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Tuesday, October 24, 2006

La Maison blanche est toujours optimiste

Le National Intelligence Estimate est un rapport de synthèse fait annuellement à partir de la matière brute collectée par les 16 agences américaines d'espionnage. Le rapport de cette année est intitulé: « Tendances du terrorisme global : les implications pour les Etats-Unis ». Il est secret (classified). Si le New York Times n’en avait pas fait état dans son édition électronique du 23 septembre, le public n’en aurait probablement jamais entendu parler.
Les analystes américains ont en fait commencé leur travail sur ce rapport depuis 2004. Et s’ils ont pris autant de temps pour rendre leurs conclusions, c’est, nous dit le New York Times, « certains responsables du gouvernement américains étaient mécontents des précédentes versions du rapport ».
Ceci nous remet en mémoire le National Intelligence Estimate de l’automne 2002, en plein tapage médiatique qui préparait l’opinion américaine à la guerre contre l’Irak. C’était le temps où George Tenet dirigeait la CIA. On sait depuis que l’essentiel de ce rapport était composé de fausses informations sur les armes de destruction massive. La CIA et Georges Tenet savaient à l’époque que l’Irak ne possédait aucune arme de ce genre et Saddam n’avait aucun lien avec Al Qaida. Au lieu de produire un rapport qui éclaire la direction politique du pays et l’aide à prendre les décisions politiques appropriées, George Tenet, le principal artisan du National Intelligence Estimate de 2002, a dû se plier aux pressions de la Maison blanche, et surtout à celles de la vice-présidence, pour produire un rapport qui serve la décision déjà prise d’aller en guerre contre l’Irak.
En d’autres termes, depuis le 11 septembre 2001, les rapports de renseignement qui manipulent la réalité pour justifier une décision prise à l’avance ne sont pas rares. Le journal newyorkais suggère l’idée qu’un bras de fer aurait été engagé entre les analystes qui voulaient rendre un rapport conforme à la nouvelle réalité façonnée par la guerre en Irak, et les responsables gouvernementaux qui refusent les analyses mettant à nu les aspects désastreux de l’aventure militaire irakienne. Finalement, et deux ans après le début de leurs travaux, les analystes du renseignement ont rendu un rapport pas tout à fait favorable aux thèses de la Maison blanche. Celle-ci a publié récemment un rapport intitulé : « Le 11 septembre 5 ans après : succès et défis ». Ce rapport fait preuve d’optimisme et récite, contre toute évidence, « les victoires remportées contre Al Qaida et ses partisans. »
Ce n’est pas l’avis des analystes du renseignement dont les conclusions contenues dans le rapport de synthèse sont quelque peu inquiétantes. « Le radicalisme islamique, loin de reculer, a fait une métastase en s’étendant à travers le globe », affirment les auteurs. Le rapport n’exclut pas la possibilité que « les islamistes qui combattent en Irak, pourraient retourner chez eux où ils exacerberont les conflits intérieurs en promouvant les idéologies radicales. »
Cinq ans après les événements dramatiques du 11 septembre et trois ans et demi après l’invasion de l’Irak, la Maison blanche en est toujours à justifier l’injustifiable et à compter les succès imaginaires. Elle ne semble pas encore prête à tirer les leçons de toutes les erreurs commises pendant les cinq dernières années, ni même à les reconnaître tout simplement.
Cependant, on est très loin du consensus et de la sacro-sainte union autour de George Bush au lendemain des attentats et même au début de l’invasion de l’Irak. La Maison blanche est de plus en plus en plus seule à défendre des thèses sur l’Irak et « la guerre globale contre le terrorisme » auxquelles de moins en moins d’Américains y croient. Déjà en 2005, le Conseil National du Renseignement a publié à Washington une étude qui conclut que « l’Irak était devenu le premier champ d’entraînement de la prochaine génération de terroristes. » Le discours optimiste de la Maison blanche tranche avec les rapports pessimistes rendus par la communauté du renseignement aux Etats-Unis. Cet état de chose « a provoqué pendant plus de deux ans une tension entre l’administration Bush et les agences américaines d’espionnage sur la violence en Irak et sur les perspectives d’une démocratie stable dans le pays », écrit le New York Times dans son édition du 23 septembre.
Quel intérêt résulte-t-il pour les Etats-Unis de cette politique de fuite en avant de la Maison blanche qui tourne le dos à la réalité et qui préfère continuer à égrener les succès imaginaires et les réalisations relevant plus du désir que de la réalité ? Indiscutablement aucun. Pour réparer un dégât, la première condition est de reconnaître l’erreur qui caractérise la décision qui l’a engendré. Autrement, ce serait le cercle infernal de l’amplification des erreurs et des dégâts qui en découlent. Mais le problème est que ces dégâts ne concernent pas seulement des pertes matérielles et financières. Elles concernent la vie de milliers et de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui continuent à payer un lourd tribut en sang et en larmes.

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