airelibre

Sunday, December 30, 2007

Saddam, un an déjà

Vae Victis


Par Hmida Ben Romdhane





C’est connu depuis la nuit des temps, le vaincu est à la merci du vainqueur. Vae Victis disaient les Romains. Malheur aux vaincus. Saddam a été pendu au petit matin du 30 décembre 2006 non pas, au fond, parce qu’il a été condamné à mort par un tribunal, mais parce qu’il a été vaincu. Vaincu non par son peuple, mais par une force étrangère qui a décidé illégalement et unilatéralement de renverser le régime d’un Etat souverain et de livrer le pays à l’anarchie et à la guerre civile.
Le gouvernement irakien a étonné le monde entier par son empressement à exécuter la sentence contre l’ancien président Saddam Hussein et par le choix d’un jour de fête, Aïd Al Idha, pour pendre un homme dont le procès, le moins qu’on puisse dire, fut entaché par d’innombrables irrégularités. En guise de procès, nous avons assisté pendant de longs mois à une mascarade télévisée où les empoignades incessantes et les coups de gueule entre les juges et les accusés ont remplacé les débats et l’argumentation juridique.
Dans tout le monde musulman, le jour de l’Aïd est une occasion pour la réconciliation et le pardon. Et l’Irak, plus que tout autre pays au monde a précisément besoin de réconciliation et de pardon. Et le gouvernement irakien, plus que tout autre force en Irak, a besoin de réconciliation et de pardon pour qu’il puisse gouverner et protéger les citoyens, qu’il prétend gouverner, contre la violence apocalyptique qui les broie. Mais au lieu de s’employer à assurer les conditions de la réconciliation au sein d’une société déchirée par la violence inter-ethnique et ivre de haine et de rancœur, le gouvernement irakien a choisi malheureusement de nourrir encore plus cette haine et d’oxygéner ces rancœurs. Il a choisi délibérément un jour de fête musulmane pour tuer un vieillard vaincu et humilié. Il a choisi le jour de l’Aïd pour verser de l’huile sur le feu de la violence ethnique qui consume le pays. Il a choisi le jour de l’Aïd pour engager le pays qu’il prétend diriger vers plus de violence, de haine et de sang.
Saddam a été indiscutablement un dictateur et a commis sans aucun doute d’immenses erreurs qui ont provoqué le malheur de son peuple et de son pays. Mais ce n’est pas son peuple qui l’a renversé. Ce n’est pas son peuple qui l’a jugé. Ce n’est pas son peuple qui l’a condamné à mort. Tout ça a été entrepris par une puissance étrangère qui, avant de condamner à mort Saddam, a condamné tout un peuple à une descente aux enfers. Le procès a été une mascarade du début à la fin et les fils ont été tirés par des gens qui se trouvent à dix mille kilomètres de Bagdad, plus précisément à Washington.
Le plus étrange est que Saddam a été pendu alors qu’un autre procès est déjà en cours. L’ancien président irakien avait comparu déjà à plusieurs reprises au procès relatif à l’affaire des « Anfal ». Vers la fin des années 1980, la guerre Iran-Irak touchait à sa fin et Saddam, voulant punir les Kurdes qui avaient collaboré avec l’ « ennemi iranien », aurait bombardé à l’arme chimique les Kurdes de Halabja, faisant « des milliers de morts ». C’est l’accusation principale du second procès dont l’accusé a été exécuté avant l’élucidation de cette affaire. Une première dans les annales judiciaires internationales !
En fait, si l’affaire de Halabja ne concernait que Saddam Hussein, si elle ne mettait en valeur que les atrocités de l’ancien président irakien, les Américains auraient peut-être ordonné au gouvernement de Nouri al-Maliki de ne pas l’exécuter avant la fin du procès. Mieux encore, ils auraient commencé par cette affaire et non par celle de « Doujail », nettement moins importante. Mais voilà, il se trouve que dans cette affaire de bombardement chimique des Kurdes de Halabja, il aurait été particulièrement difficile de limiter les débats du procès à la seule responsabilité de Saddam. Il aurait été particulièrement difficile d’ignorer la question de savoir qui a vendu à l’Irak les armes chimiques avec lesquelles il a bombardé les Kurdes. Il aurait été particulièrement difficile de ne pas aller à l’origine de la guerre Iran-Irak et de parler des pays qui ont encouragé Saddam à croiser le fer avec Khomeiny.
Peut-être Saddam attendait-il ce procès avec impatience pour mettre les points sur les « i », pour donner les noms des sociétés américaines, françaises et allemandes qui l’ont armé jusqu’aux dents. Peut-être se préparait-il à faire un grand déballage pour dire des secrets sur l’origine de la guerre Iran-Irak que certains n’aimeraient pas entendre, ou encore pour faire un compte rendu de sa réunion avec un certain Ronald Rumsfeld en 1983, quand le président Ronald Reagan l’avait envoyé à Bagdad pour l’assurer du soutien de l’Amérique qui vendait déjà secrètement des armes à l’Iran…
Une chose est sûre : Saddam ne parlera plus de ces choses gênantes. Une autre chose est sûre : sa pendaison n’aidera en rien George Bush à sortir du bourbier infernal dans lequel il a englué son armée et son pays.



30 décembre 2006

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