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Saturday, July 24, 2010

La lâcheté de l'un et le courage de l'autre

La Commission d’enquête Chilcot, du nom de son président Sir John Chilcot, poursuit ses auditions pour connaître la vérité sur la participation britannique dans l’invasion de l’Irak au printemps de 2003 et ses conséquences. Le 20 juillet dernier, elle a entendu un important témoin : la baronne Eliza Banningham-Buller, patronne du MI5 (les services de sécurité intérieure) entre 2002 et 2007. Compte tenu du poste stratégique qu’elle occupait, Lady Manningham-Buller est sans aucun doute l’une des responsables britanniques les mieux informés à la fois des combines, manigances et tromperies auxquelles avait eu recours le gouvernement d’alors dirigé par Tony Blair pour imposer la participation de Londres à l’invasion de l’Irak au public britannique, et des conséquences désastreuses de cette aventure sur la sécurité de la Grande Bretagne.
Après sept ans de silence, l’ancienne patronne du MI5 a dit tout ce qu’elle a sur le cœur. Son témoignage est dévastateur pour tout ceux qui s’accrochent encore désespérément au mensonge que la guerre d’Irak était nécessaire pour la sécurité de leurs pays et du monde. Ecoutons-la : « Notre implication en Irak a radicalisé toute une génération, pas toute une génération, mais quelques uns d’une génération de jeunes qui voient en notre intervention en Afghanistan et en Irak une agression contre l’islam. »
La baronne a dit aux membres de la Commission d’enquête « ne pas être surprise » par les attentats dans le métro de Londres du 7 juillet 2005 ni par le fait que « de plus en plus de jeunes britanniques soient attitrés par l’idéologie de Ben Laden. »
Elle va plus loin encore en faisant assumer clairement la responsabilité de la terrifiante montée du terrorisme en Irak aux envahisseurs : « L’envahissement de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein ont permis à Al Qaida de s’établir dans ce pays, chose qu’elle n’a jamais pu faire avant. De toute évidence, nous avons offert à Oussama Ben Laden son Jihad irakien, de sorte qu’il pût agir librement en Irak comme jamais auparavant. » Un autre élément important dans le témoignage de Lady Eliza Banningham-Buller : elle a développé l’idée que Saddam Hussein ne constituait aucune menace pour la Grande Bretagne. « Nous ne croyions pas qu’il possédât la capacité d’entreprendre quoi que ce soit contre le Royaume Uni », a-t-elle affirmé devant la Commission Chilcot.
Il serait intéressant de rappeler ici l’idée centrale du témoignage de l’ancien Premier ministre Tony Blair devant la même Commission le 29 janvier dernier : « Si l’on me demande si nous sommes plus sécurisés, si l’Irak va mieux, si notre sécurité est mieux assurée avec Saddam et ses deux fils loin du pouvoir, je réponds, oui en effet, nous le sommes. C’était mieux de faire face à cette menace et de renverser le régime de Saddam. Et, en conséquence, je crois sincèrement que le monde est plus sûr. »
Quelques semaines plus tôt, Tony Blair avait déjà donné le ton. Dans une interview à BBC1, l’ancien Premier ministre britannique a affirmé que « l’invasion de l’Irak était justifiée, même en l’absence d’armes de destruction massive. »
Voici deux anciens responsables d’un même pays, témoignant devant la même Commission, mais avec des dépositions aux antipodes l’une de l’autre. Ni les lecteurs, ni les observateurs, ni les membres de la Commission Chilcot ne trouveront la moindre difficulté pour décider de quel côté se trouve la vérité. La déposition de Lady Banningham-Buller est conforme à la réalité ; celle de Tony Blair est plutôt conforme à un monde imaginaire dans lequel il vit, un monde où tout un chacun vit heureux et en sécurité grâce à la disparition du danger qui menaçait la planète entière : Saddam et ses enfants.
Mais Blair vit-il réellement dans un monde imaginaire, et croit-il sincèrement à ce qu’il a dit le 29 janvier devant la Commission Chilcot ? Il est difficile d’accepter l’idée qu’un homme de l’envergure de Tony Blair qui a mené son parti trois fois successives à la victoire, qui a gouverné la Grande Bretagne une décennie sans interruption, puisse croire honnêtement que le monde d’aujourd’hui est plus sûr et que l’Irak va mieux aujourd’hui qu’au temps de Saddam.
Tony Blair n’est pas fou et, en déposant devant la Commission, ne peut pas ne pas avoir en tête les millions de morts, de blessés et de mutilés à vie parmi la population irakienne ; il ne peut pas ignorer les millions de déplacés irakiens qui ont vu leur vie détruite ; il ne peut pas ignorer le terrifiant développement du terrorisme suicidaire, rarissime avant l’invasion de l’Irak ; il ne peut pas ignorer le mal dévastateur infligé au droit international et au système onusien d’une manière générale. Mais il a feint d’ignorer tout ça, répétant à l’envi que le monde va mieux sans Saddam, que l’invasion est justifiée même sans armes de destruction massive et que si c’était à refaire, il ne changerait rien à sa décision.
Blair est un cas atypique. Il est à la fois intelligent et lâche. Intelligent par l’impact personnel qu’il a pu imprimer à La Grande Bretagne au cours de la décennie écoulée. Lâche par son incapacité à reconnaître son erreur, en dépit ou, peut-être, à cause de l’immensité de cette erreur. Il demeure une exception dans le mauvais sens du terme. La règle est du côté de la coexistence de l’intelligence et du courage, comme dans le cas typique de Lady Eliza Banningham-Buller. Bien qu’il eût été plus intelligent et plus courageux de sa part de dire ce qu’elle avait sur le cœur sept ans plus tôt. Par exemple le 5 février 2003, le jour où Colin Powell, secrétaire d’Etat américain, et Jack Straw, ministre britannique des AE, faisaient leur cinéma à l’ONU.

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