airelibre

Thursday, July 12, 2012

La liberté de la presse, un acquis irrémédiable

Kamel Labidi et ses amis de l’INRIC ont bataillé dur pendant plus de 18 mois pour mettre le secteur de l’information, sinistré par le régime de Ben Ben Ali, sur les rails. Ils ont été patients et persévérants, mais le gouvernement de Hamadi Jebali les a eus à l’usure. Kamel Labidi et son équipe ont fini par jeter l’éponge et ils ont raison de refuser de jouer le rôle de décor. Bien que journaliste lui-même, Hamadi jebali n’a pas perdu de temps pour se révéler au grand jour comme le politicien type qui ne croit et ne défend la liberté de la presse que quand il est dans l’opposition ou persécuté par un régime dictatorial. Il a démontré, et c’est loin d’être à son honneur, qu’une fois au pouvoir, la liberté de la presse est devenue pour lui une source sérieuse de trouble qui l’empêche de cacher au public les échecs, les insuffisances et les abus imputés à son gouvernement. Evidemment il n’est pas le seul. Toute son équipe gouvernementale, les cadres du parti dont il est issu et ceux des deux partis alliés nourrissent une inimitié surprenante à l’égard des journalistes qui font leur travail librement et de manière indépendante. Il est rare qu’un jour passe sans que l’un ou l’autre de ces nouveaux responsables ne s’en prenne avec virulence aux journalistes leur faisant assumer tous les malheurs du pays. Certaines attaques sont proprement surréalistes et dignes des « Guignols de l’info ». Le ministre des Affaires étrangères et son secrétaire d’Etat aux affaires arabes et maghrébines se mêlent les pinceaux et sombrent dans la confusion la plus totale, et c’est la faute aux journalistes ; la violence salafiste, c’est moins une triste réalité qui a mis tout un peuple sur ses nerfs qu’une lubie des médias ; la couverture des grèves et des sit-ins, est l’un des éléments d’un « complot » qui vise à noircir l’image du pays à l’étranger et à provoquer la chute du « meilleur gouvernement de l’histoire du pays ». Le problème de ces gouvernants provisoires qui ne défendent la liberté de la presse que quand ils sont dans l’opposition, est qu’ils n’ont pas eu « la chance » du régime novembriste qui les a précédés. En effet, quand Ben Ali a fait main basse sur le pouvoir le samedi 7 novembre 1987, il a trouvé un système d’information bien verrouillé par le régime autoritaire de Bourguiba de sorte qu’il n’ait eu aucun problème, se contentant de ne rien faire pour le déverrouiller. Mieux encore, ou pire, après deux ou trois ans de relative ouverture qui s’est révélée être de la poudre aux yeux, le régime novembriste s’est employé vingt ans durant à resserrer l’étau autour des médias de telle sorte que le jour où ce régime fût balayé, les journalistes étaient au bord de l’étouffement. Le 14 janvier 2011, l’étau s’est brisé et le verrouillage des médias a volé en éclats. Il semble que les gouvernants actuels n’ont pas compris une chose très importante : la différence fondamentale entre le 7 novembre 1987 et le 14 janvier 2011. Dans le premier cas, le changement politique est intervenu d’en haut. Ben Ali a vécu 23 ans durant avec l’idée qu’il a rendu service au peuple tunisien en le soulageant des graves incertitudes de fin de règne de Bourguiba. Il a intériorisé l’idée que son accession au pouvoir, il ne la doit à personne, estimant qu’il était de son droit d’exercer le pouvoir à sa guise et de soumettre à sa volonté le pays dans son ensemble. Dans le second cas, le changement est venu d’en bas. La révolution a fait sauter toutes sortes de verrous laborieusement mis en place pendant plus d’un demi-siècle par Bourguiba d’abord et Ben Ali ensuite. Le verrou le plus important que le changement politique du 14 janvier a fait sauter est celui de la presse. Irrémédiablement. Et c’est le sens de cet adverbe que les gouvernants actuels n’ont pas compris ou feignent de ne pas comprendre, espérant peut-être un miracle qui les aiderait dans le vain bricolage par lequel ils tentent désespérément de reproduire le système d’information minable et misérable mis en place par Ben Ali et qui a fait de la Tunisie la risée des nations démocratiques. Quand on dit que le verrouillage de la presse a sauté irrémédiablement en Tunisie, il ne s’agit là ni d’un jugement ni d’un souhait, mais d’une réalité palpable. L’écrasante majorité des journalistes tunisiens ne sont pas prêts à faire la moindre concession de nature à limiter ou à entraver leur liberté retrouvée après un demi-siècle de frustrations, d’exactions et d’humiliations. Surtout pas quand c’est l’un d’entre eux qui, miraculeusement, est devenu chef du gouvernement et dont l’ardent désir est de réussir à museler ses anciens collègues. Mais ce ne sont pas seulement les journalistes qui font preuve d’intransigeance vis-à-vis de toute atteinte à la liberté de la presse. De larges secteurs de la société tunisienne et tous les consommateurs d’informations qui ont désormais en horreur les mensonges, la démagogie, la langue de bois, la flagornerie, l’hypocrisie et autres tares qui, durant des décennies, ont fait que la presse tunisienne soit pointée du doigt dans le monde et classée au même niveau que la presse nord-coréenne ou cubaine. Cette donnée est très importante et les gouvernants provisoires seraient bien inspirés à intérioriser. Peut-être finiront-ils alors par se convaincre de la vanité de leurs efforts visant à ramener en arrière le secteur vital de l’information. Peut-être finiront-ils par se rendre compte du caractère parfaitement ridicule du long sit-in devant le siège de la télévision tunisienne, avec leur aval discret. Peut-être regretteront-ils d’avoir poussé l’INRIC à s’auto-dissoudre, ternissant encore un peu plus leur réputation en lambeaux. Kamel Labidi et son équipe ont jeté l’éponge après s’être convaincus qu’en matière de gestion de la liberté de la presse, rien ne différencie les gouvernants provisoires actuels de leurs prédécesseurs novembristes. Les collègues et amis de l’INRIC ont jeté l’éponge, mais ne vont pas baisser les bras. Ils continueront au sein de la vigoureuse société civile tunisienne à s’opposer à toute tentative d’apprivoiser les médias et à dénoncer tout harcèlement des journalistes.

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