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Tuesday, November 04, 2008

Jour J des élections US : L'Amérique s'apprête-t-elle à faire le saut?

Chicago (Illinois)- Les hôteliers de la grande ville du Midwest n’ont jamais vu ça. Tous les hôtels de Chicago affichent complet pour ce mardi 4 novembre. Les Américains arrivent de partout pour assister à la grande soirée électorale que tiendra ce soir à partir de 20 heures (heure de Chicago) Barack Obama à Grant Park. Situé à proximité de Michigan Avenue, la principale artère de downtown Chicago, l’endroit est un immense espace vert, baptisé en 1901 Grant Park, en l’honneur du président Ulysse Grant. Des milliers de fans du candidat démocrate sont attendus ce soir et chacun s’active à décrocher son ticket d’entrée au Park avec une passion qui n’a rien à envier à celle des finales de coupe du monde.
Est-ce à dire que les jeux sont faits, que c’est dans la poche et qu’Obama tiendra ce soir son grand meeting non plus en tant que candidat mais en tant que président élu ? Beaucoup ici, dans l’Etat de l’Illinois, dont Obama est le sénateur, en sont convaincus. D’autres, moins nombreux, gardent les pieds sur terre en estimant que rien n’est sûr à cent pour cent. Le journaliste Kevin Pang, du grand quotidien du Midwest « Chicago Tribune », estime que « le meeting de mardi soir sera soit la célébration de la plus grande victoire tapageuse de l’histoire des élections américaines, soit alors on assistera au plus grand rassemblement des inconsolables que le monde ait jamais vu. »
Quelques heures nous séparent de la vérité. Dans quelques heures on saura si la grande énergie dépensée pendant près de deux ans par Barack Obama pour s’imposer avec fracas sur la scène politique américaine et l’immense espoir suscité par sa candidature auront leur impact, forcément durable, sur l’Amérique et le monde, ou ils n’auront été qu’un rêve partagé par des centaines de millions de citoyens américains et du monde, un rêve qui n’aura duré que le temps du show rituel que met en scène l’Amérique tous les quatre ans.
En attendant d’y voir plus clair, les Américains se préparent à aller voter dans quelques heures, et leur mobilisation a étonné pratiquement tous les observateurs. Ici à Chicago, et même dans tout l’Etat de l’Illinois, acquis dans son écrasante majorité au candidat afro-américain, il est quasiment impossible de rencontrer un seul électeur ou une seule électrice indifférente.
L’Obamania se lit dans les vitrines et les devantures des magasins, des restaurants et des cafés qui affichent des photos du candidat démocrate arborant une mine sympathique et un sourire attachant ; elle se lit sur la poitrine des passants portant des badges circulaires vert pistache avec deux noms et un chiffre dessus : « Obama-Biden-2008 » ; Elle se lit même sur les chaussées et les trottoirs de Chicago où les fans d’Obama ont écrit à la craie blanche et en gros caractères « Vote for the hope, vote for Obama » (Votez pour l’espoir, votez pour Obama ». De sorte que le promeneur dans les grandes artères de Chicago, qu’il regarde les vitrines, qu’il regarde les passants ou qu’il fixe ses chaussures, il est toujours interpellé et sollicité pour donner sa voix au candidat métis.
Si l’on en juge par les quelques opérations de vote qui ont déjà eu lieu (la loi américaine permet dans certaines circonstances et sous certaines conditions des votes avant le jour J), de très longues files d’attente se formeront aujourd’hui partout en Amérique devant les bureaux de vote. Cette perspective prend les proportions d’un problème que certains journaux tentent d’aider les votants à résoudre en leur suggérant « le meilleur moment » d’aller faire son devoir de citoyen, ou de leur proposer « quelques trucs » à faire pour rendre l’attente dans la file supportable.
Cette extraordinaire mobilisation n’est pas unilatérale, elle existe aussi chez les républicains, bien qu’elle soit nettement plus massive chez les démocrates. La mobilisation de ceux-là ressemble à une tentative désespérée pour « barrer la route aux socialistes qui s’apprêtent à faire main basse sur l’Amérique ». Cette idée grotesque reste bien ancrée chez les citoyens qui se sont laissés influencer par les dérives de la campagne du couple McCain-Palin et qui, de l’avis de tous les observateurs a atteint des pics en termes d’immoralité.
Mais les plus sérieux ont une autre vue de cette mobilisation. Georges Hassler, un universitaire qui vit dans la banlieue de Chicago, voit dans cette mobilisation des citoyens « une chance pour l’Amérique pour faire une mue semblable à celle qu’elle avait faite en 1861 au moment de l’abolition de l’esclavage. L’élection d’Obama aux hautes charges de l’Etat aura un impact psychologique semblable à celui produit par la décision historique du président Abraham Lincoln. Toute la question est de savoir si aujourd’hui l’Amérique est prête à faire ce saut psychologique qui lui permettra à la fois de se débarrasser une fois pour toutes du complexe de l’homme noir qui a causé de grands malheurs dans ce pays et de retrouver sa réputation perdue dans le monde. »
Georges Hassler n’est pas le seul à penser ainsi. Le « Los Angeles Times » a reproduit hier le témoignage d’un « descendant de propriétaires d’esclaves ». Will Hairston, 47 ans, est originaire de Virginie où ses ancêtres étaient de grands propriétaires terriens et d’esclaves. Dans un entretien avec le journal californien, il a affirmé franchement que « le jour du vote, je prendrai en considération la couleur de Barack Obama. Pour moi, ajoute-t-il, le phénomène Obama est un immense pas en avant pour l’Amérique. Elire un candidat noir prouverait que nous ne sommes pas seulement une nation d’esclavage, la nation de Jim Crow » (1).
La grande question que beaucoup se posent donc ici aujourd’hui est que l’Amérique qui a donné Abraham Lincoln et Jim Crow se résoudra-t-elle à franchir un pas historique de nature à honorer celui-là et à enterrer celui-ci avec fracas ? Réponse dans la soirée, mais très tard, décalage horaire oblige.

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(1) Les lois Jim Crow sont celles qui, au XIXeme siècle se sont attachées à vider de leur sens les acquis réalisés par les Noirs au lendemain de la guerre de sécession en instaurant la ségrégation raciale dans les écoles et les transports publics, principalement dans le sud des Etats-Unis. La ségrégation scolaire a été déclarée inconstitutionnelle en 1954 par la Cour constitutionnelle (Arrêt Brown versus Board of Education) et les autres lois Jim Crow ont été abolies par le Civil Rights Act de 1964.

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