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Wednesday, August 01, 2012

L'exception syrienne

La Syrie est-elle condamnée à ne choisir qu’entre l’autoritarisme et l’anarchie ? Après l’indépendance du pays, les Syriens ont tenté de mettre en place un régime démocratique à travers des élections libres et transparentes qui ont bien eu lieu en 1947, 1949 et 1954. Aucune de ces élections n’a réussi à aboutir à un régime stable, tolérant et légitime compte tenu des intenses dissensions d’ordre tribal, ethnique, religieux et politique qui divisaient la population syrienne très peu homogène. L’instabilité était telle alors que pendant les 24 premières années d’indépendance, la Syrie avait connu 21 gouvernements issus pour la plupart de coups d’Etat militaires plus ou moins sanglants. Ce fut Hafedh Al Assad qui mit fin au chaos en 1970 après s’être emparé du pouvoir, mettant en place un régime dictatorial qui étouffait dans l’œuf toute velléité de contestation. Cette dictature était devenue carrément sanglante en 1980 quand Assad n’hésita pas à raser la ville de Hama tuant des centaines, peut-être des milliers de ses concitoyens. L’autoritarisme excessif de Hafedh Al Assad s’explique en partie par la peur de l’anarchie qu’a connue le pays pendant les premières décennies d’indépendance. Le peuple syrien lui-même semble avoir gardé de très mauvais souvenirs de cette grande instabilité post-coloniale, c’est ce qui explique sa longue passivité vis-à-vis du règne dictatorial de Hafedh Al Assad. A la mort de ce dernier le 10 juin 2000, Le système dictatorial en place, en quête de pérennité, a choisi le fils pour remplacer le père. Ce changement à la tête de la dictature a suscité au début de ce millénaire quelques espoirs d’ouverture, vite déçus, le fils s’étant révélé aussi autoritaire que le père. Si celui a pu tenir le pays d’une main de fer pendant trente ans, Bachar n’a pu tenir qu’une décennie avant que la Syrie ne soit contaminée par « le printemps arabe » et sombre à nouveau dans une anarchie plus sanglante encore que les troubles qu’a connus le pays dans la période post-coloniale. Tous les pays arabes qui ont connu des révoltes contre les systèmes dictatoriaux (Tunisie, Egypte, Yemen, Libye) ont réussi à instaurer des régimes provisoires qui leur assuraient une certaine stabilité, sauf la Syrie. Près d’un an et demi après le déclenchement des troubles, le pays est toujours traversé par de graves dissensions, une situation que d’aucuns qualifient de guerre civile. Stable ou en guerre, la Syrie constitue une exception dans le monde arabe. Elle était une exception du temps de sa longue stabilité sous Hafedh Al Assad dans la mesure où elle jouait un rôle régional et international très disproportionné par rapport à son modeste poids démographique et économique. Elle continue à être une exception en ces moments d’anarchie et d’instabilité intense. Cette exception s’explique par l’environnement régional et international dans lequel est en train d’évoluer la crise syrienne. Aucune autre révolte dans le monde arabe n’a autant divisé l’environnement régional et international que la crise syrienne. Sur le plan régional, la Turquie soutient de toutes ses forces les insurgés et l’Iran soutien tout aussi intensément le régime de Bachar Al Assad. Le même schéma est reproduit sur le plan international avec les Etats-Unis et leurs alliés européens qui soutiennent les insurgés, et la Russie qui appuient le régime en place. Les arguments de la Turquie et des Occidentaux, du moins ceux défendus publiquement, sont l’opposition à tout système dictatorial, le soutien à la démocratie, l’ouverture politique, les droits de l’homme etc. Mais il y a une autre motivation que ni Ankara ni Washington ni Paris n’en parlent, mais qui n’est un secret pour personne : la volonté d’isoler l’Iran et le couper de son unique allié dans la région. En d’autres termes, toutes les puissances qui œuvrent pour la chute du régime syrien le font beaucoup moins par amour pour le peuple syrien que par haine du régime iranien. La motivation de l’Iran est claire. La Syrie de Bachar AL Assad est non seulement son unique allié dans la région, mais sans lequel il serait quasiment impossible de maintenir des liens stratégiques et des contacts réels avec son allié de toujours, le Hezbollah libanais. Le soutien russe au régime de Bachar Al Assad s’explique dans une large mesure par le port de Tartous, le deuxième port du pays après celui de Lattaquié. Du temps de l’URSS, le port de Tartous abritait de larges facilités navales pour la marine soviétique qui les utilisait alors essentiellement pour surveiller de près les mouvements de la 6e flotte américaine. Depuis 2007, la Russie s’active à remettre à neuf ces facilités pour déployer ses navires en Méditerranée. L’accès aux mers chaudes a de tout temps été une obsession pour les gouvernants russes. Qu’il s’agisse de Pierre le Grand, de Leonid Brejnev ou de Vladimir Poutine, l’obsession est la même et la stratégie est la même : soutenir fermement tout régime qui accepterait d’accueillir dans ses ports les navires du plus vaste pays du monde. Mais la Russie a une autre obsession : la peur de voir la crise syrienne déboucher sur un scénario à la yougoslave qui réveillerait les démons de la division en Asie centrale. Rappelons-nous qu’au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique, des guerres ethniques ont été déclenchées dans le Caucase et en Asie centrale provoquant des dizaines de milliers de mort. Mais la crise syrienne est en train de pourrir. L’attentat suicide de la semaine dernière, outre sa signature évidente par la nébuleuse terroriste d’Al Qaida, a fait perdre au régime syrien deux de ses plus importants ministres, en plus de cadres militaires et civils proches de Bachar Al Assad. Les journées se suivent plus sanglantes les unes que les autres et les Syriens continuent de fuir l’enfer qu’est devenu leur pays. Aucune solution n’est en vue dans la mesure où ni le régime en place n’a pu éliminer l’opposition armée qui le combat depuis 18 mois, ni celle-ci n’a pu renverser celui-là. Le statu quo sanglant est de moins en moins toléré non seulement par les Syriens qui ne savent plus à quel saint se vouer, mais aussi par les forces régionales et internationales qui se sont révélées incapables d’aider à trouver une solution qui sortirait le pays de son calvaire. Et si la solution se trouvait entre les mains de l’Iran et de la Turquie ? En effet un modus vivendi entre ces deux puissances régionales pourrait aider à mettre fin au huis-clos sanglant en Syrie. Il est clair qu’après les terrifiants massacres perpétrés dans ce pays (pas seulement par les forces gouvernementales), la démocratie a très peu de chances de s’instaurer en Syrie, et par conséquent un régime de transition qui disposerait de la force pour imposer la stabilité est nécessaire. C’est la nature de ce régime de transition qui pourrait faire l’objet de négociation d’abord et de modus vivendi ensuite entre Téhéran et Ankara. Car si l’Iran n’a aucun intérêt à voir le régime syrien renversé par l’opposition armée, la Turquie n’a aucun intérêt non plus à voir s’installer l’anarchie qui ne manquerait pas de mettre le pays à feu et à sang et à pousser des centaines de milliers de Syriens à fuir, notamment chez le voisin turc, dès la chute du régime de Bachar Al Assad. Un accord entre la Turquie et l’Iran sur un régime de transition en Syrie qui permettrait à chacune des deux puissances régionales de préserver un minimum de ses intérêts stratégiques aurait toutes les chances d’être accepté par les puissances internationales et, qui sait, ouvrirait peut-être la voie à des négociations bilatérales entre Washington et Téhéran.

1 Comments:

Blogger Marianne said...

Vos suggestions me parâissent très réalistes. Le drame syrien montre (une fois de plus) l'impuissance de la sois-disante "communauté internationale, de l'ONU.
Quel honte en notre 21ème siècle de rester pendant tant de mois de simples spectateurs de la tuerie en Syrie, de suivre de jour en jour le macabre compteur des morts.
Longtemps c'était le cas lors des guerres en ex-Yougoslavie, pour le
Rwanda on disait "never again"...
Il ne nous reste donc qu'à prier
pour ce pauvre peuple syrien.

6:06 PM  

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