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Wednesday, April 09, 2008

La violence au nom de Dieu entre hier et aujourd'hui

Voici le texte de la conférence donnée par Hmida Ben Romdhane à Beit El Hikma le 9 avril dans le cadre du séminaire sur "La Violence" organisé du 9 au 11 avril 2008.



« Frère, si tu diffères de moi, tu m’enrichis », avait écrit Antoine de Saint-Exupéry. Si la sagesse et le bon sens contenus dans ces huit mots étaient suivis par les hommes, notre histoire et notre présent auraient eu un tout autre aspect. Mais ce n’est pas le cas. La différence, au lieu d’enrichir les hommes, elle les a divisés et dressés les uns contre les autres. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire et jusqu’à ce jour, le constat le plus frappant qui s’impose est que la caractéristique principale qui marque les rapports humains est la violence.

En termes d’intensité de la violence, de l’ampleur des dégâts humains et matériels, de l’étendue géographique des conflits et de la variété de leurs causes, le XXeme tient sans doute tous les records. En une seule journée, le 22 août 1914, pas moins de 27 000 soldats français étaient morts et pour la seule journée du 1er juillet 1916, 20 000 soldats britanniques étaient tombés sur le champ de bataille dans une orgie de violence aggravée par le perfectionnement technique de l’armement et par l’entrée, pour la première fois dans l’histoire, des avions dans les combats. La guerre de 1939-1945 a déchaîné la violence à une échelle planétaire. Engendrant plus de 60 millions de victimes, le second conflit mondial s’est terminée par une forme de violence inédite et terrifiante : deux bombes nucléaires ont été lancées le 6 août 1945 sur Hiroshima et le 9 août 1945 sur Nagasaki, provoquant l’agonie et la mort de centaines de milliers de Japonais dans des conditions atroces.

Entamé dans la violence avec le conflit de 14-18, le XXeme siècle s’est terminé dans la violence avec les guerres impitoyables qui ont suivi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. La réputation violente du XXeme siècle ne s’est pas démentie en Afrique où les guerres fratricides ont connu leur apogée avec le génocide rwandais qui a fait près d’un million de victimes, tuées pour la plupart à la machette, au milieu des années 1990.

Mais la violence la plus impitoyable, la plus soutenue et la plus aveugle reste celle déclenchée au nom de Dieu. La violence religieuse est sans doute antérieure aux trois religions monothéistes. Le sacrifice humain était une forme brutale et terrifiante de la violence religieuse, même si René Girard le considérait comme « un progrès » par lequel l’humanité avait tenté de canaliser cette violence en la transformant « d’une violence de tous contre tous en une violence de tous contre un », balisant ainsi la voie à l’émergence des conditions nécessaires à la vie sociale.

Les guerres de religion qui ont marqué l’histoire chrétienne et la violence de grande ampleur qui les a accompagnées marquent une régression par rapport au sacrifice humain. En inaugurant une ère de violence de tous contre tous, des catholiques contre les protestants, les guerres de religion ont incontestablement représenté une grande régression par rapport au sacrifice humain par lequel les sociétés antérieures aux religions monothéistes absorbaient l’excès d’agressivité du groupe. Le bouc émissaire était une institution indispensable. Il remplissait une fonction de régulation de la vie du groupe en faisant office d’exutoire.

Dans les guerres de religion, c’est la violence de tous contre tous. Deux groupes avec des conceptions irréconciliables du même Dieu se livrent à une lutte à mort marquée par l’éclipse de la raison et le règne de la passion aveugle.

Cette violence n’est pas le monopole d’une religion particulière, mais elle a marqué à un moment ou un autre toute religion qui se réclame d’un Dieu créateur. L’intensité de la violence et les formes multiples qu’elle revêt sont pratiquement les mêmes qu’il s’agisse d’une guerre inter-religieuse, comme dans le cas des Croisades, ou d’une guerre au sein d’une même religion, comme celles qui ont opposé durant des siècles les Chrétiens entre eux ou les Musulmans entre eux.

La violence religieuse se déclenche donc quand deux interprétations différentes du texte sacré entrent en collision. Les guerres de religion qui ont ravagé l’Europe aux XVIeme et XVIIeme siècles ont pour cause deux conceptions différentes du christianisme : la catholique et la protestante.

L’absence de l’idée même de dialogue entre les tenants des différents courants religieux s’explique par le fait que chaque courant se considère comme le dépositaire de la vérité sacrée dont la discussion est un sacrilège, un crime à l’encontre de Dieu. Le courant religieux dominant évolue en dogme et entreprend de combattre les autres en tant que courants hérétiques, « ennemis de Dieu », et donc à éliminer de la scène par tous les moyens.

La violence religieuse infligée aux « ennemis de Dieu » prend souvent le caractère d’une cruauté extraordinaire. L’inquisiteur, le croisé et le Djihadiste islamiste qui s’autoproclament serviteurs de Dieu se lancent dans une guerre totale contre ceux qu’ils considèrent comme ennemis de leur foi. Tout sens de la mesure et tout sentiment de pitié ou de modération sont absents de la guerre religieuse. Ses acteurs deviennent des illuminés dont l’intensité de la foi est proportionnelle à l’intensité de la cruauté avec laquelle ils traitent leurs ennemis. En d’autres termes, plus l’inquisiteur, le croisé ou le Djihadiste islamiste se montrent impitoyables avec ceux qu’ils considèrent hérétiques, ennemis de Dieu ou infidèles, mieux, pensent-ils, ils servent leur Dieu.

Pour prendre l’exemple de l’inquisition, la passion religieuse bouillonnante qui caractérise l’inquisiteur fait que celui-ci redouble d’imagination pour infliger à l’hérétique la souffrance la plus intense possible. André Lorulot a consacré un chapitre de son livre : « Barbarie Allemande et Barbarie Universelle » à la violence exercée par l’inquisition en Europe. Il rapporte quelques unes des formes de violences inquisitoriales les plus terrifiantes. Lorulot écrit notament : «Ainsi la victime avait la plante des pieds exposée sur un bûcher ardent ; ou bien on introduisait à l'aide d'un entonnoir dans la bouche de 6 à 12 litres d'eau ; on la montait au plafond à l'aide d'une poulie et on la laissait retomber brusquement pour lui disloquer les membres ; on lui versait du plomb fondu dans la bouche ; on lui donnait des lavement d'huile bouillante ; on lui arrachait les yeux de leurs orbites et on versait du sel à leur place ; on arrachait les seins avec des tenailles rougies au feu ; on gonflait le condamné à l'aide d'un soufflet jusqu'à la faire crever ; on lui arrachait la langue, le nez, les oreilles, les ongles ; on l'épilait lentement ; on lui coupait les membres un à un, ou on le dépeçait tout vivant ; on le couchait sur une planche garnie de clous ; on l'empalait ; on l'écartelait ; on le privait d'air, de sommeil, de nourriture, d'eau ; on le flagellait ; on le rouait ; on lui faisait éclater les os des pouces, des bras, des jambes, en les serrant dans divers instruments à l'aide de vis ; on lui mettait sur la tête des cercles de fer rougis au feu ; on lui versait de la poudre à canon dans la bouche et on l'enflammait...»

Les guerres de religion, si elles ne comportaient pas de violence aussi recherchée et aussi terrifiante, n’en avaient pas moins été génératrices de violence à grande échelle dont étaient victimes au nom de Dieu des millions de personnes. Rien qu’en France, il y avait eu pas moins de neuf guerres de religion qui avaient endeuillé le pays, le rendant ingouvernable pendant des décennies.

Pendant près de deux siècles, de 1095, date de la première croisade, à 1274, date de la neuvième et dernière croisade, les guerres au nom de Dieu avaient déchaîné un torrent de violence horrible entre Chrétiens et Musulmans dont les conséquences, neuf siècles et demi après, n’ont toujours pas disparu. Dans son livre « Les Croisades selon les Arabe », Amin Maalouf rapportait des scènes de cannibalisme. A court de nourriture, les Croisés avaient mangé leurs victimes musulmanes dans la ville syrienne de Ma’arra.

Evidemment, la violence au nom de Dieu n’est pas le monopole de la religion chrétienne. La religion musulmane a une histoire tout aussi sanglante et les violences infligées par les Musulmans à leurs coreligionnaires n’ont rien à envier, en termes de cruauté, aux violences que s’infligeaient les Chrétiens entre eux. Sur les quatre successeurs du prophète Mohammed, trois étaient morts violemment. Même les descendants directs du prophète n’ont pas échappé à la violence religieuse. Son petit fils Hussein était sauvagement assassiné, sa tête coupée et son corps mutilé. Son assassin Yazid Ibn Mouawya était sans doute convaincu qu’il servait Dieu et les intérêts de l’Islam en commettant son forfait. C’est sans doute aussi au nom de Dieu qu’Al Hajjaj Ibn Youssef avait massacré un bon nombre des habitants de la Mecque, décapité le plus célèbre d’entre eux, Abdullah Ibn Zoubeir, et offert sa tête en « cadeau » au Calife omeyyade Abdelmalek Ibn Marwane.

Ce sont là quelques exemples parmi les morts les plus violentes et les plus célèbres de l’histoire tumultueuse de l’Islam. Même si l’islam n’a pas connu des guerres de religion aussi ravageuses et aussi violentes que celles qui ont marqué l’histoire de la chrétienté, les Musulmans n’en ont pas moins souffert des « fiten » (pluriel de fitna), ces conflit religieux que se sont livrés hier et que continuent de se livrer aujourd’hui les deux principaux courants qui forment l’Islam : le sunnisme et le chiisme. Un nombre incalculable de musulmans sunnites et chiites sont morts dans des guerres absurdes menée au nom du même Dieu, celui des Sunnites et des Chiites.

L’extraordinaire violence générée durant un siècle et demi par les guerres de religion avait désorienté de nombreux penseurs et philosophes européens qui s’étaient penché sur la question pour tenter de trouver une issue à ce fléau qui rendait la vie des Européens infernale. Le plus célèbre d’entre eux à l’époque était l’Anglais Thomas Hobbes dont l’œuvre maîtresse, « Le Léviathan », écrite en 1651, est toujours enseignée dans les universités en tant qu’œuvre politique majeure.

La préoccupation majeure de Hobbes était de savoir comment apaiser les passions dogmatiques et sortir l’Europe du labyrinthe infernal des guerres de religion. A l’époque, le rôle des théologiens était d'enseigner les commandements de Dieu et de mettre tout en œuvre pour que ceux-ci fussent traduits en règles morales, sociales et politiques.

Hobbes tourna le dos à la substance des commandements de Dieu et concentra son attention sur la double question pourquoi et comment les êtres humains étaient-ils arrivés à croire que c’est Dieu qui avait révélé ces commandements ? En posant cette double question et en tentant d’y répondre, Hobbes jeta les bases d’une révolution dans la pensée européenne. Le défi majeur pour lui était de détourner l’attention et les préoccupations des gens de Dieu et ses commandements vers l’homme et ses croyances. C’est seulement à cette condition, pensait-il, que l’on arrivera à comprendre pourquoi les convictions religieuses menaient souvent aux conflits politiques, et c’est seulement alors que l’on pourra mettre un terme à la violence.

Pour Hobbes, l’homme est si faible et son esprit est si dominé par la passion que quand il parle de Dieu et de ses commandements, il ne peut le faire qu’à partir de sa propre expérience. Et qu’est ce qui caractérise le plus cette expérience ? Pour Hobbes, c’est incontestablement la peur. Pour le penseur anglais les choses sont assez simples. Quand il a pris conscience de son existence, l’homme a pris en même temps conscience de sa condition précaire sur une planète aussi étrange que dangereuse. Certes cette planète fonctionne avec une régularité de métronome et lui offre les conditions de vie biologique. Mais elle ne lui offre ni sécurité ni capacité de percer les mystères qui l’entourent.

Ne sachant ni d’où il vient ni où il va, l’homme, selon les propres termes de Hobbes, vit « à longueur de journée le cœur rongé par la peur de la mort, la pauvreté et autres calamités. Il ne se repose de cette angoisse que pendant le sommeil. » Vivant constamment dans la peur et l’angoisse, l’homme n’avait d’autre choix que de se confectionner des idoles, de leur attribuer des pouvoirs divins et de croire que ces pouvoirs peuvent le protéger. Dans son désarroi, l’homme s’est choisi des divinités aussi variées que déroutantes. C’est ainsi qu’il a attribué des pouvoirs divins, nous dit Hobbes, à « des hommes, des femmes, un oiseau, un crocodile, un veau, un chien, un serpent, un oignon, un poireau. »

A un certain moment de leur évolution, les hommes ont commencé à croire en un Dieu tout puissant. Pour Hobbes, cette croyance générait une peur et une angoisse : Qu’adviendrait-il si ce Dieu se mettait en colère ? Que feraient-ils pour échapper à l’ire divine. Cette peur et cette angoisse étaient, selon Hobbes, un fonds de commerce pour les prophètes et les prêtres qui s’étaient imposés comme les interprètes de la volonté divine auprès des hommes, leur expliquant ce que Dieu leur commande de faire et de ne pas faire et leur enjoignant de suivre à la lettre ces commandements s’ils ne veulent pas risquer sa colère.

Hobbes n’était pas un croyant, mais il savait que l’homme avait besoin de foi et de croyance en Dieu. Pour lui, il était donc hors de question de se livrer à un travail de réfutation de la foi et de la croyance pour rendre possible son projet d’une nouvelle pensée politique qui prendrait l’homme et non Dieu comme centre de sa préoccupation. En revanche, ce qui était possible de faire, c’est de tenter de jeter le discrédit et la suspicion sur ceux qui font de la politique au nom de Dieu. Ce qui était possible de faire, c’est de baliser la voie à une nouvelle pensée politique qui s’occuperait des affaires des hommes en tant que croyants et qui, en même temps les empêcherait de s’entretuer.

Le grand mérite de Hobbes est d’avoir jeté les bases d’un changement majeur : la théologie politique centré sur Dieu allait progressivement être remplacée par la philosophie politique centré sur l’homme. Son grand mérite est d’avoir ouvert la voie à la « Grande Séparation ». Séparation entre la politique et la religion, entre l’église et l’Etat.

Hobbes n’était ni un libéral ni un partisan de la démocratie participative. Son but ultime était de voir la paix civile assurée entre les hommes qu’il qualifiait, soit dit en passant, de « loups les uns pour les autres ». Et cette paix, toujours selon lui, ne pourrait être assurée que si le pouvoir politique, libéré de l’influence de la religion, était détenu par un gouvernant fort en mesure de forcer les hommes de se libérer de leurs peurs mutuelles et de leurs pulsions agressives.

Plus tard, le concitoyen de Hobbes, John Locke, et les penseurs français, principalement Voltaire, Montesquieu et Rousseau, tout en soutenant le principe de la « Grande Séparation », introduiront le concept de l’assujettissement du pouvoir à la loi, ouvrant la voie à la revendication démocratique.
Les changements désirés par Hobbes et par les philosophes des Lumières s’avèreront lents et ardus. Ils prendront non pas des années ou des décennies pour se concrétiser, mais des siècles. L’on peut dire que le pouvoir politique, dans sa forme purement laïque, tel que préconisé par Hobbes, et démocratique, tel que préconisé par les philosophes des Lumières, ne s’est concrétisé en Europe et en Amérique du nord qu’au cours du XXeme siècle.

Les terribles violences qu’a connues le XXeme siècle (première guerre mondiale, révolution russe, guerre civile espagnole, deuxième guerre mondiale, révolution chinoise, guerre de Corée, guerres d’Indochine, guerre d’Algérie, guerres israélo-arabe, guerres civiles et génocides en Afrique etc…) étaient engendrées par des conflits déclenchés pour des motifs nationalistes, identitaires, idéologiques ou tribaux.

L’année 1979 sera retenue par l’histoire comme étant l’année qui a vu le réveil brusque de la violence au nom de Dieu après un long sommeil. En février de cette année, un grand soulèvement secoua l’Iran. Initiée par l’Imam Khomeiny, la révolution islamique iranienne était déclenchée au nom de Dieu contre le régime du Chah, considéré comme impie par les mollahs iraniens. C’était le plus grand déferlement de violence au nom de Dieu auquel on assistait au XXeme siècle.

En décembre de la même année, les troupes soviétiques envahirent l’Afghanistan. Peu de temps après, une résistance se réclamant de l’Islam s’organisa contre l’occupant athée. Après la défaite des l’Union soviétique, la résistance, toujours au nom de Dieu, s’entredéchira dans une orgie de violence qui se poursuit jusqu’à ce jour.

En 1991, l’Algérie sombra à son tour dans un cycle infernal de violence déclenchée au nom de Dieu contre le régime politique algérien. Le groupe islamique armé (GIA), ne pouvant affronter l’armée algérienne, se déchaîna contre la population civile dont des centaines de milliers tombèrent victimes des tueurs islamistes, y compris les femmes, les vieillards et les enfants égorgés impitoyablement. Les idéologues du GIA iront même jusqu’à décréter une fatwa rendant licite l’égorgement des enfants au nom de Dieu. Les enfants n’ont pas de place dans ce monde corrompu, nous expliquaient ces idéologues, et il était donc de leur intérêt qu’ils fussent égorgés.

C’est dire le degré de folie qui s’était emparé des terroristes algériens qui croyaient servir Dieu en faisant régner la terreur pendant une longue décennie. En égorgeant leurs concitoyens, les terroristes algériens étaient si convaincus qu’ils menaient une guerre sainte au service de Dieu que pendant le mois de ramadan, considéré par eux comme le mois du Djihad, ils redoublaient d’ardeur meurtrière. Les statistiques montrent que pendant tous les mois de ramadan de la décennie sanglante en Algérie, le nombre des morts était nettement plus élevé que dans les autres mois.

Dix sept ans après, la violence au nom de Dieu en Algérie n’est pas totalement contenue. Des convulsions violentes se manifestent encore de temps à autre à travers des attentats-suicide à la voiture piégée ou à travers des guets-apens tendus par les terroristes à des membres de l’armée ou de la police algérienne.

Le XXIeme siècle a commencé avec une violence terrifiante d’une ampleur inédite. C’est au nom de Dieu que 19 terroristes arabes ont transformé des avions de ligne occupés par des passagers innocents en missiles lancés contre les deux tours jumelles, à New York, et contre le Pentagone, dans la banlieue de Washington. Les conséquences sont terribles : quelque 3000 personnes sont mortes sous les décombres et dans les avions qui n’avaient pas atteint leurs cibles. La plus grande puissance du monde entreprit aussitôt de mobilier son armée et de la lancer dans des guerres aux motivations d’une grande complexité où s’enchevêtrent les motivations psychologiques liées au désir brûlant de vengeance, des motivations politico-stratégiques que tentaient de concrétiser certains cercles intellectuels et politiques américains plusieurs années avant les attaques du 11 septembre, et des motivations religieuses liées la singularité du président américain George Walker Bush, qui, se considère comme un « born gain » (né de nouveau), et à l’extraordinaire influence des dizaines de millions d’évangélistes qui l’ont porté au pouvoir.

Le développement extraordinaire de la violence en ce début du XXIeme siècle est dû, dans une large mesure, à la présence concomitante sur la scène mondiale d’Ousama Ben Laden, chef de la nébuleuse d’Al Qaida, et de George Bush, l’un et l’autre se réclamant de Dieu et l’un et l’autre croyant dur comme fer que c’est Dieu qui les a choisis pour combattre « le mal ». Chacun de ces deux personnages croient sans l’ombre d’un doute que l’autre, et les forces qui se trouvent derrière, représentent le « mal » à détruire.

Il faut avoir présent à l’esprit que jusqu’à la fin des années 1980, Ben Laden et son organisation étaient les alliés fidèles des Etats-Unis qui les ont financés généreusement et armés méthodiquement durant la guerre qu’ils menaient, à côté des combattants afghans, contre les troupes soviétiques. Dans un livre publié en 2006, intitulé « Ghost wars », que l’on peut traduire par « Les guerres de l’ombre », le journaliste américain, Steve Coll, avait parlé de ces valises bourrées de billets de cent dollars distribuées généreusement par la CIA aux organisations des combattants afghans et à l’organisation de Ben Laden. La rupture entre celui-ci et les Etats-Unis était intervenue au début des années 1990, quand l’armée américaine avait débarqué un demi million de ses soldats en Arabie Saoudite, quelques mois après l’invasion du Koweït, pour expulser les troupes irakiennes. C’était le début du retournement de Ben Laden contre ses anciens alliés et de sa conviction que Dieu, après lui avoir ordonné de combattre la puissance soviétique et de la battre, il lui ordonne cette fois de faire de même avec la puissance américaine.

Les interventions enflammées d’Ousama Ben Laden et de son adjoint Aymen Dhawahri sur Al Jazira, exhortant au nom de Dieu les Musulmans à recourir à « la violence libératrice contre les puissances impies », sont trop connues pour qu’on s’y étende ici.

En revanche, il est peut-être utile de s’attarder un peu sur les convictions religieuses de Georges Bush qui ont indéniablement joué un rôle dans le déclenchement à grande échelle de la violence en ce début du XXIeme siècle. Au lendemain des attaques du 11 septembre, Bush a affirmé que l’Amérique doit se préparer à mener « une croisade contre le terrorisme ». Trois jours après, il a parlé de la responsabilité des Etats-Unis consistant à « débarrasser le monde du mal ». Aussitôt après il informa le Congrès que « Dieu n’est pas neutre dans la guerre contre le terrorisme ».

En juin 2003, un journal israélien, qui s’était procuré une copie des minutes de la rencontre entre Bush et une délégation palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, a publié l’extrait suivant d’une confidence faite par le président américain à ses hôtes palestiniens : « Dieu m’a dit d’aller frapper Al Qaida, et je l’ai fait. Ensuite Dieu m’a ordonné d’aller frapper Saddam Hussein, et je l’ai fait ». Cette confidence qui a fait beaucoup de bruit à l’époque et que la Maison blanche a refusé de commenter, a été confirmée à la BBC avec plus de détails par Nabil Chaath, qui faisait partie de la délégation : « Bush nous dit à tous, je suis chargé d’une mission par Dieu. Dieu m’a dit George, va combattre les terroristes en Afghanistan, et je l’ai fait. Ensuite Dieu m’a dit George va mettre fin à la Tyrannie en Irak, et je l’ai fait. Maintenant Dieu m’a dit va donner aux palestiniens leur Etat. »

En juillet 2004, alors qu’il était en campagne pour sa réélection, Bush parlait en ces termes à une foule de la secte Amish dans la ville de Smoketown, en Pennsylvanie : « Je crois que Dieu parle à travers moi. Sans cela, je ne pourrais pas faire mon travail. » Ces propos étranges ont été rapportés par le journaliste Jack Brubaker dans l’hebdomadaire américain, « Mennonite Weekly Review ».

D’après Stephen Mansfield, auteur du livre « La foi de George W. Bush », la décision de celui-ci de se présenter à l’élection présidentielle de 2000, est intervenue après qu’il eût assisté à un prêche dans une église au Texas conduit par le révérend Mark Craig qui expliquait à l’assistance les circonstances dans lesquelles Moïse fut appelé au service de Dieu. A la fin du prêche, la mère de George Bush se tourna vers son fils et lui dit : « C’est à toi qu’il était en train de parler ». Toujours d’après Stephen Mansfield, « peu de temps après, Bush appela James Robison (une haute autorité religieuse au Texas) et lui dit : « j’ai entendu l’appel. Je crois que Dieu veut que je me présente à l’élection présidentielle ». Ce choix de George Bush par Dieu est confirmé par une autre source. Le révérend Richard Land, de la Convention baptiste du Sud a affirmé : « entre autres choses que Bush nous a dites : je crois que Dieu veut que je sois président ».

Après les attaques du 11 septembre, les fervents partisans de George Bush se trouvèrent renforcés dans leur croyance que « c’est bien Dieu qui l’a choisi pour protéger l’Amérique et le monde contre le mal ». Une présentatrice célèbre d’une radio chrétienne, Janet Parshall, n’hésita pas à s’adresser aux millions d’évangélistes en ces termes : « Dieu a choisi l’homme qu’il faut au moment qu’il faut pour l’objectif qu’il faut ». Le général William Boykin, l'un des responsables des violences indicibles infligées aux prisonniers d’Abu Ghraib et de Guantanamo notamment, est allé plus loin encore : « Pourquoi, s’est-il demandé, cet homme est à la Maison blanche alors que la majorité des Américains n’a pas voté pour lui ? Il est à la Maison blanche parce que Dieu l’y a mis à ce moment précis ». Rappelons ici que George Bush a eu 500.000 voix de moins que son rival Al Gore pendant l'élection présidentielle de novembre 2000. La spécificité complexe du système électoral américain fait les électeurs élisent un collège de grands électeurs qui eux élisent le président. Après un long imbroglio politico-judiciaire, la Cour suprême dut intervenir. Elle désigna finalement George Bush comme président en décembre 2000 par cinq voix contre quatre. Il n'est donc pas étonnant le général Boykin et les millions d'évangélistes y voient un signe de Dieu.

Le Magazine Time rapporta qu’ « en privé, Bush estime avoir été choisi par la grâce de Dieu pour diriger en ce moment. » Tim Goeglein, un haut responsable de la Maison blanche, cité par une publication des Chrétiens conservateurs a affirmé : « Je crois que le président Bush est l’home de Dieu à cette heure-ci, et je le dit avec un grand sens de l’humilité ». Même le vieux Bush est entré dans la danse en spéculant que peut-être était-il écrit quelque part qu’il devait perdre l’élection de 1992 face à Bill Clinton, afin que son fils puisse devenir président : « Si j’avais gagné cette élection de 1992, mon fils aîné n’aurait pas été président des Etats-Unis, a-t-il dit. Je crois que le Seigneur œuvre d’une manière mystérieuse », a affirmé George Herbert Bush, cité par Steven Waldmann, dans un article intitulé « Does God endorse George Bush ? » (Dieu endosse-t-Il George Bush ?), publié sur Internet le 13 septembre 2004. Notons enfin que, dans son livre « Bush at war » (Bush en guerre), Bob Woodward rapporta le dialogue suivant avec le président américain : « - Demandez-vous des conseils à votre père avant de prendre une décision ? – Non, j’ai un Père Supérieur à qui me je me réfère », lui a répondu Bush sans la moindre hésitation.

La violence qui déchire depuis plus de cinq ans maintenant l’Irak, et qui a atteint une intensité hallucinante, est dû essentiellement au fait que, d’un côté, Ben Laden, fort de ses hordes de kamikazes, croit que Dieu lui ordonne de terrasser le mal symbolisé par Bush, et de l’autre, le président américain, au commandement de l’armée la plus puissante du monde croit que c’est Dieu qui lui ordonne de terrasser le mal symbolisé par Ben Laden.

La violence en Irak a commencé avec la guerre d'agression imposée au peuple irakien par l'administration américaine dominée par ce qui est communément appelé les néoconservateurs. Cette violence illégitime déclenchée par l'armée américaine contre un pays souverain, membre de la l'ONU, de la Ligue arabe et l'Organisation de la Conférence islamique, a été au départ combattue par une violence tout à fait légitime, elle, puisqu'elle s'opposait à l'occupation de l'Irak et oeuvrait à mettre l'occupant dehors.

Deux raisons fondamentales expliquent l'évolution désastreuse de l'Irak vers une violence anarchique, nihiliste même, et dont les protagonistes, tout en se réclamant de Dieu, se livrent jusqu'à ce jour à des massacres d'une violence et d'une cruauté rarement vues dans l'histoire. La première est la décision désastreuse du premier représentant de Bush à Bagdad, Paul Bremer, de dissoudre l'armée irakienne et de renvoyer chez eux les centaines de milliers d'employés de l'administration baathiste. La deuxième raison est la détermination de l'organisation de Ben Laden à empêcher toute stabilisation de l'Irak en recourant au massacre massif des civils irakiens à coups de voitures piégées et de kamikazes ceinturés d'explosifs qui se font exploser au milieu de la foule.

Non contente des ravages qu'elle cause elle-même parmi les civils dans les marchés, les écoles, les administrations et même les hôpitaux, Al Qaida a tout fait pour réveiller les démons de la guerre confessionnelle. Elle a réussi au-delà de ses espérances en faisant sauter en février 2006 la mosquée au dôme doré de Samarraa, un haut lieu du culte chiite. Depuis, les sunnites et les chiites, qui ont coexisté depuis des siècles en Irak et qui se réclament du même Dieu et du même livre saint, se livrent une bataille d'une rare violence qui détruit tout sur son passage: la vie des simples citoyens dans la rue, celle des fidèles priant dans les mosquées, celle des pèlerins dans les hauts lieux de pèlerinage des villes saintes de Najaf et Karbala, les propriétés publiques et privées. Même les mosquées et les lieux de culte ne sont pas épargnés et subissent les ravages des illuminés de tous bords qui tuent et détruisent en criant hystériquement "Allahou Akbar" (Dieu est grand).

Dans les années 2005 et 2006, quand la violence atteignait son apogée, on dénombrait plus de cent morts ramassés quotidiennement dans les rues irakiennes. La plupart d'entre eux portaient de terribles traces de torture, témoignant de leur agonie atroce.

La nouvelle forme de violence introduite au nom de Dieu par les illuminés d'Al Qaida en Irak est inédite dans ses méthodes, sa cruauté et son nihilisme. Les jeunes utilisés par Al Qaida dans ses attaques-suicide se caractérisent par deux trait principaux: l'ignorance et la simplicité d'esprit puisqu'ils se laissent facilement convaincre que les vierges les attendent impatiemment là haut et que pour les retrouver, il faut se sacrifier pour Dieu en se faisant exploser au milieu de la foule. Peu importe que cette foule se regroupe pour se faire embaucher par un employeur privé, par l'armée ou la police ou qu'elle se regroupe dans un marché pour faire ses courses. L'essentiel pour les nihilistes d'Al Qaida est qu'il y ait le plus grand nombre de morts.

Le candidat à l'attentat-suicide est "convaincu" au préalable par les démagogues d'Al Qaida que toute cette foule qui vaque à ses occupations dans les lieux publics, de par son indifférence, de par son manque d'engagement dans l'œuvre djihadiste d'Al Qaida, constitue un obstacle à l'édification de l'Etat islamique, donc coupable. Ainsi, débarrassé de tout scrupule moral, le kamikaze au volant d'une voiture bourrée d'explosifs peut foncer avec une conscience tranquille sur une foule sur un marché et faire, en l'espace de quelques secondes, des dizaines de morts et des centaines de blessés.

L'obsession des illuminés d'Al Qaida de verser quotidiennement le maximum de sang possible, peut importe que ce sang soit celui de l'occupant, des forces de l'ordre locales ou celui de simples passants, est visible dans les stratagèmes effroyables auxquels ils recourent. L'un de ces stratagèmes consiste à envoyer un premier kamikaze se faire exploser au milieu d'une foule. Au moment où les secouristes et les sauveteurs commencent à évacuer les blessés en priorité, le second kamikaze en attente fonce sur les sauveteurs, les secouristes et les blessés du premier attentat. Un autre stratagème non moins effroyable consiste à envoyer un kamikaze se faire exploser dans un enterrement au milieu de la foule qui accompagne un mort vers sa dernière demeure.

Il serait instructif de rappeler ici un événement tiré de l'histoire tumultueuse de la Russie du début du XXeme siècle, événement qui avait marqué Albert Camus à un point tel qu'il en avait fait le thème central de son œuvre intitulée "Les Justes". En 1905 un jeune terroriste nommé Yanek Kaliayev, membre d'une organization révolutionnaire russe, a refusé de lancer une bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicholas II, quand il a vu qu'il était accompagné de deux enfants. Quelques jours plus tard Kaliayev a lancé la bombe quand le grand-duc était seul.

Camus était à la fois séduit et horrifié par le geste de Kaliayev. Séduit parce que le jeune terroriste qui cherchait à servir sa cause révolutionnaire, était en même temps soucieux de faire le minimum de victimes possible. Horrifié parce que même la mort d'un seul être humain sacrifié pour un idéal était pour lui inacceptable, car pour Camus le terrorisme est indéfendable quels qu'en soient les buts proclamés. "La vie d'un innocent a plus de poids et de valeur qu'un idéal qui se révèle le plus souvent un mirage", telle est l'idée centrale autour de laquelle est construite la pièce de Camus inspirée de l'attentat perpétré en 1905 contre l'oncle du tsar.

Si Camus était horrifié par la mort d'un seul homme tué pour un but politique bien précis, quelle aurait été sa réaction s'il avait assisté aux massacres massifs d'innocents, perpétrés au nom de Dieu par l'organisation terroriste d'Al Qaida ? Si Camus était horrifié par la mort d’un seul homme tué pour un but politique bien précis, quelle aurait été sa réaction s’il avait assisté à la destruction d’un pays de 25 millions d’habitants pour des motifs qui se sont révélés tous plus mensongers les uns que les autres? On pourrait supposer que de telles actions extrêmes étaient présentes dans l'esprit de Camus dans la mesure où il s'est posé la question des limites de l'action. Y-a-t-il une limite à ne pas dépasser?

Moins de trois décennies avant l'action terroriste de Yanek Kaliayev, Fiodor Dostoïevski, dans "Les frères Karamazov", défendait bec et ongles l'idée que "si Dieu n'existait pas, tout serait permis". Cette idée centrale de la pensée politico-religieuse du grand écrivain russe ne résiste pas aux attitudes extrêmes de Kaliyaev d'une part et des terroristes d'Al Qaida et des évangélistes et néoconservateurs américains d'autre part. Kaliayev, le révolutionnaire athée, a ajourné le lancement de sa bombe sur le grand-duc Serge parce qu'il était accompagné de deux enfants. Les terroristes d'Al Qaida, qui ne prononcent pas une seule phrase sans la faire précéder de la formule :"au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux", recourent aux stratagèmes les plus sataniques pour massacrer le maximum d'innocents possible au nom de ce Dieu qu'ils invoquent à tout bout de champ. Kaliyaev, le révolutionnaire athée, a ajourné le lancement de sa bombe sur le grand-duc Serge parce qu’il était accompagné de deux enfants. George Bush qui se croit l’élu de Dieu à la Maison blanche a détruit un pays, provoqué la mort d’un million d’Irakiens et le déplacement de quatre millions à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Irak.

La différence entre Yanek Kaliayev d’une part et Oussama Ben Laden et George Bush d’autre part est que, à l'une des questions fondamentales que l'humanité s'est toujours posée :"Y-a-t-il une limite à ne pas dépasser?", le premier a répondu "oui" et les deux derniers ont répondu "non". C'est parce que Ben Laden et ses partisans et Bush et ses néoconservateurs pensent qu'il n'y a aucune limite qui soit infranchissable que le monde arabe est entré de plain pied dans l'une des périodes les plus sombres et les plus dangereuses de son histoire.

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