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Sunday, April 06, 2008

L'OTAN, la Russie et les autres

Le Britannique Lord Hastings Lionel Ismay, premier secrétaire général de l'Organisation de l'Atlantique nord, créée en 1949, aimait répéter que le but de l'Otan consistait à "garder les Américains dedans, les Russes dehors et les Allemands en bas" (To keep the Americans in, the Russians out and the Germans down). Les Américains dedans, c'est-à-dire en Europe, les Russes dehors, c'est-à-dire loin de l'Europe et les Allemands en bas, c'est-à-dire sous tutelle pour les empêcher de provoquer d'autres guerres.
L'année prochaine l'Otan aura soixante ans, l'âge de la retraite qu'elle aurait dû prendre au moins depuis 1991 puisque, à cette date, l'Organisation militaire atlantique a atteint les objectifs que lui fixaient son premier secrétaire général, Lord Ismay. Les Américains étaient toujours en Europe (Allemagne, Espagne, Italie etc.), les Russes, avec l'effondrement de l'Union soviétique et la perte concomitante de leur influence dans l'est du continent, s'étaient retrouvés totalement en dehors de l'Europe. Quant à l'Allemagne, elle a eu largement le temps de mûrir, se reconstruire, se développer, s'unir avec sa partie orientale, s'assurer l'une des meilleures réputations du monde et, par conséquent, n'a plus besoin d'être surveillée ni tenue sous tutelle.
Alors à quoi sert l'Otan? Au début de la décennie 1990, la disparition de l'Union soviétique n'était pas un désastre seulement pour les amis des Soviets à travers le monde. Leurs ennemis aussi étaient désorientés et ne savaient pas trop quoi faire sans cet ennemi auquel ils étaient si habitués et en fonction duquel ils avaient imaginé tant de stratégies. L'Otan, plus que tout autre ennemi des Soviets, était dans un état d'angoisse existentielle. Son ennemi intime avait subitement disparu et avait emporté avec lui la raison d'être de l'Organisation militaire atlantique.
Mais c'était une angoisse tout à fait passagère puisque l'Otan, en retrouvant de nouveaux ennemis potentiels, s'est refaite une nouvelle raison de vivre. Non seulement elle a réussi à vivre comme avant l'effondrement soviétique, mais elle a entrepris d'avaler les pays l'un après l'autre, notamment ceux qui composaient le défunt Pacte de Varsovie pour la surveillance duquel l'Otan était mobilisée pendant au moins quarante ans.
Les ennemis potentiels n'étaient pas difficiles à trouver. La Chine avec son gigantisme démographique et son développement industriel et militaire qui s'amplifie d'année en année inquiète les Etats-Unis en particulier et l'Occident en général. L'Otan, véritable bras séculier de cet Occident, s'est vue dotée d'une mission de dissuasion vis-à-vis de cette "menace émergente". Quant à la Russie, c'est toujours la même rengaine. Tout comme la Sainte Russie orthodoxe était l'ennemie jurée de l'Occident tout au long du XIXeme siècle et jusqu'à la révolution d'Octobre 1917, la Russie post soviétique n'est vraiment pas mieux perçue que la Russie pré-soviétique. La preuve est cette manœuvre d'encerclement qui vise le plus vaste pays du monde et qui prend la forme d'un élargissement continue de l'Otan.
L'année 1999 reste celle où l'Otan a vu l'adhésion du plus grand nombre de pays depuis sa fondation, atteignant le nombre record de 26 membres. Plus d'une dizaine d'anciennes républiques soviétiques et de pays de l'est, anciens membres du Pacte de Varsovie, ont fait leur entré dans l'Otan au grand dam de la Russie dont les gesticulations et les protestations n'ont impressionné personne à l'époque. Les pays baltes, la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie qui étaient les postes avancés de l'Union soviétique en Europe et les piliers du Pacte de Varsovie sont, du jour au lendemain, devenus les postes avancés de l'Occident face à la Russie et les piliers de l'Otan.
Le sommet de Bucarest qui vient de s'achever cette semaine a étudié la possibilité de resserrer encore plus l'étau autour de la Russie. En effet, depuis quelques années, l'Ukraine et la Géorgie remuaient ciel et terre pour gagner une place au sein de l'Alliance atlantique, ce qui reviendrait à encercler plus étroitement encore la Russie par l'ouest et à entamer son encerclement par l'est. Au sud l'Otan est présente depuis 1952 à travers la Turquie.
On comprend la sensation d'étouffement que ressent la Russie et ses efforts pour faire avorter le projet d'adhésion de ces anciennes républiques soviétiques que sont l'Ukraine et la Géorgie. George Bush est le plus fervent défenseur de l'adhésion de Kiev et de Tbilissi à l'Otan et a poussé de toutes ses forces dans ce sens. Mais, aussi influents que soient les Etats-Unis, ils n'ont pu imposer cette fois l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie.
En fait, même si la Russie d'aujourd'hui est beaucoup plus riche et plus puissante que celle de 1999, la manne pétrolière aidant, ce n'est pas sa virulente opposition à elle qui a amené l'Otan à surseoir à l'adhésion des deux anciennes républiques soviétiques. Ce qui semble avoir été déterminant, c'est plutôt l'opposition inflexible de la France et de l'Allemagne. Dans ce dossier controversé, Paris et Berlin ont choisi d'agir rationnellement. Ni l'un ni l'autre ne veulent d'une tension gratuite ni d'une perturbation inutile de l'approvisionnement en gaz russe pour les beaux yeux des Ukrainiens et des Géorgiens. Toutefois, la candidature de ces deux pays sera à nouveau examinée en décembre prochain.
Mais, à Bucarest, les Européens ont tout de même répondu positivement à George Bush sur deux autres sujets qui lui tenaient à cœur : le système anti-missile qu’il tient à installer en Europe et l’augmentation de leur contribution militaire en Afghanistan. La France a notamment décidé d’envoyer un bataillon supplémentaire (environ 700 soldats) qui seront installés à l’est, ce qui dégagera des troupes américaines pour le sud où les combats sont très intenses et qui le seront plus encore avec le dégel des montagnes afghanes en cette période de l’année.
Pour le moment, plus que la chine ou la Russie, l’Afghanistan constitue un vrai casse-tête pour l’Otan. Son secrétaire général, Jaap de Hoop Scheffer, à l’exemple de son lointain prédécesseur Lord Ismay, a imaginé à son tour une nouvelle mission pour l’Organisation militaire atlantique : « imposer la stabilité là où il faut ». S’il compte exclusivement sur la politique de la canonnière, le triste exemple afghan pousse plutôt vers le scepticisme.

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