airelibre

Saturday, June 07, 2008

La preuve par l'applaudimètre

On se demande de quelle étoffe sont faits ces sept mille activistes de l’American Israeli Public Affairs Committee (AIPAC), présents à la conférence de ce puissant lobby à Washington du 2 au 4 juin dernier ? Les psychologues et les psychiatres auraient bien des choses à dire s’ils avaient pris la peine d’observer minutieusement, en se basant sur l’applaudimètre, la réaction de l’assistance non pas vis-à-vis de chaque orateur, mais vis-à-vis de chaque partie du discours prononcé par chacun des invités à ce forum.
Si l’on prend seulement les exemples du candidat Barack Obama, de la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et du Premier ministre israélien Ehud Olmert, on constatera que la réaction des 7000 délégués à ces trois discours est enthousiaste et leurs applaudissements assourdissants quand les orateurs s’en prennent à l’Iran, utilisent les menaces de guerre contre lui ou encore prônent l’isolement contre le mouvement palestinien Hamas. En revanche, cette réaction se caractérise par une froideur déconcertante et les applaudissements à peine audibles quand les orateurs abordent la nécessité d’œuvrer pour la paix, ou le volet des négociations israélo-palestiniennes ou israélo-syriennes. En d’autres termes, la perspective de guerre et de désordre déclenche l’enthousiasme et la passion chez ces délégués AIPACiens et la perspective de paix et d’entente fait naître en eux un étrange sentiment de déception.
Les psychiatres ont sans doute leur mot à dire ici. Mais du point de vue de l’analyse politique, ce comportement n’a rien d’étrange quand on sait le fantasme macabre qu’a toujours nourri l’AIPAC d’enterrer sous les bombes individus, mouvements ou pays qui osent s’opposer au « droit » d’Israël d’occuper, de coloniser et de tuer impunément qui il veut quand il veut. Et quiconque y trouve à redire est un antisémite, un ennemi de la démocratie et de la liberté et un suppôt du terrorisme. Le rôle du lobby juif aux Etats-Unis est bien connu dans les guerres contre l’Irak et le Liban, sans parler de sa responsabilité dans le calvaire quotidien des palestiniens par son soutien sans faille aux politiques extrémistes des différents gouvernements israéliens de celui de Golda Meir à celui d’Ehud Olmert en passant par les gouvernements de Menahem Begin ou d’Ariel Sharon.
Barack Obama, le candidat qui prône le changement, semble avoir laissé aux vestiaires les quelques brillantes idées de sa campagne avant de monter à la tribune de l’AIPAC mercredi dernier et de prononcer son discours consternant. S’il est vrai que les gens de l’AIPAC nourrissent quelques appréhensions à l’égard du candidat métis, était-il nécessaire, c'est-à-dire politiquement payant, que celui-ci verse dans le zèle pro-israélien à un point que même George Bush n’a pas franchi ?
« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire », avait dit Obama aux 7000 délégués qui applaudissaient à tout rompre. Un langage plus proche de celui du couple Bush-Cheney que de celui du candidat Obama qui promettait de s’asseoir avec les Iraniens à la même table pour négocier avec eux. Mais le mur du son est franchi quand, à la surprise générale, Barack Obama décida sur un coup de tête que la totalité de Jérusalem revient à Israël, appelé à en faire sa « capitale unifiée. »
Il n’a pas fallu plus pour déclencher un enthousiasme débordant chez les délégués de l’AIPAC et une consternation chez les Arabes et les Palestiniens. La consternation est d’autant plus justifiée que même le couple Bush-Cheney n’a jamais qualifié publiquement Jérusalem de capitale unifiée d’Israël. La consternation est d’autant plus justifiée aussi que même Bush, le président le plus pro-israélien dans l’histoire américaine, n’a jamais parlé de la ville sainte en ces termes ni tenté de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv vers Jérusalem.
Obama sait sans doute qu’il a commis une gaffe. La preuve est qu’il a fait machine arrière quelques heures après son discours devant l’AIPAC en nuançant fortement son propos dans une interview accordée le jour même à CNN : « Evidemment, dit-il, il reviendra aux parties (israélienne et palestinienne) de négocier sur ces questions. Et Jérusalem fera partie de ces questions. »
En règle générale, en Amérique comme ailleurs, il est rare que les discours électoraux des candidats à de hauts postes politiques se trouvent traduits automatiquement en actes une fois le candidat devenu décideur. La seule exception concerne les promesses électorales relatives au soutien à Israël. Là, aucun candidat ne peut se permettre d’oublier ses promesses tellement l’AIPAC est vigilant. Sauf bien sûr la promesse saugrenue du genre « Jérusalem capitale unifiée d’Israël » qu’Obama a répudiée le jour même.
Pourtant le candidat Obama avait fait naître un espoir, et pas seulement dans le monde arabo-musulman, qu’un changement dans la politique étrangère américaine est possible. L’incident du « Jérusalem, capitale unifiée » et du durcissement inattendu vis-à-vis de la question iranienne font penser à plus d’un qu’on est pas sorti de l’auberge.
Le lobby juif vit totalement coupé de la réalité israélienne et de celle du Moyen-Orient. Ses fantasmes politico-religieux continuent à faire des ravages dans cette région. De plus en plus d’Israéliens sont conscients des dangers de ce groupe de pression sur Israël même et que les responsables de la politique étrangère américaine gagneraient à mieux écouter. Parmi eux Gideon Levy, l’un des journalistes israéliens les plus brillants, qui a écrit ceci récemment dans le quotidien ‘Haaretz’ : « Il est temps de dire franchement aux Juifs Américains, comme on le fait en famille : laissez nous seuls. N’intervenez plus en Israël. Cessez d’utiliser votre argent pour acquérir une influence en Israël. Cessez de ‘contribuer’ à promouvoir vos intérêts et vos vues, qui sont parfois trompeurs et extrêmement dangereux pour l’avenir du pays que vous voulez défendre. Non merci, nous nous débrouillons très bien. Non merci, certains parmi vous causent de graves dommages. Si vous voulez exercer une influence, faites le dans votre pays. » Inutile de préciser que pour l’AIPAC, le journaliste juif Gideon Levy est …antisémite.

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