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Saturday, March 22, 2008

L'Allemagne, Israël et les Palestiniens

La Chancelière allemande, Mme Angela Merkel, accompagnée de la moitié de ses ministres, a terminé il y a quelques jours une visite en Israël où elle a été intensément active. Elle a discuté pendant des heures avec son homologue israélien, Ehud Olmert, elle a présidé avec lui une réunion commune des deux gouvernements allemand et israélien, le genre de conseils communs de ministres que Berlin réserve normalement à ses voisins proches, (France et Pologne), elle a visité le « Yad Vashem », le mémorial juif de la Shoah à Jérusalem et, last but not least, elle a prononcé un discours devant les députés israéliens à la Knesset en langue allemande, un « privilège » qu’aucun autre chancelier avant elle n’en a bénéficié.
Durant les trois jours qu’elle a passés en Israël, Mme Merkel a tout fait pour convaincre ses hôtes que l’Allemagne était, est et restera à jamais l’amie d’Israël. Qu’il s’agisse de sa grande émotion affichée lors de sa visite à « Yad Vashem » ou de son discours à la Knesset où, dans une allusion claire à la Shoah, elle a parlé de « la responsabilité éternelle de l’Allemagne dans la catastrophe de l’histoire allemande », ou encore de sa décision d’ignorer les Palestiniens, Mme Merkel visait clairement à plaire au maximum à ses hôtes israéliens. Ses efforts exagérés à prouver son amitié indéfectible à Israël ont étonné même les Israéliens. Dans le quotidien Haaretz, le journaliste israélien Tom Segev a tourné en dérision « le zèle de nouveau converti » affiché par la chancelière allemande dans le but de s’assurer le satisfecit des dirigeants israéliens.
Mme Merkel s’était souciée comme d’une guigne de l’équilibre que, généralement, tentent de préserver les dirigeants étrangers en visite dans la région et qui tiennent compte de la tension ambiante et de la susceptibilité des uns et des autres. La chancelière allemande s’est comportée comme si, pour l’Allemagne, aucun pays ne compte dans cette région à part Israël. Aucun intérêt n’est à défendre à part celui d’Israël.
Non seulement la chancelière allemande n’a pas rencontré un seul dirigeant palestinien (Ramallah est à moins de 7 kilomètres de Jérusalem), mais elle a qualifié de « crimes » le lancement des quelques fusées sur Sderot, en ignorant totalement la véritable guerre menée par Israël avec bombardiers et missiles contre un peuple désarmé. Elle a pointé du doigt « le terrorisme palestinien », mais n’a pas dit un seul mot sur le blocus étouffant de Gaza qui condamne un million et demi de Palestiniens à des souffrances indicibles. Elle a proclamé haut et fort « le droit d’Israël à se défendre », mais a fait comme si l’occupation et la colonisation des terres palestiniennes, qui se poursuivent depuis plus de 40 ans, n’ont jamais existé.
La presse allemande elle-même n’a pas apprécié ce comportement partial et exagérément pro-israélien de la part de la dirigeante du plus grand pays européen. La Süddeutsche Zeitung a remarqué que « dans ses discours, Merkel n’a même pas mentionné les Palestiniens », ajoutant que la chancelière allemande « doit protéger son indépendance et critiquer les politiques d’occupation et de colonisation israéliennes. » De son côté Die Tageszeitung s’étonne que « Merkel n’a pas rencontré un seul Palestinien » et qu’elle est en train d’agir « plus partialement encore que George Bush qui, lui au moins, avait rencontré Mahmoud Abbas. »
Mme Merkel a vécu elle-même une bonne partie de sa vie de l’autre côté du mur de Berlin et elle ne s’en était libérée qu’en 1989. Malgré cela, elle n’a trouvé nullement choquant le mur d’apartheid érigé par Israël et séparant, entre autres, la Cisjordanie de Jérusalem-est. Pas un mot sur ce mur, pas une remarque sur le calvaire quotidien infligé par l’armée d’occupation à une population occupée, pas une objection à la menace de shoah proférée récemment par un ministre israélien contre le peuple palestinien.
En revanche, dans son discours devant la Knesset, Mme Merkel est revenue longuement sur le thème de la shoah. Elle s’en est excusée encore et encore et a assuré les députés israéliens que les Allemands sont toujours « honteux » de cette tranche de leur histoire et qu’ils se sentiront « éternellement responsables » de ce qu’ils ont fait aux Juifs.
Mais ce que Mme Merkel feint d’ignorer est que si le massacre à grande échelle des Juifs par les Nazis est un élément fondamental dans la création de l’Etat d’Israël, le crime nazi est également la cause principale de la dépossession des Palestiniens de leurs terres et des guerres qui ne cessent de déchirer la région depuis 60 ans. Donc, en toute logique et en toute objectivité, « la responsabilité éternelle » de l’Allemagne dont a parlé Mme Merkel en Israël doit s’étendre également aux Palestiniens, victimes indirectes du génocide juif perpétré par le régime hitlérien.
Dans une récente rencontre sur ce thème organisée dans la ville israélienne de Netanya, quelques jours avant la visite d’Angela Merkel, quatre intellectuels allemands, parmi les plus brillants, étaient présents. Il s’agit de Reiner Steinweg, Gert Krell, Georg Meggle et Jorg Becker. L’idée développée courageusement par ces quatre intellectuels en Israël même est que « la responsabilité de l’Allemagne envers les Palestiniens est l’une des conséquences de l’holocauste. Israël n’est donc pas le seul à pouvoir réclamer le droit à un traitement spécial de la part de l’Allemagne. En tant qu’Allemands, nous assumons non seulement une responsabilité vis-à-vis de l’existence d’Israël, mais aussi vis-à-vis des conditions de vie du peuple palestinien ».
Visiblement Mme Merkel n’est pas au courant de ce débat qui anime les cercles intellectuels et politiques allemands. Ou alors elle est au courant et elle a choisi délibérément de l’ignorer en ne reconnaissant qu’une partie de la responsabilité historique de l’Allemagne à l’égard des tragédies qui déchirent le Moyen-Orient. Dans les deux cas, la chancelière a tort.

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