airelibre

Tuesday, January 08, 2008

Une stratégie qui s'écroule

La stratégie anti-iranienne des Etats-Unis dans le Golfe est-elle en train de s'effondrer comme un château de cartes? La Maison blanche s'est-elle finalement rendue compte qu'elle n'a ni les moyens politiques ni la capacité militaire d'engager une troisième guerre avec un pays autrement plus redoutable que l'Irak et l'Afghanistan réunis?
L'incident de dimanche dernier dans le détroit d'Hormuz au cours duquel des corvettes iraniennes s'étaient approchées de manière menaçante de trois navires de guerre américains sans que ceux-ci aient effectué le moindre tir de sommation, prouve que Washington ne cherche plus les prétextes pour une confrontation avec l'Iran et ne veut visiblement pas envenimer la crise qui l'oppose aux Iraniens.
En fait, ce n'est pas seulement le rapport des services de renseignements américains attestant que l'Iran a arrêté son programme de fabrication d'armes nucléaires qui a refroidi les ardeurs anti-iraniennes des va-t-en guerre néoconservateurs. Il y a aussi et surtout l'échec des Américains à mobiliser les pays arabes dans cet "axe de modération" que Washington rêvait de créer et d'y inclure les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), l'Egypte et … Israël.
Il n'y aura pas donc d'"axe de modération" contre ce qui reste de l'"axe du mal". L'échec de la stratégie américaine ne s'explique pas seulement par l'extraordinaire naïveté avec laquelle Washington a tenté de former une coalition anti-iranienne regroupant des pays arabes et Israël, négligeant totalement le fait que celui-ci occupe encore et depuis plus de quarante ans les terres palestiniennes et syriennes, et ignorant aussi le fait que pas un jour ne passe sans que l'armée israélienne ne détruise des maisons sur la tête de leurs habitants à Gaza, qu'elle n'assassine des Palestiniens à la fleur de l'âge ou qu'elle ne sème la terreur par ses incursions dans les villes palestiniennes, comme elle l'a fait à Naplouse il y a quelques jours.
La stratégie américaine a échoué aussi parce qu'aucun citoyen arabe ne peut comprendre pourquoi en Irak la Maison blanche s'allie-t-elle avec les chiites contre les sunnites et en dehors de l'Irak, elle tente de regrouper les sunnites dans une coalition contre les chiites iraniens et libanais. Pourtant les chiites qui détiennent le pouvoir en Irak ont été formés à Qom, ont vécu pendant de longues années en Iran et leur allégeance va vers Téhéran plutôt que vers Washington.
Pour toutes ces raisons, il n'est guère étonnant de voir les pays arabes du Golfe et du Moyen Orient se détourner de la stratégie anti-iranienne des Etats-Unis et amorcer une sorte de rapprochement avec Téhéran qui contribue à éloigner sensiblement le spectre de la guerre de la région. Il est parfaitement légitime que les pays du Golfe cherchent à utiliser leurs immenses réserves de devises pour développer encore plus leurs pays plutôt que dans le financement d'une guerre américaine contre l'Iran.
A la fin de l'année dernière, le secrétaire à la défense Robert Gates a mis en garde les Arabes à Bahreïn conte "l'instabilité et le chaos fomentés par l'Iran partout". En réponse à cette mise en garde, les pays de coopération du Golfe, réunis en sommet au Qatar, ont invité le président iranien Mahmoud Ahmadinejad pour assister à leur travaux. Une première dans cette institution pourtant créée en 1981 pour contrer les ambitions iraniennes, mais aussi, il est vrai, les ambitions de Saddam Hussein, tout puissant à l'époque. Le 3 décembre dernier, Ahmadinejad a prononcé un discours au sommet du CCG à Doha, applaudi par les chefs d'Etats des pays membres. Il est à noter ici que c'est au cours de ce sommet que les pays du CCG ont franchi un nouveau pas dans l'intégration en créant "le marché commun" des pays du Golfe.
Quelques semaines plus tard, Ahmadinejad était l'invité du roi Abdallah en Arabie Saoudite, et le monde entier a pu observer le roi saoudien et le président iranien marcher la main dans la main. Un clin d'œil à l'autre image que le monde garde en mémoire du roi Abdallah d'Arabie saoudite qui marchait main dans la main avec George Bush à Camp David. Des images à forte charge symbolique par lesquelles l'Arabie Saoudite veut signifier qu'elle ne tend pas seulement la main à l'Amérique, mais aussi à la république islamique. Qu'elle n'est intéressée ni par une alliance avec les Etats-Unis contre Téhéran, ni par une alliance avec l'Iran contre Washington, mais par la paix dans la région.
Cette forte baisse de la tension entre l'Iran et ses voisins arabes n'est pas observable dans le Golfe seulement. Elle englobe le Moyen-Orient aussi, puisque Ali Larijani, le président du Conseil de sécurité iranien, vient d'effectuer une visite au Caire où a eu lieu les premiers entretiens irano-égyptiens à un haut niveau depuis 27 ans. Aussitôt après, le Secrétaire général de la Ligue rabe, Amr Moussa, a enfoncé le clou en affirmant qu'"il n'y a aucune raison pour que les Arabes traitent l'Iran en ennemi".
Loin de nous l'idée de suggérer ici que tout est désormais pour le mieux entre l'Iran et les pays du Golfe. Sans doute des suspicions existent encore de part et d'autre, des contentieux frontaliers ne sont toujours pas réglés entre l'Iran et les Emirats Arabes Unis, mais ces problèmes sont considérés par les pays du CCG comme des défis à relever plutôt que comme une menace existentielle.
Dans ce contexte, la prochaine visite que compte effectuer George Bush dans la région pour "activer la coalition anti-iranienne", s'apparente à une ultime tentative d'un président en fin de carrière de sauver une stratégie qui fait eau de toutes parts.

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