airelibre

Thursday, March 27, 2008

Une guerre de trois trillions de dollars

L'extraordinaire complexité de la situation en Irak rend le pays de plus en plus incontrôlable. Il y a trois mois, le président américain, célébrant la décision d'envoyer 30 000 soldats supplémentaires en décembre 2006 comme une preuve de sa lucidité, a commencé à nourrir l'espoir qu'enfin, son armée allait voir le bout du tunnel et, avant de quitter la Maison blanche, il commencerait à retirer quelques milliers. Il a nourri l'espoir que, faute d'avoir pu trouver les armes de destruction massive, faute d'avoir pu démocratiser l'Irak, faute d'avoir pu donner au peuple irakien la liberté et la prospérité, il pourrait au moins stabiliser le pays, peu importe la nature du régime sous lequel cette stabilisation se ferait, fût-il pire que celui de Saddam, renversé il y a cinq ans.
Seulement, depuis quelques semaines, l'Irak est en train de sombrer de nouveau dans les pires niveaux de violence des années 2005 et 2006. La zone verte est bombardée en plein jour, les voitures piégées et les attentats suicide reprennent à un rythme inquiétant, Bagdad est toujours la ville la plus dangereuse du monde, et Basra, la deuxième ville d'Irak, rivalise désormais avec la capitale en termes d'insécurité et de dangerosité, la guerre bat son plein entre les milices chiites de Moqtada Sadr et le gouvernement chiite de Nouri Maliki contraint d'appeler à la rescousse l'armée américaine qui a massivement bombardé Hilla, provoquant un carnage parmi les civils, en mot, George Bush et son administration qui ont déclenché cette orgie de violence absurde ne savent plus à quel saint se vouer.
L'armée américaine a déjà enterré quatre mille de ses soldats, c'est-à-dire mille de plus depuis que Bush a décidé d'envoyer les 30 000 soldats supplémentaires pour "stabiliser la situation". Quant aux morts irakiens, leur nombre varie de 200 000 à 1,2 million, selon les sources, sans compter les 4,5 millions de réfugiés que la guerre a déracinés et qui errent à l'intérieur de l'Irak et à l'étranger.
Pour le président américain, la situation en Afghanistan est tout aussi dramatique et les perspectives d'évolution sont sombres. Du temps de l'occupation soviétique, les Américains avaient l'habitude de se frotter les mains à cette période de l'année au moment où les montagnes afghanes entament leur processus de dégel et la résistance se préparait à intensifier ses attaques contre l'occupant que l'hiver limitait au strict minimum. Maintenant, l'armée américaine et ses alliés de l'OTAN se retrouvent dans la même situation que les Soviétiques dans les années 1980, redoutant le printemps comme la peste. En effet, les talibans que l'on croyait morts et enterrés, avant que Bush ne leur tourne subitement le dos en 2003, se préparent à profiter du dégel du printemps pour reprendre la guerre qu'ils livrent depuis deux ans contre les forces étrangères qui tiennent à bout de bras le régime de Hamid Karzai.
Comme si deux guerres ne sont pas assez, le président américain se retrouve, à 10 mois de la fin de son mandat, confronté à "la plus grave récession" qu'a connue l'Amérique "depuis 1945", selon beaucoup d'économistes américains. Par dizaines de milliers, les Américains sont en train de perdre leurs maisons qu'ils ne peuvent plus payer, leurs emplois que les entreprises ne peuvent plus assurer et beaucoup se retrouvent dans la rue sans toit ni source de revenues. Les banques les plus solides sont menacées et certaines d'entre elles, comme la prestigieuse Bear Stearns, ont fermé boutique, ce qui a poussé le gouvernement ultra libéral de George Bush d'intervenir pour injecter d'énormes sommes d'argent du contribuable dans le système bancaire pour aider les banques privées à résister à l'ouragan financier qui balaie la planète depuis quelques mois. Car, comme chacun sait, en Amérique et en Europe, les énormes bénéfices des banques sont privés et leurs énormes pertes sont publiques.
La guerre d'Irak est-elle responsable de cette crise économique qui prend des proportions planétaires? En tous cas elle n'y est pas étrangère. Selon le prix Nobel d'économie, l’Américain Joseph Stiglitz, "le désordre économique actuel et la guerre d'Irak sont très liés. Cette guerre est au moins partiellement responsable dans la flambée des prix de pétrole. Plus encore, les dollars dépensés en Irak n'ont pas stimulé l'économie américaine de la même manière que s’ils ont été dépensés aux Etats-Unis".
L'argent américain dépensé en Irak continue de hanter l'imaginaire. Le journaliste du New York Times, Nicholas Kristof, a fait son calcul et a trouvé que son pays dépense en Irak 5000 dollars chaque seconde, c'est-à-dire 411 millions de dollars par jour ou encore 12,5 milliards de dollars par mois. Ceci pour les dépenses immédiates. Joseph Stiglitz, lui, double la facture parce que, en bon économiste, il calcule tous les coûts, ceux du court terme, comme ceux du long terme. Et ceux du long terme, c'est-à-dire la prise en charge par le contribuable "pendant les 50 prochaines années" des dizaines de milliers de mutilés, de handicapés et autres victimes de la guerre. Au bout du compte, cette guerre aura coûté au contribuable américain 3 trillions de dollars, soit 3000 milliards de dollars. Plus clairement encore, la mésaventure militaire de George Bush aura coûté à chaque ménage américain de cinq personnes la bagatelle de 50 000 dollars.
Plus extraordinaire encore, Bush continue de financer sa guerre en empruntant massivement chez les Chinois, les Japonais et les pays pétroliers du Golfe, parce que, au lieu d’augmenter les impôts, comme le fait depuis la nuit des temps tout Etat qui entre en guerre, le président américain a fortement baissé les impôts en faveur des riches et refusé de revoir sa politique fiscale même après que la guerre se fut révélée excessivement coûteuse. Puisqu’un un jour ou l’autre ces dettes doivent être remboursées, bien des années après la guerre d’Irak et même après la mort de Bush, les Américains qui ne sont pas encore nés et qui sont déjà endettés jusqu’au cou continueront à payer des Chinois et des japonais qui sont déjà créanciers de l’Amérique bien avant leur naissance.

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