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Saturday, January 12, 2008

En attendant des jours meilleurs

Il y a un peu plus d'un an, en décembre 2006 plus exactement, la Commission Baker-Hamilton rendit publiques ses 79 recommandations à l'intention de l'administration Bush pour l'aider à sortir de du bourbier dans lequel elle s'est engouffrée par ses choix désastreux. Mais bien que cette administration fût alors assaillie de toutes parts par les difficultés sur les plans intérieurs et extérieurs, elle trouva le moyen de tourner le dos à la Commission et à ses recommandations pour persister dans une politique de fuite en avant qui a failli aboutir à une autre guerre dans la région.
Les 79 recommandations de la Commission Baker-Hamilton tournaient autour de trois axes principaux: l'Irak, l'Iran et le conflit israélo-palestinien. La Commission conseillait vivement Bush de mettre l'accent sur un entraînement intensif des forces armées irakiennes de manière à les préparer à prendre la relève, et de mettre la pression sur le gouvernement de Nouri al Maliki pour l'obliger à mener une politique de réconciliation nationale ; elle lui conseillait aussi d'adopter une approche diplomatique pour régler son contentieux avec l'Iran ; elle lui conseillait enfin de s'engager sérieusement dans le règlement du conflit israélo-palestinien, source de tous les problèmes.
Comme on le sait, Bush a tourné le dos à ces recommandations et a persévéré sur la voie tracée par les faucons néoconservateurs et à leur tête le vice-président, Richard Cheney. Le président américain s'est alors débarrassé de la personnalité la plus controversée de son gouvernement, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, et l'a remplacé par un membre de la Commission Baker-Hamilton, l'actuel chef du Pentagone, Robert Gates. Cette décision n'était pas dictée par une volonté de changement, (Bush tenait à Rumsfeld comme à la prunelle de ses yeux), mais par la défaite des républicains aux élections législatives de décembre 2006, et par la prise de contrôle du Congrès par les démocrates, foncièrement hostiles à Donald Rumsfeld.
Ce changement à la tête du Pentagone a entravé substantiellement les ardeurs guerrières de l'administration Bush. Les néoconservateurs ont perdu un allié de taille en la personne de Rumsfeld et, par conséquent, une large part de leur influence sur la hiérarchie militaire américaine. Néanmoins, la rhétorique belliqueuse contre l'Iran s'est poursuivie, contrairement aux recommandations de la Commission Baker-Hamilton, mais elle est restée le fait d'un groupe de plus en plus isolé de politiciens et d'intellectuels néoconservateurs qui gravite encore autour de la Maison blanche. Si ce groupe n'est pas arrivé à envoyer les bombardiers de l’US Air Force déverser leurs bombes sur l'Iran, c'est parce que le Pentagone et la hiérarchie militaire qui en dépend ont le pied sur le frein de la machine de guerre américaine. Beaucoup d’officiers supérieurs, dont l’amiral William Fallon ont dit non à la guerre et continuent honorablement à s’y opposer avec vigueur.
Sur la plan irakien, l'administration Bush n'a pas suivi non plus les conseils de la Commission, puisque aussitôt après la publication des 79 recommandations qui prônaient, entre autres, une réduction progressive des forces américaines en Irak, Bush a pris le contre-pied en envoyant 30.000 soldats supplémentaires. L'"amélioration" de la situation en Irak dont se targue l'administration américaine n'est pas due à cette décision, mais au "réveil" des tribus irakiennes d'Al Anbar et de Salaheddine. Celles-ci se sont retournées contre Al Qaida et sa politique suicidaire qui, prétendant lutter contre l'occupant américain, n'a rien fait d'autre que de se livrer au massacre à grande échelle de civils irakiens.
Cette "amélioration" est due aussi au fait que, sur le terrain, la hiérarchie militaire US a pris sur elle de réaliser quelques unes des recommandations de la Commission Baker-Hamilton, contrairement aux désirs des néoconservateurs, en s'engageant dans des négociations frontalières avec la Syrie et l'Iran. Résultat: les généraux américains en Irak reconnaissent maintenant une "baisse sensible" dans le trafic des armes et le mouvement des combattants à la frontière irano-irakienne. De son côté, Hoshyar Zebari, le ministre irakien des A.E. a fait état récemment d'une "baisse de 70%" dans le trafic des armes et le mouvement des combattants à la frontière irako-syrienne.
Sur le registre du conflit israélo-palestinien, l'administration américaine a gaspillé une année précieuse avant de donner l'impression maintenant qu'elle suit finalement les recommandations de la Commission Baker-Hamilton. Pendant sept ans, Bush & Co ont non seulement ignoré totalement les souffrances du peuple palestinien et les injustices qu'il subit quotidiennement de la part de l'occupant israélien, mais ils ont aidé et soutenu celui-ci dans tout ce qu'il entreprenait contre les Palestiniens et même contre le Liban. Nul ne peut contester le fait que ce soutien massif, actif et inconditionnel que prodiguait l'administration Bush à Israël pendant sept ans a fortement contribué à accentuer la crise dans la région.
On aurait pu faire l'économie des crises graves palestinienne et libanaise, par exemple, si l'administration Bush avait tracé des lignes rouges et avait fait comprendre à Tel Aviv qu'il était interdit de les dépasser. Au lieu de quoi, carte blanche avait été donnée aux Israéliens pour agir comme bon leur semblait contre les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, et un encouragement (d'aucuns disent incitation) prodigué à l'armée israélienne pour qu'elle s'attaque au Liban pendant l'été 2006. Résultats: une crise inextricable en Palestine et un blocage politique explosif au Liban.
Est-il étonnant dès lors que, deux ou trois jours après la clôture de la conférence stérile d'Annapolis, les Israéliens annoncent la construction de nouvelles colonies à Jérusalem-Est et que l'administration américaine se comporte comme si elle n'a rien entendu? Qui sera étonné que la tournée de Bush au Moyen-Orient n'aboutisse pas à plus de résultats que la conférence d'Annapolis et qu'elle soit bientôt oubliée ? Mais tout n’est pas perdu. On aura droit à une autre visite de Bush en mai prochain. Il a promis de venir fêter avec ses amis israéliens le 60eme anniversaire de la création d'Israël. Les recommandations de la Commission Baker-Hamilton sur la Palestine ? Elles auront encore à attendre des jours meilleurs.

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