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Friday, July 06, 2012

Un mélange explosif d’incompétence et d’inconscience

Le grand problème de la révolution tunisienne est qu’elle a mis l’économie et la société dans un état désastreux et permis l’accès au pouvoir de gens qui manquent lamentablement de compétence et d’expérience. D’aucuns disent que c’est le choix du peuple tunisien du 23 octobre dernier, le jour où, pour la première fois de son histoire, ce peuple a voté librement et sans que son vote ne soit falsifié. Certes c’est le choix du peuple, mais deux petites choses méritent tout de même d’être éclaircies. Tout d’abord, ceux qui se disent majoritaires n’ont eu droit qu’à un million et demi de voix sur un corps électoral qui compte entre sept et huit millions de personnes. Ensuite, ceux qui ont voté ne l’ont pas fait pour doter le pays d’un gouvernement, mais d’une Assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution qui remplacerait celle de 1959. Il est de plus en plus évident que le parti qui se dit majoritaire est aussi affamé de pouvoir que le PSD et le RCD qui avaient monopolisé la vie politique dans le pays pendant plus d’un demi-siècle. Leur extraordinaire impatience à exercer le pouvoir a fait que les gens d’Ennahdha détournent le vote du 23 octobre de son véritable sens et l’instance issue de ce scrutin de sa véritable mission, faisant main basse sur les structures de l’Etat tunisien et mettant l’Assemblée constituante sur une voie tortueuse qui l’entrave à accomplir une mission claire et précise qui consiste avant tout à doter le pays d’une Constitution. Dans ces conditions, il est donc logique que, plus de huit mois après le scrutin du 23 octobre 2011, pas un article de la Constitution n’a été rédigé. L’Assemblée constituante, de par la nature de sa composition, n’a rien pu faire pour empêcher qu’elle n’évolue en une arène renfermant une opposition divisée et impuissante et une majorité unie et omnipotente qui vote comme un seul homme pour tout projet de loi présenté par le chef du gouvernement, Hamadi Jebali. Et à ce niveau, on ne voit vraiment aucune différence entre celui-ci qui gouverne aujourd’hui et Ben Ali qui gouvernait hier. Le premier obtient aujourd’hui sans problème aucun de l’Assemblée constituante tout ce qu’obtenait hier Ben Ali de la Chambre des députés. Peut-être la différence est qu’aujourd’hui l’opposition, bien qu’impuissante à influer sur le cours des choses, ne laisse passer aucune faute et ne ménage nullement le gouvernement contrairement à l’ « opposition » d’hier qui servait de décor et de « caution démocratique » au dictateur. L’autre différence, qui dérange beaucoup plus les nouveaux gouvernants est la presse libre qui tranche nettement avec la presse muselée d’hier. Il faut dire que les nouveaux gouvernants ne sont pas restés les bras croisés. Ils ont tenté et tentent toujours de mettre la main sur le secteur de l’information, sans succès jusqu’à présent. L’Assemblée constituante est donc détournée de sa mission principale et est poussée malgré elle dans des tiraillements politiques et des querelles politiciennes qu’on observe normalement dans les parlements chargés du pouvoir législatif et non dans une instance élue pour rédiger une Constitution. On peut affirmer sans risque de se tromper que la majorité des Tunisiens aurait accepté de bon cœur tous les travers dans lesquels s’est fourvoyée l’Assemblée constituante, si elle avait doté le pays d’un gouvernement compétent qui sache tenir le gouvernail, manier la boussole et fixer les priorités, conditions sine qua non pour sortir le pays de la plus grave crise de son histoire moderne. Il se trouve que, malheureusement, les traits dominants qui caractérisent le gouvernement actuel sont l’incompétence totale dans la fixation des priorités et la prise des décisions, l’inconscience effarante des graves dangers qui menacent le pays, le refus obstiné de reconnaître la moindre erreur et une tendance pathétique à suivre les voies sans issue. Ces traits négatifs et dangereux sont aggravés par les querelles futiles qui opposent le président de la république et le chef du gouvernement. Ces querelles prennent une dimension absurde quand on compare la petitesse de leur objet et l’énormité des défis que le pays est tenu de relever sous peine de sombrer. Il serait fastidieux d’aligner ici toutes les décisions irréfléchies que ce gouvernement n’aurait pas dû prendre et les décisions urgentes que les Tunisiens attendent et que le nouveau pouvoir continue d’ignorer. Seulement, la dernière décision absurde mérite qu’on s’y attarde un peu. Le gouvernement Jebali nous a surpris par l’une de ses décisions les plus irréfléchies en annonçant sans rime ni raison l’ouverture des frontières du pays aux ressortissants maghrébins qui peuvent désormais entrer en Tunisie sur présentation d’une simple carte d’identité et où ils peuvent travailler, devenir propriétaire et même voter dans les élections locales et régionales. La construction du Maghreb, nous sommes tous pour évidemment. Mais la question qui se pose est la suivante : en quoi contribue-t-on à la construction du Maghreb en prenant de telles décisions irréfléchies, unilatérales et en ignorant superbement les règles les plus élémentaires de la concertation et de la légalité que requiert une telle décision si lourde de conséquences. Tout d’abord un gouvernement provisoire qui a pour mission essentielle de préparer la voie à l’installation d’un régime démocratique durable n’a nullement le droit de prendre une telle décision. De plus, la question est d’une telle gravité qu’elle mérite beaucoup plus qu’une simple signature d’un chef de gouvernement. Or, en dépit de sa gravité et de son importance, cette question n’a bénéficié d’aucun débat. Ni au gouvernement, ni à l’Assemblée constituante, ni dans la presse, ni au sein de la société civile, ni bien sûr entre les Etats maghrébins concernés. En plus de l’incompétence, une telle décision révèle un degré inquiétant d’inconscience du gouvernement quant aux conséquences sur la sécurité et la stabilité du pays. A un moment où Al Qaida au Maghreb islamique est plus active que jamais, où le sud algérien est toujours menacé par les attaques terroristes, où la moitié nord du Mali est sous le contrôle d’illuminés wahabites qui rasent au bulldozer les mausolées et les marabouts établis dans ce pays africain depuis des siècles, ce dont on a le plus besoin en Tunisie c’est un surcroît de contrôle et de surveillance des frontières et non leur ouverture toutes grandes aux terroristes, aux criminels et aux fugitifs recherchés par la justice de leur pays. Ce sont ceux-là justement qui seront intéressés en premier lieu par l’entrée en Tunisie sur présentation d’une simple carte d’identité beaucoup plus facile à falsifier qu’un passeport. Quant aux Maghrébins honnêtes qui visitent notre pays, ils n’ont sûrement aucun problème à présenter leur passeport à la police des frontières. La Tunisie est confrontée à d’immenses défis. Si les gouvernants provisoires sont incapables de les relever, au moins qu’ils s’abstiennent de les aggraver en s’amusant à prendre les pires décisions au pire moment.

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