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Thursday, November 06, 2008

La nuit où l'Amérique a fait sa mue tant attendue

Chicago (Illinois)- L'histoire a des fois de ces clins d'œil qui vous laisse rêveur. Le premier et le seul président de l'histoire américaine originaire de l'Etat de l'Illinois, Abraham Lincoln, avait aboli l'esclavage en 1863. Près d'un siècle et demi plus tard, l'Illinois donne à l'Amérique un deuxième président originaire de Chicago, il est afro-américain.
Jusqu'à la dernière minute, les anti-Obama ont tenté de s'opposer à la vague déferlante du changement qui va modifier la face de l'Amérique et produire des réverbérations dans les quatre coins de la planète. Ils ont utilisé les méthodes les plus impitoyables et les plus immorales pour bloquer la route au candidat démocrate. Mais rien n'a arrêté la déferlante. Ni les mises en garde affichées dans les quartiers noirs de Philadelphie mettant en avant la fausse information suivant laquelle "les personnes qui ont une amende impayée, même de stationnement interdit, seront arrêtées dans les bureaux de vote", ni les ultimes prières des évangélistes au Dieu chrétien pour qu'il éloigne "le mauvais sort que les sorciers kenyans ont jeté à John McCain".
Chicago a vécu le plus grand événement de son histoire dans la nuit de mardi à mercredi où 125 000 personnes s'étaient rassemblées à Grant Park et autant dans les rues adjacentes. Un quart de million de personnes dans un espace aussi réduit était un cauchemar pour les services de sécurité qui s'étaient acquittés de leur tâche avec brio. Il faut dire que la foule, bien que surexcitée et anxieuse à mesure que l'heure de vérité approchait, était coopérative et se prêtait volontiers aux fouilles corporelles systématiques à l'entrée de Grant Park.
Un immense écran géant visible de plusieurs angles déployé à Michigan Avenue a fortement allégé les frustrations ressenties par les dizaines de milliers de personnes qui n'avaient pas eu la chance de pénétrer à l'intérieur de Grant Park.
L'extraordinaire excitation de la foule composée d'hommes et de femmes de tous âges, de toutes les couleurs, de toutes les conditions ressemblait à un spasme joyeux qui a saisi l'Amérique alors qu'elle s'apprêtait à faire un saut psychologique gigantesque que beaucoup considéraient il y a peu comme hautement improbable.
La mue historique que s'apprêtait à faire l'Amérique était devenue réalité mardi 4 novembre à 10 heurs du soir (mercredi 5 novembre, 5 heures du matin à Tunis) quand l'écran géant de Michigan Avenue annonça la victoire de Barack Obama. Ce qui a suivi était pathétique. On saute, on applaudit, on crie, on pleure, on s'embrasse entre Blancs, entre Noirs entre Blancs et Noirs. Qu'ils se connaissent ou pas, les gens se jettent dans les bras les uns des autres. Un moment historique de fraternité entre Américains. Le moment dont avait rêvé près d'un demi siècle plus tôt Martin Luther King.
L'excitation de la foule s'est fortement intensifié au moment où l'idole Obama a fait son apparition sur l'estrade dressée à son intention à Grant Park, accompagné de sa femme et de ses deux filles. On criait son nom jusqu'à l'épuisement. Beaucoup ont perdu la voix et se contentaient d'ouvrir et de fermer la bouche, produisant des balbutiements incompréhensibles.
"S'il y a quelqu'un là-bas qui doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible, qui se demande encore si le rêve des Pères fondateurs est toujours vivant, qui remet en cause la vigueur de notre démocratie, cette nuit est votre réponse". C'était la première phrase prononcée par le président fraîchement élu face à une foule ivre de joie.
C'est un fait que l'Amérique peut être méchante et agressive, elle peut commettre de grosses bêtises en politique étrangère et intérieure, mais c'est un fait tout aussi certain que cette même Amérique donne la possibilité de monter aux plus hautes fonctions sociales et politiques à quiconque qui a la force et la détermination de grimper.
Barack Obama est le dernier grand bénéficiaire de ce trait de caractère unique d'une Amérique qui sait être généreuse quand elle le veut. D'une Amérique qui ouvre finalement les portes de la Maison blanche à un président noir après avoir fait subir les pires calvaires à sa population afro-américaine. Un ami américain de fraîche date rencontré au bord du lac Michigan à Chicago a commenté à sa manière la première phrase prononcée par Obama après l'annonce de sa victoire:"L'Amérique qui a permis à Schwarzenegger, né en Autriche et ayant plus de muscles que de matière grise de devenir gouverneur de Californie, pourquoi ne permettrait-elle pas à Barack Obama, né ici et ayant plus de matière grise que de muscles, de devenir son président?"
Le même ami, tout aussi excité que les milliers de personnes qui nous entouraient à Chicago, ne cessait de faire l'éloge de ses concitoyens qui, "après avoir élu à deux reprises George Bush, n'ont pas commis une troisième bêtise en l'élisant, par McCain interposé, pour un troisième mandat".
Dans son numéro du mercredi 5 novembre, le "Chicago Tribune", le quotidien phare de la ville qui a vu naître et grandir le nouveau président, a écrit un éditorial d'autant plus remarquable qu'avant Obama, il n'a jamais soutenu un candidat démocrate. On y lit notamment ceci:"A un moment où l'Amérique est défiée par le fondamentalisme musulman et affaiblie par la politique abusive de George Bush, le nouveau président aura des relations personnelles avec le monde en développement. Il a des membres de sa famille qui vivent en Afrique, son deuxième nom –Hussein- vient du monde arabe, et il a passé son enfance en Asie où il a vécu avec sa mère et son beau père indonésien."
Dans un précédent article, nous sommes demandés si l'Amérique s'apprêtait à faire le saut et à accepter de se faire gouverner par un président noir ? La réponse est maintenant évidente. Elle vient d'accomplir un saut psychologique énorme qui l'honore et qui contribuera sans aucun doute à rétablir sa réputation que la politique de l'administration sortante a fortement endommagée pendant huit longues années.

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