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Saturday, November 30, 2013

La France rentre dans les rangs

Dans la nuit du 23 au 24 novembre, un accord intérimaire sur le nucléaire iranien a pu finalement avoir lieu entre l’Iran et ce qui est convenu d’appeler les « 5+1 », c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne. Très tard dans la nuit du samedi à dimanche, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé la bonne nouvelle aux journalistes présents dans l’hôtel Intercontinental de Genève. Les détails de l’accord ne sont pas encore rendus publics, mais l’on parle déjà de l’acceptation par l’Iran de l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium à 20%, se contentant d’un enrichissement à 3,5%. En contrepartie, 4,5 milliards de dollars d’argent iranien gelé dans les banques occidentales seront débloqués et un nombre non spécifié de sanctions sera levé. Cet accord intérimaire est valable six mois durant lesquelles les négociateurs continueront leur travail en vue d’arriver à un accord final. L’accord intérimaire ne fait pas plaisir à tout le monde, (d’aucuns à l’instar des Saoudiens et des Israéliens en sont furieux), mais il n’en constitue pas moins un soulagement pour la plupart des pays du monde qui voient d’un bon œil l’une des plus graves crises internationales se résoudre diplomatiquement. L’origine de la crise du nucléaire iranien remonte à 2002 quand le site d’enrichissement nucléaire de Natanz était découvert. Un grand tapage médiatique et une fureur aux Etats-Unis et en Israël principalement ont suivi. A l’époque, le président américain George W. Bush avait son plan de remodelage du Moyen-Orient et la décision de l’appliquer était déjà prise. Ce plan visait en premier lieu la destruction du régime irakien et son remplacement par un autre, pro-américain, avant de poursuivre sa mission destructrice auprès de tous les régimes « ennemis » de la région, et principalement la Syrie et l’Iran. L’Iran était donc au point de mire de George W. Bush dont il devait s’occuper dès l’installation d’un régime ami à Bagdad. D’où la fureur de la Maison blanche quand, en 2003, le président français Jacques Chirac avait pris l’initiative de proposer des négociations avec Téhéran pour tenter de résoudre pacifiquement et diplomatiquement le problème nucléaire iranien. Entretemps, l’invasion de l’Irak avait tourné au désastre tant pour les occupants que pour les occupés, et l’Iran en était sorti bénéficiaire. George Bush avait alors détruit le régime de Saddam Hussein, le pire ennemi de l’Iran, et avait, sans le vouloir bien sûr, ouvert toutes grandes les portes de l’Irak à l’influence iranienne. Ce rappel historique est nécessaire pour montrer comment en dix ans les rôles de la France et des Etats-Unis vis-à-vis du nucléaire iranien se sont inversés. Si en 2003, la France avait pris l’initiative du dialogue avec l’Iran et les Etats-Unis ne voulaient pas en entendre parler, en 2013, c’est la France qui, singulièrement, a fait avorter au début du mois de novembre les précédentes négociations avec l’Iran, alors que les Etats-Unis étaient prêts et même pressés de signer un accord avec l’Iran. Il serait intéressant de revoir le cheminement de ces négociations qui ont démarré le 7 novembre dernier, à Genève. Elles ont bien démarré, l’optimisme était de rigueur et le secrétaire d’Etat John Kerry a même interrompu sa tournée au Moyen-Orient et s’est envolé pour Genève, caressant probablement l’espoir d’annoncer au monde un accord historique avec l’Iran et la fin de la brouille irano-américaine qui dure depuis plus d’un tiers de siècle. C’est la France qui a déraillé ces négociations prometteuses. C’est la France qui s’est chargée de faire échouer un accord qui était pourtant à portée de main. Après 60 heures de négociations dans une ambiance portée plutôt sur l’optimisme, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, sort sa demande de « changements de dernière seconde » au projet d’accord irano-occidental. Alors que les participants aux négociations s’apprêtaient à signer le projet d’accord, M. Fabius, à la surprise générale, sort à la dernière minute « une vingtaine d’amendements » au projet, sachant pertinemment que les Iraniens n’accepteront jamais « les conditions humiliantes » contenues dans « les amendements » français. Qui a intérêt dans l’échec de ces négociations ? Il y a essentiellement trois parties : Israël, l’Arabie saoudite et les « faucons » du Congrès américain. Si l’Arabie saoudite et Israël se sont délectés en silence de cet échec, sans doute pour ne pas embarrasser la France par des remerciements, ce n’est pas le cas des « faucons » du Congrès. Le plus anti-iranien du sénat, Lindsay Graham, a exprimé clairement et directement sa joie sur CNN en ces termes : « Les Français sont en train de devenir de très bons leaders au Moyen-Orient. Merci la France ». Quant à John McCain, tout aussi anti-iranien, il s’est contenté d’un tweet sur son compte Twitter : « La France a eu le courage d’empêcher la conclusion d’un mauvais accord nucléaire. Vive la France. » Il faut remonter à mai 2007, et plus précisément à l’élection de Nicolas Sarkozy, pour déceler le début de raidissement de la position française à l’égard de divers dossiers chauds dans la région Golfe-Moyen-Orient. « D’une position médiane, la France a basculé dans une position souvent plus dure que celle des Etats-Unis », affirme François Nicoullaud, ancien ambassadeur à Téhéran, cité par le journal « Le Monde ». Dans cette position française, presque similaire à celle d’Israël, certains observateurs décèlent une touche personnelle du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, dans le sens de l’intransigeance. « Il a la mémoire pénible vis-à-vis de l’Iran », remarque un diplomate, cité par le journal « Le Monde ». Le diplomate fait allusion aux années 1980. Laurent Fabius était alors Premier ministre lorsque Paris fut secoué par une série d’attentats. Les enquêteurs privilégiaient alors « la piste iranienne »… Il est remarquable que le ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, qui était à l’origine de l’échec des précédentes négociations, prenne la peine d’annoncer lui-même le succès de celles-ci à une heure si tardive. Visiblement, face à la détermination de Washington de signer un accord avec Téhéran, la France n’a eu d’autre chois que de mettre de l’eau dans son vin et de rentrer dans les rangs. Le quotidien israélien « Haaretz » s’est fait l’écho dans son édition du 21 novembre du « malaise » de la Maison Blanche face à la position israélienne du « tout ou rien ». Israël exigeait alors le démantèlement total du programme nucléaire iranien, y compris le démantèlement de toutes les centrifugeuses en service en Iran, avant toute levée des sanctions. Selon un haut responsable de la Maison blanche cité par « Haaretz », « une telle exigence conduirait directement à la guerre ». Dans les milieux proches de la Maison blanche, on soupçonnait déjà Israël de manœuvrer pour provoquer la guerre. On soupçonnait également que l’option du « tout ou rien » visait à pousser l’Iran à abandonner les négociations pour en prendre prétexte de l’attaquer et d’obliger Washington à le suivre. Les Etats-Unis étaient sans doute conscients de ce piège que leur tendaient leurs alliés israéliens depuis 2006. Mais ils ont toujours signifié clairement leur opposition à une frappe israélienne contre l’Iran sans leur aval. Selon le quotidien « Haaretz », le Premier ministre israélien savait depuis vendredi 22 novembre qu’il ne pouvait plus s’opposer à la conclusion de cet accord intérimaire et a décidé d’arrêter sa campagne…pour mieux se préparer à la prochaine campagne qu’il compte enclencher pour empêcher la conclusion d’un accord final dans six mois. Mais comme l’a souligné le journaliste israélien Barak Ravid, si Netanyahu se prépare à entrer en campagne contre la conclusion d’un accord final entre l’Iran et les « 5+1 », « il craint déjà que l’accord intérimaire, comme c’est le cas dans d’autres situations, ne devienne permanent. »

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