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Thursday, October 24, 2013

Situation chaotique en Libye: Washington et la loi du magasin de poterie

La chute du régime de Kadhafi a entraîné l’effondrement de l’autorité qui régnait dictatorialement en Libye de septembre 1969 à octobre 2011. Le vide a vite été occupé non pas par une autorité mais des autorités. L’absence d’un centre unique de décision en Libye a fait que quiconque pouvant armer une centaine d’hommes, se crée son fief particulier et son propre centre de décision. L’anarchie généralisée en Libye trouve son origine dans l’alliance objective de trois composantes n’ayant aucun intérêt à voir émerger un Etat fort : le tribalisme, le jihadisme et le trafic d’armes et de drogues. Ces trois composantes, qui disposent chacune de ses propres milices armées, continuent d’unir leurs forces pour maintenir et alimenter l’état d’anarchie dans laquelle ils évoluent comme un poisson dans l’eau. L’un des signes les plus flagrants de la défaillance totale de l’Etat en Libye est le blocage par des milices incontrôlées de tous les ports libyens par lesquels transite le pétrole. Que ce produit soit vital et constitue à lui seul 90%des revenus de la Libye, ne semble pas inquiéter outre mesure les milices qui continuent de s’opposer par la force à l’exportation de ce produit hautement stratégique pour la Libye et sans les revenus duquel les Libyens risquent la faim. Le jeudi 10 octobre, deux ans après l’effondrement du régime de Kadhafi, on a eu droit à un signe spectaculaire de la défaillance de l’Etat en Libye. Ce jour là, à quatre heures du matin, une centaine de miliciens encerclèrent avec leurs pick up l’hôtel où loge le chef du gouvernement Al Zeidane, foncent vers l’aile où il a établi sa résidence et l’ont kidnappé avant de le conduire vers une destination inconnue. Pendant des heures, l’information faisait la « une » dans les journaux électroniques, les radios et les télévisions du monde entier avant que le premier ministre ne soit libéré par …une autre milice, celle du Zentan, qui a menacé de « détruire les bases » de la milice kidnappeuse dans le cas où celle-ci refuse de libérer son otage. La responsabilité de l’humiliation du représentant d’une autorité fragile, d’un semblant d’Etat basé à Tripoli, devrait être assumée en dernière analyse par les Etats-Unis dont « l’inutile bavardage » a provoqué le kidnapping d’un homme qui, depuis presque un an qu’il est à la tête du fragile gouvernement libyen, s’efforce de construire les bases d’une autorité centrale forte. Deux ou trois jours avant le kidnapping d’Ali Zeidane, le commando Delta de l’US Navy pénétra sur le territoire libyen et cueillit dans son propre quartier un « gros poisson » d’Al Qaida, Nazih Abdulhamid al Ruqai, plus connu par son nom de guerre Abou Anas Allibi. L’opération s’est déroulée de manière si « parfaite » que normalement nul au monde, à part une poignée d’Américains, n’aurait dû en entendre parler. Cette arrestation hors normes a visé un terroriste recherché depuis des années par la CIA pour « sa participation dans les attentats de 1998 contre les ambassades US au Kenya et en Tanzanie, et sa conspiration avec Ben Laden dans les attaques contre les troupes américaines en Arabie Saoudite, au Yémen et en Somalie ». Après l’arrestation d’Abou Anas Allibi, les Américains ont non seulement ébruité la chose, mais, plus incroyable encore, le secrétaire d’Etat John Kerry est allé jusqu’à révéler devant les micros de journalistes que « les autorités libyennes ont donné leur consentement préalable à l’arrestation » ! En se montrant si bavards, les Américains ont non seulement attiré des ennuis au gouvernement libyen et exacerbé les tensions qui opposent les milices aux hommes politiques, mais ils se sont privés des avantages de l’arrestation d’un haut responsable de la nébuleuse terroriste qu’assurent le secret absolu. Car enfin, Al Qaida, après l’arrestation d’un de ses plus hauts cadres, « une véritable mine d’informations » pour la CIA, ne va pas se croiser les bras et attendre que ses ennemis utilisent les informations collectées dans leur lutte antiterroriste. Certains commentateurs américains estiment que « les Etats-Unis, en rendant publique rapidement la capture d’Abou Anas Allibi, ont réduit énormément les avantages qu’ils auraient pu tirer d’une telle prise. La question qui se pose est que les Etats-Unis ne sont-ils pas un peu responsables de l’état d’anarchie qui sévit en Libye, de l’explosion du terrorisme, du trafic florissant d’armes en tous genres ? Les pays, la France et les Etats-Unis en tête, qui ont bombardé la Libye pendant des semaines sous prétexte d’aider « les forces démocratiques », se sont retirés dès la chute de la dictature, laissant derrière eux une anarchie indescriptible et une absence totale de la moindre force organisée de nature à sécuriser le pays. A ce niveau, les Etats-Unis et la France n’assument pas seulement une certaine responsabilité dans ce qui se passe en Libye, mais aussi dans ce qui se passe dans une vaste région qui s’étend du Mali à la Tunisie et de la Libye au Maroc. Aujourd’hui, une grande partie de l’insécurité qui mine la Tunisie est liée d’une manière ou d’une autre à la situation chaotique en Libye ; les menaces de déstabilisation qui pèsent sur l’Algérie ne sont pas sans rapports avec la situation qui prévaut en Libye ; la guerre qu’a menée la France à côté de l’armée malienne n’aurait peut-être pas eu lieu sans le pillage d’une quantité effrayante d’armements libyens entassés par Kadhafi à coups de milliards de dollars et dont une partie non négligeable était arrivée chez les djihadistes des tous bords ; l’ambassade américaine à Tripoli n’aurait pas été attaqué le 11 septembre 2012 et l’ambassadeur et quatre de ses collaborateurs n’auraient pas été tués si les Etats-Unis et la France n’avaient pas laissé derrière eux un vide politique vite occupé par les milices, les terroristes, les trafiquants d’armes, de drogue et par les contrebandiers de tout acabit. Il est politiquement futile, stratégiquement nul et moralement condamnable que les Etats-Unis, après avoir contribué à l’installation de l’anarchie et au développement du terrorisme en Libye, aient aujourd’hui pour soucis de faire la chasse à une poignée de terroristes qu’ils accusent de fait qui remontent à dix et quinze ans. L’arrestation d’Abou Anas Allibi ne fera pas reculer le terrorisme en Libye et ne diminuera pas ses menaces sur la Tunisie ou l’Algérie. Ce que les destructeurs étrangers du régime de Kadhafi auraient dû faire, c’est d’aider à la mise en place d’une autorité capable d’imposer l’ordre et de s’opposer au terrorisme, au trafic d’armes et au sabotage de l’économie. Aux Etats-Unis, tout le monde connaît « la loi du magasin de poterie » que les Américains résument en quatre mots : « you break it, you buy it » (Vous la cassez, vous l’achetez). Ceci est valable dans les magasins de poterie et de porcelaine. L’immixtion des Etats-Unis et de la France dans les affaires libyennes ressemble dans ses conséquences à l’entrée d’un éléphant dans un magasin de poterie. Ils ont tout brisé et ils sont partis comme si de rien n’était. Les pots cassés, ce sont aujourd’hui les Libyens et, dans une moindre mesure, les Tunisiens qui sont en train de les payer.

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