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Sunday, August 11, 2013

Le temps des malfaiteurs

Pour dénicher un bienfaiteur de l’humanité, il faut se lever tôt, préparer sa lanterne et partir quand le soleil est au zénith, tel Diogène cherchant « l’Homme ». Les bienfaiteurs de l’humanité sont une denrée très rare. Ce sont des hommes si exceptionnels qu’on n’en voit guère plus d’une poignée par siècle. On les rencontre en feuilletant les manuels d’histoire, plutôt qu’en se promenant dans les grandes artères des villes. Les savants qui ont mis au point toutes ces machines ayant servi à libérer l’homme des corvées et à faciliter sa vie, ceux qui ont développé la médecine et la pharmacologie, les humanistes qui se sont appliqués leur vie durant à alléger les souffrances des hommes, des femmes et des enfants sont des bienfaiteurs de l’humanité. Il y a aussi des bienfaiteurs en puissance. Pourquoi en puissance et non de fait ? Parce qu’on ne les a pas laissés poursuivre leur route. On a fait taire leurs voix avant qu’ils n’aient la possibilité de concrétiser leur amour et leur dévouement pour leurs semblables par des décisions et par des actes décisifs. En Tunisie, deux de nos bienfaiteurs en puissance, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, ont été tués l’un après l’autre, à six mois d’intervalle, par des terroristes, c'est-à-dire par des malfaiteurs réels. Les malfaiteurs pullulent. Leur but dans la vie, c’est de rendre infernale celle des autres. C’est une engeance qu’on peut trouver dans un large spectre allant d’hommes d’Etat et de responsables de partis politiques aux hommes de main avec peu de cervelle et beaucoup de muscles affectés aux basses besognes. Boutefeux, déclencheurs de guerres, tortionnaires de peuples, diviseurs de citoyens en fidèles et infidèles, théoriciens de la haine, du racisme et de la xénophobie, coupeurs de têtes et égorgeurs d’hommes et de femmes au nom d’Allah et la liste est longue. L’assassin qui a tué le 25 juillet Mohamed Brahmi en plein jour et en plein mois de ramadan et ceux qui l’ont recruté et armé, appartiennent à la pire espèce des malfaiteurs de l’humanité, la plus nombreuse et la plus répandue en ces temps maudits. On les trouve en Tunisie, en Libye, en Egypte, en Syrie, en Irak en Somalie, au Nigeria, au Pakistan, en Afghanistan etc. etc. C’est l’espèce la plus dangereuse dans le sens où les fanatiques qui la composent dénient à leurs semblables le droit d’avoir un avis différent ou une croyance qu’ils ne partagent pas, et vont jusqu’à la liquidation physique pure et simple, comme ce fut le cas en ce jour de célébration du 56e anniversaire de la République, transformé soudain en un jour de deuil par 14 balles tirés d’une arme semi-automatique. Un acharnement terrifiant par lequel l’assassin voulait s’assurer qu’aucune chance de survie n’est laissée à cette voix qui dérange et que les commanditaires, dans leur réunion secrète, ont décidé de faire taire à jamais. Selon le ministre de l’Intérieur, ce sont les mêmes malfaiteurs et la même arme qui ont été utilisés il y a six mois, le 6 février dernier, pour faire taire à jamais une autre voix qui dérange, celle de Chokri Belaid. L’information donnée par le ministre est accablante pour son ministère. Pendant six mois, les terroristes-malfaiteurs qui ont participé à la planification et à la perpétration de l’assassinat de Chokri Belaid n’ont pas été inquiétés et ont profité de leur liberté de mouvement pour planifier et commettre un autre crime. Pendant six mois, l’arme qui a servi à faire taire à jamais la voix de Chokri Belaid était laissée en possession des tueurs pour servir de nouveau à cribler de balles un père de famille devant ses enfants, dont le seul tort était de défendre le droit de ses concitoyens à la liberté, à la dignité, à la démocratie et au travail. Dans nos pays sous-développés, les politiciens qui tiennent les rênes du pouvoir ont une grande propension à l’utiliser au seul bénéfice de leur petit cercle familial et partisan. Ils n’hésitent pas à commettre toutes sortes d’abus et finissent par basculer dans la malfaisance. C'est-à-dire, aux yeux du peuple, d’hommes d’Etat et de gouvernement, ils se transforment en malfaiteurs. Cela veut dire que, à plus ou moins brève échéance, la rupture avec les citoyens est inévitable et ceux-ci n’ont plus d’autres choix que de s’unir pour régler leur compte avec ceux qui les gouvernent. Le compte a été réglé avec Ben Ali un certain 14 janvier 2011, parce que ses abus de pouvoir étaient devenus insupportables. Mais si celui-ci a mis 23 ans pour devenir insupportable, ses successeurs, pourtant choisis par le peuple lui-même dans des élections démocratiques et transparentes, ont mis beaucoup moins de temps pour le devenir. Les gouvernants actuels ont réussi lors du premier assassinat, celui du 6 février, à absorber la colère populaire en recourant à des stratagèmes et en faisant des promesses dont l’objet n’est pas d’être tenues mais pour servir de calmant. Cela a marché…jusqu’au second assassinat du 25 juillet. Maintenant, les citoyens sont dans la rue et les gouvernants dans le pétrin. Il leur est difficile d’utiliser les mêmes stratagèmes ou des promesses en guise de calmants. Ils doivent se mordre les doigts de n’avoir pas tout mis en œuvre pour empêcher la réédition de cette pratique étrangère aux Tunisiens qu’est l’assassinat politique. En attendant une solution à cette grave crise qu’on souhaiterait raisonnable, sage et rationnelle, les citoyens sont dans la rue et les gouvernants dans le pétrin.

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