manière ou d’une autre des pays dont ils n’ont jamais entendu parler et dont ils ne soupçonnent même pas l’existence sur la terre.

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