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Sunday, August 11, 2013

La source de vie sera-t-elle source de mort?

Le parlement éthiopien a ratifié le 10 juin 2010 un traité conclu entre Addis-Abeba et cinq pays africains du bassin du Nil (le Burundi, la Tanzanie, le Kenya, le Rwanda et l'Ouganda). Le traité prévoit « une utilisation équitable des eaux du Nil », la construction « de grands ouvrages hydrauliques », et surtout l’annulation du droit de veto sur tout changement dans le partage des eaux accordé à l’Egypte par les traités de 1929 et 1959. Déjà bien avant la ratification du traité, le projet éthiopien de construire le « barrage de la renaissance », un ouvrage hydraulique géant pour la bagatelle de 3,2 milliards d’euros et d’une capacité de 6000 mégawatts, n’était un secret pour personne. En mai dernier, l’Ethiopie a commencé le détournement d’une partie des eaux du Nil bleu en prévision de la construction du barrage… Mais tout d’abord, il faut rappeler ici certaines données physiques et historiques importantes. La source du Nil bleu se trouve au lac Tana dans les hautes terres éthiopiennes, appelées « le toit de l’Afrique ». Ses eaux traversent les terres fertiles du sud Soudan, les irriguent avant de faire la jonction à Khartoum avec le Nil blanc. Après la jonction, le Nil poursuit sa route, traverse la moitié nord du Soudan, pénètre en Egypte où il alimente le lac Nasser et le barrage d’Assouan avant de poursuivre tranquillement son bonhomme de chemin jusqu’à la Méditerranée où il se déverse dans une embouchure située entre les deux villes côtières, Alexandrie et Port Saïd, après un long périple de 6700 kilomètres. Ceci pour les caractéristiques physiques du plus long fleuve du monde. Pour les données historiques, sans remonter jusqu’à Hérodote pour qui l’Egypte est un don du Nil, il faut rappeler que les deux traités internationaux qui régissent la gestion des eaux du Nil sont le traité de 1929 et celui de 1959. Le premier traité était signé entre la Grande Bretagne et l’Egypte à un moment où celle-là était une puissance coloniale dominante. Le texte interdisait aux pays africains traversés par le fleuve tout plan d’irrigation et toute construction d’ouvrage hydro-électrique sans l’accord de l’Egypte. Quant à l’accord de 1959, il était conclu entre l’Egypte et le Soudan et dotait respectivement les deux pays de 55,5 milliards et de 18,5 milliards de mètres cubes par an. Il n’est guère étonnant dès lors que ces deux traités soient considérés aujourd’hui comme caducs par la plupart des pays africains riverains. La crise égypto-éthiopienne de l’eau oppose donc deux pays pauvres qui cherchent désespérément à répondre aux besoins élémentaires de leurs peuples. L’Ethiopie se trouve dans une position délicate et très difficile à gérer. En plus des révoltes dues aux famines provoquées par des années de sècheresse, le gouvernement éthiopien fait face à la colère de milliers de familles qu’il a entrepris déjà de déplacer en prévision de la construction du grand barrage. Cela rappelle en effet, les déplacements massifs de population décidés par les autorités chinoises lors de la construction du barrage gigantesque, connu sous le nom de « barrage des Trois Gorges ». Le plan éthiopien de détournement des eaux du Nil comporte deux volets. D’une part, l’Ethiopie cherche à devenir une puissance hydro-électrique en doublant sa production énergétique, avec l’idée de couvrir les besoins des Ethiopiens et d’exporter le surplus vers le Soudan et l’Egypte. D’autre part, Addis-Abeba cherche à mettre en place de grands projets agricoles basés sur l’irrigation. Ces projets agricoles sont loin de prendre en compte les besoins en nourriture de la population puisqu’il s’agit de projets destinés à l’exportation en coopération avec des multinationales américaine de l’agro-alimentaire, telles que « Monsanto » et « Yarra ». L’Ethiopie est-elle en train de profiter de la crise politique aiguë qui secoue l’Egypte pour accélérer l’exécution de ses projets et mettre les Egyptiens qui, pour l’instant ont d’autres chats à fouetter, devant le fait accompli ? Difficile de répondre par l’affirmative pour deux raisons : d’abord, l’Ethiopie est l’un des pays les plus pauvres du monde, et l’accélération ou le ralentissement des travaux ne dépend pas de la volonté du gouvernement éthiopien, mais plutôt de celle des bailleurs de fonds étrangers qui, pour l’instant, ne se bousculent pas aux portes d’Addis-Abeba. Ensuite, même si les Egyptiens ont d’autres chats à fouetter pour l’instant, compte tenu de l’importance vitale des eaux du Nil pour les 80 millions d’Egyptiens, ils ne peuvent pas ne pas suivre attentivement l’évolution du projet. L’ancien secrétaire général de l’ONU, l’Egyptien Boutros Boutros Ghali, a affirmé un jour que « les prochaines guerres en Afrique seront celles de l’eau ». Le barrage de la renaissance sera-t-il l’étincelle qui concrétisera cette sombre prévision ? Les thèses éthiopienne et égyptienne sont si irréconciliables aujourd’hui qu’une guerre entre les deux pays n’est plus une perspective lointaine. Pour Addis-Abeba, les deux traités sus-mentionnés sont « injustes » et se trouvent en totale contradiction avec les impératifs d’une « redistribution équitable » des eaux du Nil. De plus, soutient-on du côté éthiopien, le barrage de la renaissance n’affectera pas ou très peu le débit de l’eau en Egypte, argument défendu par certains experts occidentaux. La thèse égyptienne a été résumée il y a quelques mois par l’ancien ministre de l’eau et de l’irrigation, Mohamed Nasr Eddine Allam en ces termes : « Le barrage entrainerait une instabilité économique, politique et sociale. Des millions de personnes seraient affamées, et partout il y aurait des pénuries d’eau. » A ce risque majeur mis en avant par les responsables égyptiens, s’ajoute la forte charge identitaire qui caractérise la relation qu’entretient l’Egyptien depuis la nuit des temps avec le Nil. C’est son flux qui, depuis des millénaires, permet à l’Egyptien de vivre, et c’est donc pour la première fois depuis des millénaires aussi que celui-ci fait face à une menace dirigée non pas contre sa sécurité, mais contre sa vie. En 2010, un courrier diplomatique, rendu public par Wikileaks, fait état de l’intention des Egyptiens de construire une base militaire au Darfour dans le but de mener des raids aériens contre « le barrage de la discorde ». Des enregistrements attribués à des responsables égyptiens font état également de propositions consistant à recruter des saboteurs ou de financer des rebelles éthiopiens. La tension est vive entre le Caire et Addis-Abeba. Source de vie, l’eau du Nil risque de devenir source de guerre, c'est-à-dire de mort et de destruction. Mais la voix de la raison ne s’est pas éteinte pou autant, et l’espoir d’un règlement pacifique du contentieux égypto-éthiopien brille encore, même si sa lueur est faible.

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