airelibre

Monday, July 19, 2010

Une bougie dans le vent

Le père de Nelson Mandela avait tort de donner à son fils le nom de « Rolihlahla », ce qui signifie, en langue xhosa, celui par qui les problèmes arrivent. Si, en langue xhosa, il y avait un mot qui signifiait « celui par qui les solutions arrivent », il siérait beaucoup mieux à celui qui est devenu dans le monde entier le symbole de la tolérance, du pardon, et de l’humilité.
C’est grâce à ces trois qualités essentielles que Mandela a pu organiser une transition étonnamment pacifique d’un pays qui, durant des décennies, a vécu l’une des plus grandes injustices de l’histoire : cinq millions de Blancs maintenaient, par le fer et le feu, vingt cinq millions de Noirs dans des conditions infrahumaines.
L’ampleur des injustices subies par les Noirs sud-africains de la part des Boers étaient telles que la transition aurait sans aucun doute été terrifiante sans les trois qualités essentielles de Nelson Mandela, et sans son charisme, élément fondamental, qui explique la facilité avec laquelle il a pu convaincre son peuple de se laisser guider par les sentiments positifs (tolérance, pardon, humilité), plutôt que par les sentiments négatifs (intolérance, vengeance, arrogance).
Le 11 février 1990, « le détenu 46664 » était libéré. Ses geôliers n’en croyaient pas leurs yeux. Comment, se demandaient-t-ils, un homme qui a passé 27 ans de sa vie dans une cellule de la prison de Robben Island, en sort équilibré, souriant, sans amertume, malgré les terribles conditions de détention ? Comment, se demandaient-ils, un homme qui a été soumis aux pires traitements par le régime raciste de Pretoria, arrive-t-il à se fixer pour unique objectif de construire une nation arc-en-ciel où Blancs et Noirs travailleraient côte à côte et auraient les mêmes chances, alors qu’il avait tous les moyens de régler des comptes et de se venger des oppresseurs de son pays et de son peuple ?
Mandela s’est vengé à sa manière. Une manière douce, intelligente, noble. Une manière qui consiste à pousser l’ancien oppresseur à se poser les questions les plus dérangeantes et les plus déroutantes, à se torturer lui-même moralement en lui montrant la différence entre sa petitesse et la grandeur d’âme de sa victime, entre son arrogance et l’humilité de sa victime, entre le traitement inhumain de 25 millions d’êtres humains à cause de la couleur de leur peau et le pardon de leurs victimes.
Mandela a pardonné, mais, bien entendu, pardon ne signifie pas oubli. Car ce qu’a fait l’apartheid en Afrique du sud ne s’oublie pas. Cependant, la grandeur d’âme de Mandela, son intelligence politique, sa conception particulière de la justice qui consiste non pas à punir l’ancien oppresseur, mais à le pousser à regretter ce qu’il a fait, à déchaîner en lui l’intolérable sentiment du remords, tous ces éléments, donc, ont balisé le terrain à l’instauration d’un régime politique acceptable à la fois pour les Blancs et les Noirs, et à la transformation de l’Afrique du sud en moins de deux décennies en première puissance économique de continent. Ainsi, en moins de deux décennies l’Afrique du sud est passé du statut de pays méprisé, isolé, honni, à celui de pays respectable, couvert de louanges et dont l’amitié et la coopération sont recherchées par pratiquement tous les pays du monde.
Cette réalisation peu commune, d’une part, et l’esprit de tolérance et de pardon de Nelson Mandela, d’autre part, ont apporté au continent africain et au monde une bouffée de fraîcheur, de paix et de liberté dans une planète secouée par la haine et les conflits sanglants.
Dans le bruit et la fureur qui caractérisent notre monde d’aujourd’hui, l’esprit de tolérance et d’ouverture sur l’autre de Mandela est aussi fragile q’une bougie dans le vent. La célèbre chanson « Candle in the wind » (Bougie dans le vent), écrite par Bernie Taupin, interprétée une première fois par Elton John en 1973 en hommage à Marilyn Monroe, et interprétée une deuxième fois en 1997 en hommage à la princesse Diana, pourrait parfaitement être interprétée une troisième fois en hommage à Nelson Mandela, qui a fêté dimanche son anniversaire, en soufflant 92 bougies…
Et précisément, c’est parce qu’elle est consciente du caractère à la fois précieux et fragile de l’héritage politique et moral de Nelson Mandela, que l’ONU a fait du 18 juillet, jour de son anniversaire, « une journée internationale » pour la promotion de la paix et de la tolérance dans le monde. C’est une décision très inspirée, car elle aide cette bougie qui s’entête à briller au milieu de l’obscurité et de l’obscurantisme ambiants à résister aux tempêtes qui font rage dans de nombreux foyers de tension en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, dans le Golfe et ailleurs.
Dimanche dernier, on a assisté à une première mondiale : un homme fête en privé et dans l’intimité familiale son anniversaire, célébré en même temps dans le monde entier, dans le cadre de la journée internationale qui lui est dédiée. Mandela le mérite amplement après 67 ans de combat au service de son peuple d’abord, de l’humanité ensuite. Si tous les politiciens avaient le même patrimoine génétique que Nelson Mandela, la planète ne serait-elle pas un paradis ?

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