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Saturday, July 03, 2010

Les deux mots que le monde entier attend

Il y a des pays si discrets, si pacifiques, si occupés à surmonter les problèmes de la vie quotidienne qu’on en entend rarement parler. Ils occupent une place très marginale dans l’actualité internationale et ne s’en plaignent pas. La Jordanie est un exemple type. Démunie de richesses minières et énergétiques, avec une population à 60% d’origine palestinienne, l’unique objectif que semble avoir la Jordanie est de compenser l’avarice de la nature à son égard par le travail et l’effort continus.
Si l’on examine l’actualité des quarante dernières années, on constatera que la Jordanie n’a été propulsée de manière spectaculaire sur la scène internationale qu’à deux reprises : en septembre 1970 lors de la confrontation sanglante entre l’armée jordanienne et les combattants palestiniens, et en octobre 1994 lors de la signature de l’accord de paix israélo-jordanien.
Pour Washington, c’est connu, la seule chose qui compte au Moyen-Orient, c’est la sécurité d’Israël. Par conséquent, pour la diplomatie américaine, il n’y a pas de pays arabes discrets ou pacifiques. Tous les Arabes sont suspects d’inimitié et de mauvaises intentions envers Israël, et il convient donc de les surveiller de très près. Aux yeux des Américains, l’accord jordano-israélien d’octobre 1994 ne change rien à l’ordre des choses, les Jordaniens sont tout aussi suspects que les autres et subissent actuellement de la part des Etats-Unis des pressions insolites, pour ne pas dire absurdes.
De quoi s’agit-il ? La Jordanie, on insiste, est dépourvue de la moindre ressource énergétique et ses finances subissent annuellement une véritable hémorragie rien que pour assurer les besoins du pays en électricité. Des milliards de dollars sont déboursés chaque année par le royaume pour acheter l’électricité. Et puis un jour, en 2007, c’est le soulagement. La Jordanie découvre quelque part dans son vaste désert une mine d’uranium qui contient 65000 tonnes du précieux minerai, classée 11eme dans le monde.
Quoi de plus naturel dans ces conditions que de s’engager dans la construction de réacteurs nucléaires, enrichir l’uranium et l’utiliser dans la production de l’électricité ? C’est ce que la Jordanie a fait en lançant un appel d’offres international pour la construction d’un réacteur de 1100 mégawatts, le premier d’une série de réacteurs qui permettraient dans un premier temps au pays de satisfaire ses besoins en électricité et, dans un deuxième temps, d’exporter l’énergie électrique à ses voisins, et ce ne sont pas les acheteurs qui manquent. Les Jordaniens commencent à rêver puisque non seulement ils feront l’économie de milliards de dollars en n’important plus d’électricité, mais ils vont, dans un proche avenir, engranger les devises en devenant exportateurs…
Tout allait bien jusqu’au jour où la diplomatie américaine fit irruption. La Jordanie est priée d’oublier ses mines d’uranium. En tant que signataire du traité de non prolifération, elle a le droit de développer un programme nucléaire civil, de construire un réacteur pour produire l’électricité, mais l’uranium enrichi nécessaire devrait être acheté sur le marché international et non produit localement. C’est en gros le message de la diplomatie américaine au royaume hachémite.
On comprend la fureur du roi Abdallah II. L’opposition américaine à ce que la Jordanie enrichisse elle-même l’uranium découvert dans son désert, équivaut à un blocage d’une importante perspective de développement pour le Jordaniens qui ont commencé à rêver d’une amélioration de leur niveau de vie. Les Jordaniens devraient rester dans l’état où ils sont parce qu’Israël a des insomnies chaque fois q’un pays arabe ou musulman se tourne vers l’énergie nucléaire.
Le roi Abdallah soupçonne Israël évidemment d’être derrière les pressions américaines, et ses soupçons sont parfaitement fondés. Car sans les jérémiades israéliennes, les Etats-Unis n’auraient même pas eu l’idée d’interpeller les Jordaniens pour la simple raison qu’ils ont décidé d’exercer un droit que le TNP accorde à tous les pays signataires.
Ces pressions américaines absurdes soulèvent plusieurs questions. Pourquoi refuser à la Jordanie le droit élémentaire d’enrichir à 20% son propre uranium, puisque que, en tant que pays signataire du TNP, toutes ses installations et activités nucléaires seront étroitement surveillées par les inspecteurs de l’AIEA ? Les diplomates américains chargés d’exercer ces pressions peuvent-ils développer sérieusement un seul argument pour soutenir une crainte quelconque que le programme nucléaire civil jordanien soit un jour détourné vers d’autres fins inavouables ? Plus clairement encore, quiconque doué d’un minimum de bon sens peut-il soutenir, sans se ridiculiser, que la Jordanie chercherait un jour à acquérir l’arme nucléaire pour menacer Israël ?
Mais la plus importante question est celle-ci : jusqu’à quand les Etats-Unis continueront-ils à accepter de se mettre dans les situations les plus embarrassantes chaque fois qu’Israël a des insomnies parce que tel pays ou tel autre décide de produire de l’électricité nucléaire ? Jusqu’à quand continueront à mobiliser leur machine diplomatique au service d’Israël chaque fois que ce pays crie au loup ?
Si les Etats-Unis avaient une juste évaluation de leurs propres intérêts et même des intérêts d’Israël, ce n’est pas à Amman qu’ils auraient dû envoyer leurs diplomates, mais à Tel Aviv. Car les véritables pressions, celles que la paix dans la région attend depuis des décennies ne sont pas celles que les responsables américains exercent actuellement sur le gouvernement jordanien, mais celles qu’ils n’ont jamais voulu exercer sur le gouvernement israélien.
Visiblement, pour les Etats-Unis, il est beaucoup plus facile de mener les guerres les plus sanglantes à 10.000 kilomètres de leur territoire, de détruire la vie de millions de personnes, de sacrifier leurs propres soldats et de gaspiller leurs finances publiques que de dire à Israël les deux mots que le monde entier attend : maintenant assez !!!

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