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Saturday, November 30, 2013

La malédiction du pétrole

Il a fallu quarante ans pour qu’on puisse voir finalement, preuves à l’appui, que les malheurs du monde arabe trouvent leur origine dans l’année 1973. C’est cette année qui a vu le déclenchement progressif de ce que beaucoup appellent « la malédiction du pétrole ». C’est en effet en 1973 que le prix de l’or noir a entamé une croissance continue passant de 2,32 dollars en octobre 1973 à 100 dollars en octobre 2013. Cette évolution aurait pu être une bénédiction, si la masse faramineuse d’argent générée par la vente du pétrole arabe était tombée entre les mains de régimes responsables ayant pour objectif fondamental le bien de leurs peuples et le développement industriel de leurs pays. Au lieu de cela, une bonne partie de cet argent qu’on peut évaluer sans risque d’erreurs en centaines de milliards de dollars a été utilisée et continue d’être utilisée dans deux directions principales : le financement de l’extrémisme religieux et l’achat massif d’armement. Dans un article de « Time Magazine » daté du 11 novembre 2013, le journaliste américain d’origine pakistanaise Fareed Zakaria écrit : « S’il y a un prix récompensant la politique étrangère la plus irresponsable du monde, c’est à l’Arabie saoudite qu’il doit sûrement être décerné. C’est la nation qui assume le plus de responsabilité dans la montée du radicalisme religieux dans le monde. Pendant les quatre dernières décennies, les immenses réserves de pétrole du royaume ont rendu possible l’exportation d’une version extrémiste, intolérante et violente de l’islam prêchée par les cheikhs wahhabites. » En toute objectivité et en toute honnêteté, ce ne sont pas là des accusations gratuites à l’encontre d’un pays innocent et mis injustement à l’index. Toutes les grandes puissances, tous les services de sécurité du monde savent pertinemment que des milliards de dollars d’argent saoudien sont dépensés dans le soutien des mouvements extrémistes et jihadistes. Les partis religieux afghans coalisés contre l’occupation soviétique de 1979 à 1989, les talibans dans les années 1990, les extrémistes sunnites irakiens après la chute de Saddam Hussein et leurs équivalents syriens aujourd’hui, sans oublier les extrémistes du Pakistan, du Bangladesh, d’Indonésie, du Mali, du Nigéria et la liste est longue, tout ce beau monde a bénéficié et bénéficie encore peu ou prou de la manne pétrolière saoudienne. Ce n’est pas un hasard, mais plutôt une conséquence logique de sa politique étrangère irresponsable que le royaume wahhabite se trouve accusé par une large partie de l’opinion publique américaine et de membres du Congrès d’être responsable des attentats du 11 septembre 2001, le plus grand acte terroriste de l’histoire de l’humanité. Il ne faut pas oublier que quinze des dix neuf terroristes sont de nationalité saoudienne, ce qui, pour d’anciens sénateurs, constitue apparemment un motif suffisant qui les a convaincus de porter plainte contre le royaume saoudien pour « implication directe » dans ces attentats. En Tunisie, après ce qu’on appelle encore révolution, l’argent du pétrole saoudien n’a pas perdu de temps pour arriver en catimini chez nous et entamer son œuvre destructrice de l’Etat et de la culture tunisiens. Des centaines d’écoles coraniques sont financées par cet argent nauséabond et sont en train de « préparer une nouvelle génération de musulmans tunisiens. » Il y a tout lieu de croire que les Wahhabites tentent aujourd’hui de prendre la revanche sur la rebuffade humiliante subie par Mohamed Ibn Abdelwaheb en personne il y a plus de deux siècles, quand nos ancêtres avaient répondu à son prosélytisme un peu trop collant par un niet catégorique. Mais si l’argent du pétrole saoudien finance en toute connaissance de cause l’extrémisme et l’intolérance religieuse dans les quatre coins du monde, l’argent du pétrole libyen, sans le vouloir sans doute, a financé l’armement par lequel cet extrémisme tente aujourd’hui de s’implanter en Afrique du nord en empêchant la Libye de se stabiliser et en tentant de déstabiliser la Tunisie. Pendant plus de quarante ans, la dictature libyenne n’a pratiquement rien fait qu’accumuler l’armement à coups de milliards de dollars non seulement pour se protéger contre ses ennemis, mais aussi avec l’idée d’imposer, le moment venu, son « modèle jamahiryen » à ses voisins arabes et africains. En dernière analyse, les centaines de milliards de dollars gaspillés pendant 42 ans par Kadhafi en armements de toutes sortes n’ont servi à rien. Le régime a fini par s’effondrer et avec lui le rêve fou du colonel d’imposer son « modèle jamahiryen ». Qui aurait pensé un jour que les immenses arsenaux libyens ne serviront qu’à nourrir un immense trafic de contrebande et armer les bandits et les extrémistes de tous bords ? Sans la malédiction de l’argent du pétrole, la situation en Tunisie serait aujourd’hui nettement meilleure. Les Tunisiens seraient maintenant en train de poursuivre l’œuvre de développement entamée il y a près de soixante ans, plutôt que de perdre temps et énergie à tenter désespérément de protéger leurs acquis menacés par l’extrémisme et l’armement financés tous deux par un argent qui a l’odeur nauséabonde du produit qui le génère.

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