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Tuesday, October 24, 2006

On ne badine pas avec l'article 3

Il est commun aux quatre Conventions de Genève du 12 Août 1949, que les Etats-Unis avaient ratifiées en 1955. Il interdit formellement « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; les prises d’otages ; les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; (…) ». Ceux qui, en principe, bénéficient de sa protection sont « les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors du combat par maladie, blessure, détention ou pour tout autre cause ».
Il s’agit bien sûr de l’article 3 qui est l’un des piliers des Conventions de Genève. Sa violation est considérée comme très grave par le Comité international de la Croix rouge (CICR), dépositaire et protecteur de ces Conventions. Et la plupart des pays signataires considèrent que la violation de cette disposition centrale des Conventions de Genève est un crime de guerre dont la punition, comme c’est le cas aux Etats-Unis, peut aller jusqu’à la peine capitale.
Cependant, depuis le 11 septembre 2001, l’administration Bush a changé totalement la position des Etats-Unis vis-à-vis de ces Conventions. Alberto Gonzales, l’ancien conseiller juridique de la Maison blanche et l’actuel ministre de la justice, est allé jusqu’à les considérer comme « caduques et obsolètes ». Il a joué un rôle déterminant dans le changement d’attitude de l’administration Bush qui, de Guantanamo à Abou Ghraib en passant par la prison afghane de Bagram et les prisons secrètes de la CIA en Europe et ailleurs, a interprété à sa manière le fameux article 3 commun aux quatre Conventions de Genève.
La controverse autour de cette disposition fondamentale du droit international humanitaire bat à nouveau son plein aux Etats-Unis et s’est imposée comme l’un des thèmes importants de la campagne électorale qui a pour objet le renouvellement total de la Chambre des représentants et le renouvellement partiel du sénat. Cette controverse s’est intensifiée la semaine dernière après que le président Bush eût présenté un projet de loi qui vise à « protéger le personnel de la CIA et autres fonctionnaires fédéraux contre les poursuites pour torture ». Le projet de loi vise aussi à « interdire aux tribunaux fédéraux de recevoir des plaintes de personnes prétendant avoir été victimes de violations du droit et traités internationaux pendant leur détention par des autorités militaires ou civiles américaines. » Ce projet de loi a été présenté après que le président américain eût reconnu pour la première fois le 6 septembre dernier l’existence des prisons secrètes de la CIA en dehors des Etats-Unis qu’il a qualifiées de « sûres, légales et nécessaires ».
Les élections législatives étant imminentes (en novembre prochain), le président Bush semble engagé dans une course contre la montre pour pouvoir passer son projet de loi tant qu’il dispose de la majorité dans les deux chambres du Congrès et avant que les élections ne bouleversent complètement la donne, comme beaucoup s’y attendent. Seulement, le problème est que nombre de représentants républicains se sont joints aux démocrates pour refuser le projet de loi de George Bush. D’anciens responsables aussi, tels que George Shultz, ancien secrétaire d’Etat sous le président Ronald Reagan et Colin Powell, le prédécesseur de l’actuelle secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice.
Colin Powell, qui a quitté le département d’Etat il y a 20 mois, s’est opposé publiquement, il y a quelques jours au projet de loi de George Bush par ce que pour lui une telle loi, si elle est adoptée, sera de nature à « faire accroître les doutes concernant l’adhésion des Etats-Unis à son propre code moral ». Powell était plus explicite encore : « Si vous considérez la manière dont nous sommes perçus dans le monde, et les critiques dont nous étions l’objet sur Guantanamo, Abou Ghraib ou sur les détentions secrètes de la CIA, que l’on y croit ou pas, les gens sont en train de se demander si l’on est en train de respecter nos propres lois. » Enfin, Powell enfonce le clou : « Supposez, dit-il, que la Corée du nord ou quelque autre pays veuille redéfinir ou clarifier les dispositions des Conventions de Genève interdisant les atteintes à la dignité et les traitements humiliants et dégradants des prisonniers… ». Il n’a pas conclu sa supposition, mais il n’est pas difficile de prévoir que, dans un tel cas, les Etats-Unis se seraient posés en défenseurs fervents des Conventions de Genève et en accusateurs virulents des fossoyeurs du droit international humanitaire.
Pendant de longues années, Colin Powell était partie prenante de l’administration Bush qu’il avait servi fidèlement. Il était l’un des artisans de la guerre désastreuse qui continue d’enfoncer l’Irak chaque jour un peu plus bas. Sa « performance » du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, quand il tentait de persuader le monde de l’apocalypse que préparait Saddam, restera sans doute l’un des moments les plus sombres dans la carrière diplomatique de l’ancien secrétaire d’Etat. Il aurait sûrement mieux servi l’Amérique, le monde et lui-même s’il s’était opposé à l’invasion de l’Irak au lieu de contribuer activement à sa mise en oeuvre. Il y a quelques jours, Powell a dit « regretter que l’invasion de l’Irak était lancée sur la base de faux renseignements sur les armes de destruction massive de Saddam et sur ses liens avec Al Qaida. » Des regrets un peu trop tardifs et qui ne sont d’aucun secours pour un pays qui continue sa descente aux enfers, descente provoquée, entre autres, par Colin Powell lui-même.

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