airelibre

Saturday, October 21, 2006

Une impression de déjà vu

C'est un rapport qui rappelle de mauvais souvenirs. Une controverse qui remet en mémoire une campagne de manipulation de l'information et de désintoxication de l'opinion qui devait engendrer le plus grand désastre stratégique de l'histoire des Etats-Unis d'Amérique.
Tout a commencé le 23 août dernier quand la Commission des renseignements du sénat américain publia un rapport sur les activités nucléaires de l’Iran. Ce rapport, pour appuyer ses thèses, se réfère à un autre rapport, celui de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), et cite certains de ses passages. Seulement cette citation est un peu trop déformée et manipulée. La manipulation est si grotesque que l’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle a été faite à dessein pour servir la politique américaine vis-à-vis de l’Iran. L’AIEA ne s’est pas trompée. Elle vient d’écrire une lettre de protestation à la Maison blanche et au Congrès dans laquelle elle qualifie cette manipulation de « scandaleuse et malhonnête ».
De quoi s’agit-il exactement ? Dans le rapport qu’elle a rédigé à l’intention du Conseil de sécurité sur le nucléaire iranien, l’AIEA a écrit notamment que « l’Iran est arrivé à enrichir l’uranium d’une manière qui lui permet d’alimenter ses réacteurs nucléaires ». Rappelons en passant qu’en tant que signataire du traité de non prolifération nucléaire, l’Iran a parfaitement le droit de posséder des réacteurs nucléaires à usage civil, généralement pour produire de l’électricité, et de fabriquer le carburant qui les fait marcher : l’uranium enrichi. Le rapport de la Commission des renseignements du sénat se réfère au rapport de l’AIEA en ces termes : « L’Iran est arrivé à enrichir l’uranium d’une manière qui lui permet de fabriquer des armes nucléaires. » !!! On comprend la fureur de l’AIEA et on tremble à l’idée que cette déformation serait le signal du déclenchement d’une campagne de manipulation et de désintoxication qui pourrait être une réédition de la crise de l’automne-2002-hiver-2003 ayant abouti à l’invasion désastreuse de l’Irak.
Evidemment, une déformation aussi grotesque ne peut pas être le résultat d’une simple erreur ou d’une banale faute d’inattention. C’est une manipulation à dessein, et on en veut pour preuve les détails scientifiques contenus dans le rapport de l’AIEA, escamotés bien sûr par la Commission des renseignements du sénat, et qui consistent au fait que l’Iran est arrivé à un enrichissement de l’uranium à 6% (pourcentage suffisant pour alimenter les réacteurs nucléaires), mais largement insuffisant pour les armes nucléaires dont la fabrication nécessite un enrichissement à …90%.
On se rappelle le rôle joué par les divers services de renseignements américains, y compris la Commission des renseignements du sénat, dans la campagne de désintoxication planétaire menée tambour battant pour convaincre le monde des prétendus liens de Saddam Hussein avec Al Qaida et de ses efforts intensifs pour fabriquer des armes de destruction massive. Celles-ci, on les cherche toujours. Quant aux liens de l’ancien président irakien avec l’organisation de Ben Laden, il y’a juste quelques jours, cette même Commission du sénat américain vient de reconnaître que les renseignements à ce sujet étaient fallacieux : « Saddam Hussein n’avait pas confiance en Al Qaida et considérait les extrémistes islamiques comme des menaces pour son régime, refusant toutes les demandes d’Al Qaida pour une aide matérielle ou opérationnelle », indique le très récent rapport de la Commission des renseignements du sénat.
On reste pantois à l’idée qu’au moment même où cette Commission du sénat reconnaît que le principal argument utilisé pour mener une guerre destructrice contre l’Irak était une pure invention, elle se livre à un autre exercice de manipulation qui sonnerait comme un prélude à une autre guerre, contre l’Iran cette fois-ci.
Il y’a visiblement une incapacité à tirer les leçons des expériences passées qui frappe les responsables de l’administration américaine actuelle, et le vice-président américain, Dick Cheney, vient de donner amplement la preuve. Deux ou trois jours avant le cinquième anniversaire des attaques du 11 septembre, M. Cheney était l’invité de l’émission de la chaîne américaine NBC « Meet the press ». A une question de l’animateur Tim Russert sur l’Irak, Cheney répondit ceci : « Si nous devions le faire à nouveau, nous ferions exactement la même chose.» En répondant ainsi au journaliste Tim Ruussert, Cheney avait-il en tête l’Iran ? Ou alors veut-il signifier que tout ce que l’Amérique a fait jusqu’à présent en Irak était juste ? Peut-être les deux à la fois.
Seymour Hersh, l’un des journalistes les plus talentueux et les plus informés aux Etats-Unis a écrit dans un récent article publié au New Yorker que dans l’establishment américain on n’exclut pas l’idée que George W. Bush « fasse le travail » en Iran avant de quitter la Maison blanche le 20 Janvier 2009. On peut se rassurer que si l’administration Bush a le désir d’une autre mésaventure militaire dans la région du Golfe, elle n’en a pas les moyens, compte tenu de l’épuisement de l’armée US et de son embourbement en Irak. Mais l’espoir d’une accalmie viendrait peut-être en novembre prochain à l’issue des élections qui devraient renouveler la totalité de la chambre des représentants et une partie du sénat. Tous les sondages prévoient une victoire des démocrates qui deviendraient majoritaires au Congrès. Auquel cas, on peut être sûr qu’aucun autre chèque en blanc ne serait signé par les représentants et les sénateurs pour une autre action militaire à 10.000 kilomètres du territoire américain, comme ce fut le cas pour ce qui sera retenu par l’histoire comme le naufrage stratégique des Etats-Unis en Irak.

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