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Sunday, October 06, 2013

Soulagement dans le monde, Désarroi en Israël

La conversation téléphonique entre le nouveau président iranien Hassan Rouhani et son homologue américain Barak Obama peut, à juste titre, être considérée comme un événement dans les relations irano-américaines. Cela fait plus d’un tiers de siècle maintenant que pas un seul contact direct à quelque niveau que ce soit entre responsables des deux pays n’a eu lieu. Les intérêts américains à Téhéran sont représentés depuis 1979 par la Suisse. En toute objectivité, le peuple iranien a des raisons d’en vouloir aux Etats-Unis. Si l’on remonte 60 ans en arrière, on constatera qu’une bonne partie des problèmes, pou ne pas dire des malheurs, des Iraniens sont causés par la politique étrangère américaine qui, déjà bien avant 1953, avait fait du Golfe « une zone vitale » pour les intérêts américains. L’année 1953 constitue un grand tournant dans les relations irano-américaines. Cette année, la CIA, avec la complicité des services de renseignements britanniques, avait mis fin à une expérience démocratique initiée par le président Mohamed Mosaddeq. Celui-ci était renversé et à la brève expérience démocratique avait succédé la dictature du Chah, soutenue à bout de bras par Washington jusqu’à son renversement par la révolution khomeyniste de 1979. E 1953 à 1979, des centaines de milliers d’Iraniens ont été sauvagement torturés et emprisonnés par la Savak, la terrible police politique du Chah, qui entretenait d’étroites relations avec la CIA. Des millions d’Iraniens avaient souffert de la répression impitoyable et de l’absence quasi-absolue de liberté du temps de la dictature de Mohamed Reza Pahlavi, autant de malheurs qui auraient pu être évités au peuple iranien, si Washington s’était abstenu de s’ingérer dans les affaires intérieures iraniennes. En 2002, et alors que les rancœurs iraniennes envers Washington commençaient à se dissiper et que Téhéran était prêt à la normalisation des relations avec le « grand Satan », George W. Bush, dans l’un de ses discours les plus belliqueux, inclut l’Iran à côté de l’Irak et la Corée du nord dans ce qu’il appela alors « l’axe du mal ». Certains voient la main d’Israël dans cette « agression verbale gratuite » contre l’Iran. La supposition n’est pas absurde compte tenu de la stratégie israélienne qui consiste jusqu’à ce jour à alimenter la tension entre les Etats-Unis et les pays de la région qu’Israël considère comme ses « ennemis mortels ». Cette stratégie a réussi en Irak et Israël ne perd toujours pas l’espoir de voir l’Iran subir le même sort que son voisin. En 2006, les Etats-Unis, sous la pression israélienne, soulevèrent le problème de l’enrichissement de l’uranium en Iran, destiné selon Téhéran à la production de l’énergie nucléaire, et selon Washington et Tel Aviv à la production d’armes de destruction massive. Cette différence d’interprétation est encore au centre du contentieux irano-américain et le principal « argument » agité par Israël pour justifier ses menaces de frappes aériennes contre l’Iran. Il faut dire que pendant ses deux mandats successifs, l’ancien président Mahmoud Ahmadinajad avait, sans le vouloir, servi largement la stratégie israélienne qui cherchait des arguments pour soutenir ses sempiternelles jérémiades relatives à la prétendue « menace mortelle » qui la guettait de la part de l’Irak hier et de l’Iran aujourd’hui. On se rappelle que chaque fois qu’Ahmadinajad monte à la tribune de l’ONU pour prononcer son discours à la session automnale de l’Assemblée Générale, il se déchaînait tellement contre « l’entité sioniste » que des dizaines de diplomates de différentes nationalités quittaient l’un après l’autre la salle. C’était devenu un rituel. Ses discours incendiaires qui servaient si bien la propagande israélienne se poursuivaient jusqu’aux derniers mois de son second mandat. En août 2012, à l’occasion de la « Journée d’Al Qods », il a promis à ses partisans « un nouveau Proche-Orient sans aucune trace des sionistes » puisque « la tumeur cancéreuse d’Israël va bientôt disparaître. » Pour Israël, il y a au moins trois bonnes raisons qui lui permettent de réserver un très bon accueil aux discours d’Ahmadinajad et de souhaiter même leur multiplication. Tout d’abord ce genre de discours rassure les Israéliens sur le caractère factice de la menace, car celui qui a l’intention, la volonté et les moyens de détruire un pays ne le crie pas sur les toits à longueur d’années. Et s’il se contente de le répéter, cela veut dire qu’il n’a ni la volonté ni les moyens, mais seulement un désir qu’il confond avec la réalité. Ensuite, ce genre de discours est un pain béni pour Israël qui lui permet de divertir l’attention internationale sur ses crimes contre les Palestiniens, mettant en avant les menaces que ses ennemis, de leur propre aveu font peser sur son existence. Enfin les discours d’Ahmadinajad constituent une matière précieuse qu’Israël utilise intelligemment pour entretenir la tension entre son protecteur américain et son ennemi iranien. Le discours que le nouveau président iranien Hassan Rouhani a prononcé la semaine dernière devant l’Assemblée générale de l’ONU a provoqué le soulagement dans le monde et le désarroi en Israël. Le soulagement vient du fait que Rouhani a pris le contre-pied de son prédécesseur. Il a affirmé devant une assistance très attentive que « le peuple iranien, opposé à l’extrémisme et ayant voté pour la modération, lui a donné un mandat pour créer un nouvel environnement qui baliserait la voie à de nouvelles relations avec l’Occident. » La main tendue par l’Iran s’est traduite tout de suite après par un entretien téléphonique entre le président iranien et son homologue américain, chose inédite depuis plus d’un tiers de siècle. Le désarroi en Israël vient du fait que Rouhani, contre toute attente, a reconnu et condamné « les crimes que les nazis ont commis envers les juifs. » Ces simples mots prononcés par un président iranien devant le monde entier ont provoqué une panique infiniment plus grande que tous les discours incendiaires d’Ahmadinajad. Celui n’a fait durant ses deux mandats que renforcer le « fond de commerce israélien » qui consiste à mettre en avant le statut d’éternelle victime. En quelques mots, le nouveau président vient saper les fondations de ce même fond de commerce, d’où le désarroi israélien et la réponse de Benyamin Netanyahu qui, la mort dans l’âme, a qualifié le discours du président Rouhani de « cynique » et « hypocrite », traduisant « exactement la stratégie iranienne qui consiste à parler et à gagner du temps pour faire progresser ses capacités à se doter d’armes nucléaires .» Uri Avnery, le vieux journaliste israélien, a vu juste. Dans un article publié dans le journal américain en ligne (www.counterpunch.com) et intitulé « The real bomb » (La vraie bombe), il écrit : « Un Iranien qui reconnaît et condamne l’holocauste ! Un Iranien qui offre douceur et lumière ! Un Iranien qui désire la paix et l’amitié entre toutes les nations, y compris Israël ! (…) C’est cela la vraie bombe, une bombe beaucoup plus menaçante que la bombe nucléaire. On peut dissuader une bombe nucléaire avec une autre bombe nucléaire. Mais comment peut-on dissuader Hassan Rouhani ? » Ce n’est pas la première fois que le vieux militant et journaliste israélien est atterré face au désarroi qui s’empare de son pays chaque fois qu’il se trouve en danger de paix.

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