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Monday, April 05, 2010

La "carte anti-occidentale" de Karzai

La visite-surprise de Barack Obama à Kaboul le dimanche 28 mars ne visait pas seulement à s’enquérir du moral et du degré de combativité des troupes américaines. Son but était aussi et surtout de dire deux mots au président afghan, Hamid Karzai. Le gouvernement dirigé par celui-ci est accusé de tous les maux. Corruption, mauvaise gouvernance, inefficacité, incapacité d’alléger un tant soit peu le calvaire que vit le peuple afghan etc.
Le président américain est conscient de toutes ces tares et il a dit à son homologue afghan tout ce qu’il avait sur le cœur, exigeant de lui qu’il mette de l’ordre rapidement dans les structures gouvernementales. La raison fondamentale qui se trouve derrière l’insistance américaine de mettre un terme à la corruption et à la mauvaise gouvernance n’est pas tant que ces deux fléaux constituent un obstacle majeur contre toute espèce de développement de l’Afghanistan que le fait qu’ils alimentent dramatiquement l’insurrection, en envoyant de plus en plus d’Afghans désespérés grossir les rangs des talibans.
C’est un fait que si les talibans, en dépit des moyens de résistance rudimentaires, n’ont toujours pas été défaits, c’est parce qu’ils n’ont jamais eu de problème de recrutement. C’est un fait aussi que si des milliers de jeunes se laissent enrôler par les talibans, c’est moins par conviction que par dépit face à tant de corruption et tant de mauvaise gouvernance qui minent l’Etat afghan.
Hamid Karzai est à la tête de cet Etat depuis 2001. Voilà bientôt une décennie qu’il est au pouvoir et, avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut pas mettre à son actif la moindre petite réalisation en faveur du peuple afghan, et ce, malgré les milliards de dollars que les Etats-Unis, l’Europe, le Japon et d’autres ont déboursé, et malgré le soutien de dizaines de milliers de soldats étrangers armés jusqu’aux dents…
L’impopularité de Karzai en Afghanistan et la suspicion dans laquelle le tiennent Américains et Européens s’expliquent par son incapacité ou sa réticence à contrôler ses proches, dont son demi frère Ahmed Wali Karzai, qui continuent de commettre impunément toutes sortes d’abus et de s’adonner à tous genres de trafics aux dépens des citoyens afghans.
La tension, palpable depuis l’élection présidentielle de l’année dernière, entre Hamid Karzai et la coalition qui combat les talibans, s’est transformée jeudi dernier en véritable crise après que le président afghan, dans un coup d’éclat surprenant, a accusé « les étrangers » d’avoir « falsifié massivement » les résultats du scrutin. Karzai n’a pas été très explicite, mais, si l’on comprend bien, il accuse « les ambassades étrangères » d’une part, et le numéro deux de l’ONU en Afghanistan, Peter Galbraith, et le chef de la mission des observateurs de l’Union européenne, Philippe Morillon, d’autre part, de lui avoir volé sa victoire en soutenant son rival Abdallah Abdallah. Il est à préciser ici que si Karzai est aujourd’hui président, ce n’est pas parce qu’il a été élu par le peuple, mais parce que son rival s’est retiré de la course du deuxième tour, protestant contre les falsifications massives en faveur de Karzai. Comprenne qui pourra…
Mais Karzai est allé beaucoup plus loin en affirmant que les forces étrangères qui combattent les talibans, c'est-à-dire celles-là même sans lesquelles il ne pourra pas tenir un jour à son poste, sont « sur le point de devenir des forces d’invasion ». Et il a même menacé de « rejoindre l’insurrection »…On imagine la stupéfaction que de telles déclarations puissent causer à Washington, à Londres, à Berlin, à Paris, à Ottawa ou encore au siège de l’Otan.
La mauvaise humeur du président afghan est due sans doute aux pressions de plus en plus intenses auxquelles le soumettent ceux qui protègent son pouvoir, le sommant d’agir sérieusement contre la corruption. Cette mauvaise humeur est due aussi sans doute à l’annulation par la Maison blanche d’une visite que devait effectuer à Washington le président afghan. Réponse du berger à la bergère, Karzai a invité le président iranien, Ahmadinejad, à Kaboul au moment même où le chef du Pentagone, Robert Gates, s’y trouvait, et s’est débrouillé pour se faire inviter à Pékin, dans l’évidente intention de montrer à ses alliés américains qu’il pourrait tout aussi bien jouer « la carte anti-occidentale ».
Certes, les pays de la coalition ne sont pas en train de payer le prix fort en sang et en argent pour les beaux yeux de Hamid Karzai. Ils ont leurs propres objectifs qui n’ont rien à voir avec la personne du président afghan. Mais celui-ci, en acceptant le pouvoir que lui ont offert les Occidentaux en 2001, il a accepté aussi d’être leur protégé et leur homme.
Aujourd’hui, Karzai a choisi de se rebiffer contre ses protecteurs en brandissant sa « carte anti-occidentale » et en les menaçant de « rejoindre l’insurrection ». C’est du pur bluff, car il n’a aucun atout en main. Ses menaces contre ses protecteurs et ses bienfaiteurs étrangers seraient crédibles et auraient eu un sens s’il avait de la légitimité, s’il avait été élu par une large majorité de son peuple, s’il avait nettoyé les structures de son administration de la corruption endémique qui la mine ou s’il avait contribué à améliorer le sort des masses afghanes. Consciemment ou inconsciemment, le président afghan est en train de jouer avec le feu. Il risque de se faire brûler gravement, car il pourrait perdre l’amitié des « étrangers » sans gagner celle des insurgés.

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