airelibre

Sunday, December 30, 2007

Le Pakistan dans la tourmente

Le Liaquat Bagh (Park Liaquat) à Rawalpindi où Benazir Bhutto a été assassinée jeudi dernier n’est pas à son premier assassinat politique. Déjà en octobre 1951, le Premier ministre pakistanais Liaquat Ali Khan y était abattu par un extrémiste afghan et, depuis, le célèbre parc porte le nom de sa première victime. A trois kilomètres de là, le père de Benazir, Zulfikar Ali Bhutto était pendu en 1979 par le général Zia ul Haq qui l’avait renversé dans un coup d’état deux ans plus tôt. Celui-ci fut lui-même tué neuf ans après dans un mystérieux accident d’avion qui, jusqu’à ce jour, n’a pas été élucidé. Les deux frères de Benazir étaient morts l’un empoisonné à Nice, dans le sud de la France, l’autre tué par balles au Pakistan quelque temps après son retour d’exil.
Né dans la violence en 1947 suite à la tragique partition de l’Inde, le Pakistan demeure jusqu’à ce jour l’un des pays les plus violents et les plus dangereux du monde. L’assassinat de Benazir Bhutto déchaîne les passions et risque de jeter le pays dans un nouveau cycle de violence infernale. Certains redoutent même que le pays n’entre dans une guerre civile déstabilisatrice qui ferait le malheur des Pakistanais et le bonheur des terroristes d’Al Qaida qui, depuis des années, cherchent à tuer le président pakistanais Pervez Musharraf.
Benazir Bhutto a-t-elle été assassinée par les terroristes d’Al Qaida ? La réponse est oui selon le ministre pakistanais de l’intérieur, qui affirmé il y a deux jours : « Nous avons la preuve qu’Al Qaida et les talibans sont derrière l’attentat suicide » qui a tué la présidente du Parti du peuple pakistanais (PPP). La preuve, d’après un porte-parole du ministère de l’intérieur, est « un appel intercepté dans lequel le chef d’Al Qaida au Pakistan, Baitullah Mehsoud, félicitait ses partisans ».
Dans sa dernière interview donnée au magazine américain Newsweek le 12 décembre, Benazir Bhutto disait avoir été informée qu’un attentat se préparait contre elle « autour du 21 décembre ». Mais Benazir avait aussi fait part de « la connivence entre les services secrets pakistanais (ISI) et des politiciens à la retraite qui étaient toujours opposés à la famille Bhutto ». Une chose est sûre : Benazir a plusieurs ennemis au Pakistan qui ont intérêt à ce qu’elle disparaisse.
La mort violente de Benazir Bhutto est un coup dur pour le Pakistan dans la mesure où elle rend nettement plus difficiles les efforts de stabilisation du pays. Elle prend de court les Américains qui, depuis des mois, s’efforçaient d’assainir le contentieux politique qui séparait Pervez Musharraf et la présidente du PPP. Les rencontres entre Benazir et Musharraf et l’accord donné par celui-ci pour que celle-là rentre au Pakistan le 18 octobre dernier étaient le résultat des pressions de la Maison blanche, extrêmement inquiète de la possibilité d’une déstabilisation à grande échelle d’un pays détenteur d’armes nucléaires. L’objectif que poursuivaient les Américains consistait à assurer un partage du pouvoir au Pakistan entre Pervez Musharraf à la présidence et Benazir Bhutto au Premier ministère. C’était, selon eux, la meilleure façon de stabiliser le pays et de barrer la route au scénario-cauchemar d’une appropriation des armes nucléaires par des groupes extrémistes.
Il est donc compréhensible que la soudaine disparition de Benazir Bhutto prenne l’aspect d’un désastre à Washington. Mais l’administration Bush semble pressée par le temps et, avant même l’enterrement de la défunte présidente du PPP, les responsables américains au Pakistan (diplomates et services de renseignements) ont tiré de leur chapeau le « plan B ». Ils ont aussitôt commencé leurs contacts avec les hauts cadres du Parti du peuple pakistanais pour voir s’il y a quelqu’un qui dispose d’assez de charisme et de popularité pour remplacer Benazir Bhutto. Ils ont même entamé des contacts avec la Ligue musulmane pakistanaise de Nawaz Sharif, en dépit de leur méfiance à l’égard de celui-ci pour prospecter les possibilités d’une coalition entre l’ancien Premier ministre et celui qui l’avait renversé en octobre 1999, c'est-à-dire le général Musharraf.
La mort de Benazir Bhutto a désorienté les Américains qui, du coup commencent à tâtonner dans un pays en pleine ébullition. Leur discours sur la démocratie au Pakistan semble connecté de la réalité. Vouloir stabiliser le pays à travers le processus électoral est, dans l’état actuel des choses, chimérique. Les divisions entre Pakistanais sont si profondes et les passions sont si déchaînées que toute élection risque de se transformer en une guerre des rues entre les différents courants politiques.
Il est peu probable que le président Musharraf maintienne la tenue des élections législatives à la date du 8 janvier prochain initialement prévue. Il est peu probable aussi que la Maison blanche puisse aider en quoi que ce soit les Pakistanais à stabiliser leur pays. D’autant que le compte à rebours de l’actuelle administration a commencé et que les Etats-Unis entrent dans une année électorale, c'est-à-dire dans un état d’immobilisme politique qui les détournera des affaires du monde.
Reste l’armée pakistanaise. C’est le seul corps uni, efficace et capable de maintenir le minimum de stabilité nécessaire à la vie économique et sociale des165 millions d’habitants du Pakistan. Garante de l’unité du pays, l’armée est toujours en scène dès qu’elle juge que la stabilité du pays est menacée. Dans les trente dernières années, elle est intervenue en 1977 pour renverser le Premier ministre élu, Zulfikar Ali Bhutto, et en 1999 pour renverser un autre Premier ministre également élu, Nawaz Sharif. Depuis, l’armée est au pouvoir et ce ne sont pas les troubles actuels qui vont la convaincre de regagner ses casernes. Si la situation empire, le président Musharraf n’aura guère le choix que de recourir à nouveau à l’état d’urgence, même s’il a troqué le mois dernier son uniforme militaire contre un costume trois pièces.


HBR

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