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Saturday, November 30, 2013

Violence au nom de Dieu, violence sans limite

« Frère, si tu diffères de moi, tu m’enrichis », avait écrit Antoine de Saint-Exupéry. Si la sagesse et le bon sens contenus dans ces huit mots étaient suivis par les hommes, notre histoire et notre présent auraient eu un tout autre aspect. Mais ce n’est pas le cas. La différence, au lieu d’enrichir les hommes, elle les a divisés et dressés les uns contre les autres. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire et jusqu’à ce jour, le constat le plus frappant qui s’impose est que la caractéristique principale qui marque les rapports humains est la violence. En termes d’intensité de la violence, de l’ampleur des dégâts humains et matériels, de l’étendue géographique des conflits et de la variété de leurs causes, le XXeme tient sans doute tous les records. En une seule journée, le 22 août 1914, pas moins de 27 000 soldats français étaient morts, et pour la seule journée du 1er juillet 1916, 20 000 soldats britanniques étaient tombés sur le champ de bataille dans une orgie de violence aggravée par le perfectionnement technique de l’armement et par l’entrée, pour la première fois dans l’histoire, des avions dans les combats. La guerre de 1939-1945 avait déchaîné la violence à une échelle planétaire. Engendrant plus de 60 millions de victimes, le second conflit mondial s’est terminé par une forme de violence inédite et terrifiante : deux bombes nucléaires ont été lancées le 6 août 1945 sur Hiroshima et le 9 août 1945 sur Nagasaki, provoquant l’agonie et la mort de centaines de milliers de Japonais dans des conditions atroces. Entamé dans la violence avec le conflit de 14-18, le XXe siècle s’est terminé dans la violence avec les guerres impitoyables qui ont suivi l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. La réputation violente du XXe siècle ne s’est pas démentie en Afrique où les guerres fratricides ont connu leur apogée avec le génocide rwandais qui a fait près d’un million de victimes, tuées pour la plupart à la machette, au milieu des années 1990. Mais la violence la plus impitoyable, la plus soutenue et la plus aveugle reste celle déclenchée au nom de Dieu. La violence religieuse est sans doute antérieure aux trois religions monothéistes. Le sacrifice humain était une forme brutale et terrifiante de la violence religieuse, même si le philosophe français René Girard le considérait comme « un progrès » par lequel l’humanité avait tenté de canaliser cette violence en la transformant « d’une violence de tous contre tous en une violence de tous contre un », balisant ainsi la voie à l’émergence des conditions nécessaires à la vie sociale. La violence religieuse infligée aux « ennemis de Dieu » prend souvent le caractère d’une cruauté extraordinaire. L’inquisiteur, le croisé et le jihadiste islamiste qui s’autoproclament serviteurs de Dieu se lancent dans une guerre totale contre ceux qu’ils considèrent comme ennemis de leur foi. Tout sens de la mesure et tout sentiment de pitié ou de modération sont absents de la guerre religieuse. Ses acteurs deviennent des illuminés dont l’intensité de la foi est proportionnelle à l’intensité de la cruauté avec laquelle ils traitent leurs ennemis. En d’autres termes, plus l’inquisiteur, le croisé ou le jihadiste islamiste se montrent impitoyables avec ceux qu’ils considèrent hérétiques, ennemis de Dieu ou infidèles, mieux, pensent-ils, ils servent leur Dieu. L'obsession des illuminés d'Al Qaida de verser gratuitement le maximum de sang possible, peu importe que ce sang soit celui de « l'infidèle étranger », du policier, du soldat ou celui du simple passant, est visible dans les stratagèmes effroyables auxquels ils recourent dans les guerres où ils sont impliqués, et en particulier celles d’Irak et de Syrie. L'un de ces stratagèmes consiste à envoyer un premier kamikaze se faire exploser au milieu d'une foule. Au moment où les secouristes et les sauveteurs commencent à évacuer les blessés en priorité, le second kamikaze en attente fonce sur les sauveteurs, les secouristes et les blessés du premier attentat. Un autre stratagème non moins effroyable consiste à envoyer un kamikaze se faire exploser dans un enterrement au milieu de la foule qui accompagne un mort vers sa dernière demeure. Face à ces sommets d’inhumanité et d’horreur franchis par ces « serviteurs de Dieu », il serait intéressant de rappeler ici un événement tiré de l'histoire tumultueuse de la Russie du début du XXe siècle, événement qui avait marqué l’écrivain français Albert Camus à un point tel qu'il en avait fait le thème central de son œuvre intitulée "Les Justes". En 1905 un jeune terroriste nommé Yanek Kaliayev, membre d'une organisation révolutionnaire russe, avait refusé de lancer une bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicholas II, parce qu’il avait vu qu'il était accompagné de deux enfants. Quelques jours plus tard Kaliayev avait commis son attentat mortel contre le grand-duc quand celui-ci était seul. Camus était à la fois séduit et horrifié par le geste de Kaliayev. Séduit parce que le jeune terroriste qui cherchait à servir sa cause révolutionnaire, était en même temps soucieux de faire le minimum de victimes possible. Horrifié aussi parce que même la mort d'un seul être humain sacrifié pour un idéal était pour lui inacceptable, car pour Camus le terrorisme est indéfendable quels qu'en soient les buts proclamés. "La vie d'un innocent a plus de poids et de valeur qu'un idéal qui se révèle le plus souvent un mirage", telle est l'idée centrale autour de laquelle est construite la pièce de Camus inspirée de l'attentat perpétré en 1905 contre l'oncle du tsar. Si Camus était horrifié par la mort d'un seul homme tué pour un but politique bien précis, quelle aurait été sa réaction s'il avait assisté aux massacres massifs d'innocents, perpétrés au nom de Dieu par l'organisation terroriste d'Al Qaida ? Quelle aurait été sa réaction de voir des jeunes à la fleur de l’âge se ceinturer d’explosifs et tenter de pénétrer dans des hôtels pour massacrer de paisibles touristes ? Moins de trois décennies avant l'action terroriste de Yanek Kaliayev, Fiodor Dostoïevski, dans "Les frères Karamazov", défendait bec et ongles l'idée que "si Dieu n'existait pas, tout serait permis". Cette idée centrale de la pensée politico-religieuse du grand écrivain russe ne résiste pas aux attitudes extrêmes de Kaliyaev d'une part et des terroristes d'Al Qaida d'autre part. Kaliayev, le révolutionnaire athée, a ajourné le lancement de sa bombe sur le grand-duc Serge parce qu'il était accompagné de deux enfants. Les terroristes d'Al Qaida, qui ne prononcent pas une seule phrase sans la faire précéder de la formule :"Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux", recourent aux stratagèmes les plus sataniques pour massacrer le maximum d'innocents possible. Kaliyaev, le révolutionnaire athée, a ajourné le lancement de sa bombe sur le grand-duc Serge parce qu’il était accompagné de deux enfants. Le terroriste islamiste, « très pieux », pourrait ajourner l’explosion de sa voiture piégée, s’il n’y avait pas assez d’innocents à déchiqueter. La différence entre le terroriste athée Yanek Kaliayev et le terroriste pieux Oussama Ben Laden est que, à l'une des questions fondamentales que l'humanité s'est toujours posée :"Y-a-t-il une limite à ne pas dépasser?", le premier répond "oui" et le second répond "non". C'est parce que les partisans de Ben Laden et ses disciples pensent qu'il n'y a aucune limite qui soit infranchissable que la Tunisie est entrée de plain pied dans l'une des périodes les plus sombres et les plus dangereuses de son histoire.

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