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Tuesday, March 18, 2008

L'Irak, cinq ans d'enfer

L’une des curieuses habitudes des hommes est de se tourner toujours vers le passé pour voir s’il y a quelque chose à célébrer, quelque événement glorieux à revivre ou quelque catastrophe à commémorer. Cette semaine nous commémorons la catastrophe de l’Irak qui entame demain sa sixième année sans le moindre espoir à l’horizon d’une quelconque amélioration des conditions de vie infernales des 27 millions d’Irakiens.
Il serait aussi inutile que fastidieux de répéter encore une fois ici que la guerre déclenchée le 19 mars 2003 contre l’Irak était une agression caractérisée contre un peuple souverain, que les promoteurs de cette guerre avaient sciemment utilisé les mensonges les plus éhontés pour tromper l’opinion publique américaine, la manipuler et l’amener à accepter cette agression comme « un devoir de l’Amérique », que cette agression était une violation des principes de base du droit international et une insulte aux principes élémentaires de la morale etc…
Le plus terrible est que, en dépit des conséquences incroyablement désastreuses pour l’Irak d’abord, pour l’Amérique et le monde ensuite, les architectes de cette agression, le président américain et son adjoint en premier lieu, non seulement n’éprouvent pas le moindre remords, mais continuent, cinq ans après, d’affirmer haut et fort que c’était « la bonne décision à prendre », que « le monde est mieux sans Saddam », que « le peuple irakien a retrouvé la liberté ». Ces balivernes sont aussi dénuées de sens que les « arguments » défendus bec et ongles en 2002-2003 par Bush, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, Powell, Rice et les autres pour justifier leur guerre contre un pays souverain, membre de l’ONU, de la Ligue arabe, de la Conférence islamique, et pilier fondamental de la sécurité dans le Golfe, comme l’ont démontré, a contrario, l’instabilité débordante et les massacres à grande échelle qui ont suivi le renversement du régime de Saddam Hussein.
En tournée dans le Golfe, le vice-président américain, Dick Cheney, a fait une visite en Irak non annoncée évidemment et tenue secrète jusqu’au dernier moment. Deux ou trois jours avant l’invasion de l’Irak, Dick Cheney a affirmé au journaliste américain, Tim Russert, sur la chaîne CBS : « Je pense que nous serons accueillis à Bagdad en libérateurs », c'est-à-dire avec des fleurs et des danses populaires dans les grandes artères de la capitale irakienne. Cinq ans après, il continue à visiter Bagdad en catimini pour des raisons de sécurité.
La visite de Dick Cheney coïncide avec le cinquième anniversaire de l’invasion de l’Irak où il a salué les « immenses changements ». Les changements sont en effet désastreusement immenses, et ils ne sont pas à saluer, mais à déplorer. Plusieurs responsables du désastre irakien, dont Donald Rumsfeld, Paul Wofowitz, Richard Perle, Colin Powell, le Britannique Tony Blair ou encore l’Espagnol José Maria Aznar tentent de se faire oublier en faisant profil bas ou en disparaissant purement et simplement dans la nature. Dick Cheney a décidé de se mettre en avant et d’attirer plus intensément sur lui les feux de la rampe en allant en Irak au moment où les millions d’habitants de ce pays commémorent dans la douleur le cinquième anniversaire de début de leur descente en enfer.
Avant le 19 mars 2003, il y avait une structure étatique qui prenait en charge la sécurité du pays et assumait la responsabilité de l’emploi, de la santé et du minimum vital pour le peuple irakien, en dépit des sanctions inhumaines imposées par l’ONU et maintenues obstinément contre vents et marais par l’administration de Bill Clinton. Bagdad était une ville aussi sûre que Tokyo ou Oslo, et les Irakiens vivotaient tant bien que mal.
Aujourd’hui, l’Irak a le triste privilège d’être le pays où la situation humanitaire est la plus désastreuse du monde. Ceux qui ont fait ce constat ne sont ni des opposants à la politique de la Maison blanche, ni des journalistes qui ont passé quelques semaines dans l’enfer irakien. Il est fait par le Comité International de la Croix Rouge (CICR) qui, de par son statut, est incontestablement l’Organisation humanitaire la plus objective et la plus neutre du monde, et qui, de par sa présence continue en Irak depuis près de trente ans, est celle qui connaît le mieux la réalité irakienne.
Le constat du CICR, contenu dans un rapport rendu public à l’occasion du cinquième anniversaire de l’invasion de l’Irak, est dévastateur pour l’administration Bush : « Cinq ans après l’invasion menée par les Etats-Unis, des millions d’Irakiens ont peu ou pas d’accès à l’eau potable », « la situation humanitaire est la plus grave du monde », « des millions d’Irakiens sont livrés à eux-mêmes », « certaines familles dépensent le tiers de leur salaire moyen de 150 dollars rien qu’en achetant de l’eau propre », « la situation sanitaire est pire que jamais », « Des dizaines de milliers d’Irakiens ont effectivement disparu depuis le début de la guerre », « Une meilleure sécurité dans quelques endroits de l’Irak, ne doit pas détourner l’attention du calvaire continu des millions de personnes qui sont livrées à elles-mêmes », « des dizaines de milliers de personnes –presque tous des hommes- sont en prison, y compris 20.000 détenus à Camp Bucca, près de Basra »…
Le rapport du CICR ne peut pas tout dire évidemment. Il y a des aspects aussi dramatiques que le CICR n’a pas abordés tels que l’électricité qui n’est pas disponible plus deux heures par jour ou l’emploi qui, selon certaines estimations, atteint 70% de la population active. Il y a d’autres aspects dramatiques aussi que le CICR ne peut pas évoquer compte tenu de sa neutralité et qui se rapportent aux conséquences terrifiantes de la politique sectaire du gouvernement Maliki. Celui-ci, depuis qu’il est au pouvoir non seulement il n’a rien fait pour les Irakiens, mais il est pour beaucoup dans l’intensification de la violence terrible qui a éclaté à grande échelle entre Sunnites et Chiites en février 2006, à la suite de la destruction du mausolée de l’imam Al Askari à Samarraa.
Cinq ans après le début de sa mésaventure militaire en Irak, l’administration Bush n’a pas le moindre aspect positif à faire prévaloir. La visite du vice-président américain en ce moment précis est au mieux déplacée, au pire cynique. Car il n’y a rien à célébrer ni à commémorer en Irak sinon cinq années d’enfer pour des millions d’Irakiens.

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