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Friday, December 14, 2007

"Déclaration d'indépendance"

Il est assez surprenant que les 16 agences de renseignement américaines, dont les deux principales la CIA (Central Inteligence Agency) et la DIA (Defense Intelligence Agency), se soient mises d’accord pour s’affranchir de la mainmise du pouvoir exécutif, c'est-à-dire de la Maison blanche, en vue d’imposer leur propre vue sur des questions aussi vitales pour la politique étrangère américaine que le programme nucléaire iranien.
Grand connaisseur du monde du renseignement américain, Thomas Powers établit une sorte de règle générale par laquelle il explique la relation intime qui a toujours lié la CIA et le président des Etats-Unis. Dans un long article intitulé « The failure » (L’échec), publié dans la New York Review of Books du 29 avril 2004, Powers écrit ceci : « On ne peut pas comprendre, et encore moins prédire, le comportement de la CIA, si l’on ne comprend pas que l’Agence travaille pour le président. Je ne connais pas d’exception à cette règle générale. En pratique, cela veut dire que la CIA se pliera toujours à la volonté du président. (…) Ce que la CIA dit et ce qu’elle fait, sera toujours façonné par ce que veut le président. Quand les présidents n’aiment pas ce qu’on leur dit, ils l’ignorent. Quand ils veulent quelque chose, ils font les pressions nécessaires jusqu’à ce que cela se concrétise. En tant qu’organisation disciplinée, l’agence ne se plaint pas et ne résiste pas. En un mot, elle est aux ordres. »
Cette analyse de Powers de la mission des agences de renseignements aux Etats-Unis s’applique parfaitement à la guerre décidée par Bush contre le régime de Saddam Hussein. Tout le monde savait que le président des Etats-Unis avait un besoin urgent en 2002-2003 d’un prétexte pour envahir l’Irak. La CIA était « aux ordres » et son directeur de l’époque, George Tenet, se souciant comme d’une guigne de la réalité irakienne, lui tordit le coup, en présentant un rapport (le National Intelligence Estimate -NIE- du 1er octobre 2002) dans lequel il se pliait aux désirs du président plutôt qu’aux impératifs de la vérité. Cette manipulation de la réalité par la CIA a engendré ce que beaucoup n’hésitent plus à qualifier de plus grand désastre stratégique et humanitaire de l’histoire américaine. En effet si Tenet et ses hommes avaient eu le courage de dire simplement la vérité sur le désarmement total de l’Irak que la CIA ne pouvait, du reste, en aucun cas ignorer, pour avoir été massivement présente de 1991 à 1998 au sein des équipes de contrôleurs de l’ONU (UNSCOM), l’Amérique serait en de bien meilleures conditions et l’Irak ne se serait pas transformé en véritable enfer pour 25 millions d’âmes.
Mais l’analyse de Thomas Powers ne s’applique plus depuis le 3 décembre 2007, date du dernier rapport de synthèse de la communauté des renseignements américains dans lequel celle-ci s’était affranchie de la pression habituelle de l’exécutif en publiant un rapport en totale contradiction avec les désirs du président Bush et de son adjoint Cheney. En estimant dans ce rapport que « depuis l’automne 2003, l’Iran a renoncé à son programme de fabrication de la bombe nucléaire », les responsables du renseignement américain ont imposé une réévaluation de la politique iranienne de Washington et ont mis fin, avec un grand soupir de soulagement, aux spéculations et inquiétudes qui se sont emparées du monde ces derniers mois au sujets des intentions de George Bush sur un éventuel bombardement de l’Iran.
Thomas Powers prend acte de ce changement radical dans la relation entre l’exécutif américain et les agences du renseignement qu’il qualifie, par ailleurs de « bonne nouvelle » en écrivant dans le Los Angeles Times du 9 décembre dernier que le rapport de synthèse « représente une conclusion honnête de la part des analystes à qui on avait demandé de dire si l’Iran était en train de construire une bombe. Le fait que ce rapport dit ce qu’il dit, ainsi que sa publication, montrent que la Maison blanche a perdu le contrôle qu’elle exerçait sur les renseignements américains. »
Il y a comme un grand soulagement dans ce qu’on appelle le « main stream media » aux Etats-Unis de voir le cordon ombilical, qui a toujours lié le pouvoir exécutif et les agences du renseignement, rompu. Jim Hoagland du Washington Post est allé jusqu’à qualifier cette rupture de « déclaration d’indépendance » en affirmant que « le 3 décembre (date de la publication du rapport) est le 4 juillet (date de l’indépendance des Etats-Unis) de la communauté des renseignements. »
Dans les médias proches des néoconservateurs, la date du 3 décembre est plutôt considéré comme une journée de deuil. Ils n’ont pas perdu de temps pour trouver les indispensables boucs émissaires. Voici ce qu’a écrit la National Review à propos du rapport : « Ce n’est un secret pour personne que les carriéristes de la CIA et du département d’Etat ont été moins intéressés par l’application des politiques iranienne, irakienne et nord-coréenne du président que par le sabotage de toute opportunité. »
L’amertume des néoconservateurs face à ce rapport a été exprimé par l’un de leurs faucons, John Bolton, qui a été se plaindre au magazine allemand Der Spiegel que les agences de renseignement ont fomenté un « quasi-putsch » contre la politique iranienne de la Maison blanche. « Ce rapport », disait Bolton, « ne visait pas à informer, mais à influencer. C’est de la politique déguisée en information. »
Ce que Bolton et ses amis n’arrivent pas à comprendre, c’est qu’il y a de vraies informations qui, si elles sont rendues publiques, influencent fortement les décisions. C’est le cas de l’information sur l’Iran contenue dans le rapport de synthèse des renseignements américains qui, selon toute vraisemblance, a évité à l’Amérique et au monde un nouveau désastre.



HBR

1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

And what do you think of Obadiah Shoher's arguments against the peace process ( samsonblinded.org/blog/we-need-a-respite-from-peace.htm )?

7:35 PM  

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