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Thursday, January 17, 2008

Reportage: Le triangle d'Istanbul

Byzance d'abord, Constantinople ensuite, Istanbul enfin, on ne peut faire un pas dans la célèbre ville euro-asiatique sans se sentir interpellé par l'histoire aussi longue que mouvementée de la métropole turque. Métropole, Istanbul l'est avec ses quinze (certains disent dix sept) millions d'habitants, ses artères constamment envahies par les interminables files de voitures, le bruit assourdissant des grosses motos qui font impunément du 150 à l'heure en plein centre ville, ses trottoirs noirs de monde à toute heure de la journée et le nationalisme à fleur de peau de ses habitants qui l'affichent pompeusement en déployant le drapeau turc ou la photo d'Atatürk ou les deux à la fois dans les fenêtres des appartements.
Istanbul est connue par beaucoup de Tunisiens comme une ville commerçante où ils font leurs achats dans les innombrables boutiques du quartier Osman Bek ou de siroter un rafraîchissant dans les innombrables terrasses de café de la place Taksim. Mais Istanbul est surtout une ville qui concentre en elle une formidable quantité d'événements historiques, dont certains ont beaucoup influé sur le cours de l'histoire.
Sans remonter jusqu'à l'année 667 avant notre ère quand des colons grecs, venus de la ville antique de Mégare, fondèrent Byzance, on ne peut s'empêcher, en arpentant la ville d'Istanbul, de se remémorer les deux dates principales qui avaient façonné l'histoire de la ville et du monde: le 11 mai 330, date de la fondation de Constantinople par l'empereur romain Constantin, et le 29 mai 1453, date de la prise de la capitale orthodoxe de l'Orient chrétien par le Sultan ottoman Mehmet II qui lui donna aussitôt le nom d'Istanbul et en fit la capitale de son empire.
Les visiteurs pressés peuvent se payer le luxe d'avoir, en l'espace de quelques heures, un résumé assez détaillé si l'on peut dire de l'histoire de la ville sans quitter le triangle formé par Topkapi, l'Eglise Sainte Sophie et la Mosquée de Sultan Ahmet, triangle qui surplombe le Bosphore.
L'église Sainte Sophie fut construite en 537 par l'empereur Justinien et est considérée jusqu'à ce jour comme l'une des plus grandes églises du monde après Saint Paul à Londres et Saint Pierre à Rome. Elle est l'unique église au monde avec deux minarets, puisque les Ottomans la transformèrent en mosquée quelques temps après la chute de Constantinople. Elle le restera jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Mustapha Kemal Atatürk au début du siècle; il en fit un musée très couru par les Turcs et les touristes.
S'il n'y avait pas l'église Sainte Sophie, il n'y aurait probablement pas eu de Mosquée du Sultan Ahmet. Celui-ci, sous le charme de l'architecture majestueuse de la célèbre église, et sans doute un peu envieux aussi, convoqua ses meilleurs architectes et leur intima l'ordre de lui construire une mosquée aussi belle, aussi grande et aussi imposante que l'Eglise Sainte Sophie.Il donna l'ordre également que les minarets soient en or. Les architectes obéirent aux ordres du Sultan en lui construisant, en face de l'Eglise Sainte Sophie, une mosquée fortement inspirée de celle-ci et tout aussi majestueuse. Mais au lieu des minarets en or, les architectes construisirent six minarets ordinaires. Non pas parce qu'ils voulaient narguer le Sultan, mais parce qu'il y avait eu une confusion née de la forte ressemblance phonétique dans la langue turque entre l'or (Alten) et le chiffre six (Alté). Ce n'est pas une anecdote, mais une vérité historique attestée par cette singularité qui fait de la Mosquée du Sultan Ahmet l'unique lieu de prière au monde avec six minarets, les mosquées en Turquie comportant deux ou quatre minarets.
Enfin Topkapi, qui veut dire littéralement en turc "la Porte du Canon". C'est le nom donné à la résidence des Sultans de l'empire ottoman. En entrant dans cet ensemble de palais et de jardins paradisiaques qui s'étendent sur quelque 70.000 mètres carrés, on ne peut s'empêcher de ressentir une grande émotion à l'idée que la vie de nos ancêtres fut, durant toute une période historique, façonnée par les lois que signaient les Sultans ottomans sur ces mêmes trônes exposés aujourd'hui aux visiteurs, dont l'un est en or massif, incrusté de milliers de pierres précieuses, don du monarque persan Nadhir Chah qui l'a lui-même pris en butin de guerre chez les tribus hindoues qu'il avait écrasées au cours de l'une de ses incursions contre ses voisins orientaux.
Au beau milieu du jardin superbement entretenu se dressent, l'air visiblement très fatigué, quelques arbres millénaires, certainement plus vieux que l'empire ottoman. On ne peut poursuivre facilement son chemin comme si l'on a rencontré un banal eucalyptus. Ces arbres vous interpellent et vous forcent à les fixer pendant de longues minutes, à lire dans leur vaste mémoire dans le vain espoir d'y déchiffrer quelques secrets d'empire introuvables dans les livres d'histoire. Quelques intrigues tissées par la puissante et l'influente Roksalan, la femme préférée de Soliman le Magnifique qu'il avait venir d'Ukraine.
Au bout de la visite, on débouche sur une immense esplanade surplombant le Bosphore. C'est sans doute de là que les Sultans observaient s'éloigner les navires de guerre qu'ils envoyaient à la conquête de nouvelles terres et voyaient s'approcher les navires de transport chargés des biens qui affluaient des quatre coins de l'empire. A son apogée, celui-ci atteignait l'incroyable superficie de 30 millions de kilomètres carrés. Pour avoir une idée de l'étendue du désastre subi par les Turcs à la suite de l'effondrement de l'empire ottoman, il suffit de savoir que la superficie actuelle de la Turquie ne dépasse guère les 700.000 kilomètres carrés.
Le Bosphore aussi n'est plus ce qu'il était. Sans doute est-il toujours ce bras de mer de 35 kilomètres qui sépare la pointe extrême orientale de l'Europe à la pointe extrême occidentale de l'Asie. Sans doute relie-t-il encore la mer noire au nord à la mer de Marmara au sud. Mais au lieu des navires de guerre et des navires en provenance des colonies, ce sont aujourd'hui les petits bateaux de transport, de véritables métros maritimes, qui, à longueur de journée, transportent les habitants d'Istanbul de la rive européenne à la rive asiatique et vice versa. Ce sont aussi les agréables bateaux de croisière qui vous promènent sur le Bosphore pendant deux heures alors que vous vous faites servir un déjeuner ou un dîner. Le Bosphore n'est plus le même puisqu'il s'est doté d'un pont majestueux qui porte son nom et qui relie les deux continents. Il est tellement surélevé qu'il ne gêne nullement l'intense trafic des bateaux petits et grands qui le sillonnent jour et nuit. Notre guide Nourane se rappelle les longues attentes qu'elle endurait il y a quelques années pour passer d'une rive à l'autre. "Aujourd'hui", dit-elle, " je prends ma voiture et je passe d'Europe en Asie en moins de cinq minutes".

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