airelibre

Thursday, November 16, 2006

Solidarité destructive

Par Hmida Ben Romdhane

Les peuples nordiques font rarement l’actualité. Ce sont des gens qui ont réussi, mieux que d’autres il faut dire, à résoudre les deux questions les plus épineuses qui se posent aux sociétés humaines: le problème du pouvoir et celui de la distribution des richesses. Depuis pratiquement la fin de la deuxième guerre mondiale, Danois, Norvégiens, Suédois et autres Finlandais vivent paisiblement même si, en termes de températures et de climat, ils ne sont pas particulièrement gâtés par la nature. Au plus fort de la guerre froide, et compte tenu de leur proximité avec le grand voisin soviétique, les pays nordiques avaient intelligemment réussi à ménager la chèvre et le chou et à s’assurer l’amitié bienveillante des uns et des autres. Quand on entend aujourd’hui les mots d’Helsinki ou d’Oslo, c’est la notion de paix qui surgit aussitôt dans la mémoire. La capitale finlandaise s’honorera toujours d’avoir accueilli la signature des accords soviéto-américains, tout comme sa jumelle norvégienne qui voit les accords israélo-palestiniens porter son nom, même s’ils n’ont pas encore abouti à la paix promise.
Cependant, nul n’avait imaginé un jour que de ces contrées paisibles sortira un jour « une crise mondiale » comme l’a qualifiée le premier ministre danois, M. Ramsussen. Depuis des semaines, un obscur journal de Copenhague, le Jyllands-Posten, fait la «une» de l’actualité mondiale. Non pas pour avoir lancé quelque initiative prestigieuse qui l’honore et le Danemark avec, mais pour avoir joué les apprentis-sorciers en publiant des caricatures insultantes pour le prophète Mohammed qui ont choqué des centaines de millions de Musulmans à travers le monde.
Pourquoi ce journal a-t-il choisi la voie de la provocation gratuite ? Pourquoi a-t-il jeté le Danemark dans l’une des plus graves crises que ce pays ait connue ? Les responsables de ce journal ne savaient pas que ces piètres dessins allaient choquer les Musulmans? L’auteur des caricatures blasphématoires, Christoffer Zieler, vient, dans une interview à l’agence Reuters, d’apporter la preuve que ces responsables savaient pertinemment ce qu’ils faisaient puisqu’ « ils avaient refusé en 2003 de publier des caricatures mettant en scène Jésus Christ parce qu’elles étaient choquantes pour les Chrétiens.»
Que voulait prouver le Jyllands-Posten en publiant ses caricatures ? Que la liberté de la presse est sans limites? Que l’irrévérence à l’égard de la foi des autres est un droit dont la remise en cause viole la sacro-sainte liberté de la presse ? Que le non respect des sensibilités religieuses de centaines de millions de personnes fait partie de l’exercice normal de l’activité de caricaturiste ?
Ce qu’il y a de grave dans cette affaire de caricatures, c’est l’intention délibérée et la volonté claire de cet obscur journal danois de présenter l’ensemble des Musulmans comme des terroristes et des candidats aux attentats-suicide. Si le caricaturiste avait mis en scène Ousama Ben Laden avec un turban sous forme de bombe, personne dans le monde musulman n’aurait prêté la moindre attention à son dessin. Si le Jyllands-Posten avait publié une caricature disons d’Aymen Dhawahri criant devant la porte du paradis : « Arrêtez vos attentats-suicide, on est à court de vierges », il serait resté ce journal obscur qu’il a toujours été. Mais en mettant le prophète au centre de ces caricatures bêtes et méchantes, le journal verse sciemment dans l’amalgame et suggère sournoisement l’idée que tous les Musulmans sont des terroristes et des candidats aux attentats-suicide, sachant que tous les Musulmans, du Maroc à l’Indonésie, s’identifient à Mohammed.
Ce qu’il y a de grave aussi dans cette affaire, c’est cette étrange solidarité que, au nom de la défense de la liberté de la presse, beaucoup de journaux européens et autres ont jugé nécessaire de manifester à l’égard du Jyllands-Posten. Celui-ci avait publié en septembre dernier les caricatures blasphématoires qui, à l’époque, étaient passées inaperçues de la grande masse des Musulmans. Mais elles avaient causé une grande émotion dans les chancelleries arabes et musulmanes à Copenhague, et elles étaient l’un des grands sujets de discussion parmi les responsables des 57 pays musulmans présents en décembre dernier à la Mecque dans le cadre du sommet de l’OCI, organisé par l’Arabie Saoudite. Dans le communiqué final de ce sommet, les chefs des Etats musulmans avaient exprimé leur « inquiétude face à la montée de la haine contre l’Islam et les Musulmans ; ils condamnaient le récent incident de profanation de l’image du prophète Mohammed dans les médias de certains pays, ainsi que l’usage de la liberté de la presse comme prétexte pour diffamer les religions ». Après ce sommet, plusieurs pays musulmans avaient intensifié leurs contacts avec le gouvernement danois pour le convaincre de prendre des mesures pour que de telles caricatures insultantes ne soient plus reproduites. Le journal norvégien, Magazinet, ayant eu vent de ces démarches et les ayant considérées comme « des pressions intolérables», décida de republier les caricatures (édition du 10 janvier) afin d’exprimer sa « solidarité » avec le Jyllands-Posten. Une solidarité qui s’avèrera destructive puisqu’elle a mis le feu aux poudres. Le journal norvégien (dont le rédacteur en chef a, par ailleurs, présenté hier vendredi ses excuses), sera suivi par d’autres dont le dernier est l’hebdomadaire français « Charlie Hebdo».
« Charlie Hebdo » a non seulement reproduit les douze caricatures, mais a ajouté une autre de son cru. Publiée à la couverture du journal, celle-ci traite tout simplement le milliard de Musulmans de « cons ». N’allons pas jusqu’à dire que l’hebdomadaire a fait son « coup » pour des raisons matérielles, même s’il a vendu pas moins de 400.000 exemplaires, chose qui ne lui était jamais arrivée depuis sa création. Mais si l’on s’étonne que des journaux respectables, en France et ailleurs, tombent dans le piège de cette solidarité destructive, la chose n’est guère surprenante de la part de Charlie Hebdo qu’on ne peut lire sans se pincer les narines. Et puis n’est ce pas les Français qui disent qu’ « être traité de con par des cons est une preuve d’intelligence»?

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