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Saturday, October 01, 2011

Dans l'histoire d'une manière ou d'une autre

Un souvenir de la vie estudiantine me fait toujours sourire chaque fois qu'il remonte à la surface. Au début des années soixante dix du siècle dernier, c'est-à-dire il y a une éternité déjà, le professeur Sadok Belaid était alors doyen de la faculté de droit et enseignait le droit constitutionnel aux nouveaux bacheliers. Le premier contact avec lui était l'occasion de conseils judicieux et d'humour fin. "Mes amis", nous disait-il, "étudiez, prenez de la peine. Vous serez sans aucun doute licenciés d'une manière ou d'une autre".
Les Tunisiens d'aujourd'hui sont un peu dans le même état psychique que les étudiants de la faculté de droit d'hier. Si ceux-ci avaient fini tous sans exception par être "licenciés d'une manière ou d'une autre", ceux-là finiront tout aussi sûrement par entrer dans l'histoire d'une manière ou d'une autre.
Nous entrerons donc dans l'histoire soit par la grande porte, si l'on fait preuve de grande maturité et si l'on se donne les moyens politiques et économiques de migrer de l'aire des peuples opprimés à celle des peuples libres. Soit par la petite porte juste pour être pointé du doigt comme étant le peuple qui a eu une occasion en or de s'affranchir et de grandir aux yeux du monde et qui est passé lamentablement à côté.
Dans le premier cas, nous assurerons la liberté et la dignité pour les années, les décennies et pourquoi pas les siècles à venir à nous et à nos enfants et petits enfants, tout en gardant notre statut de phare du monde arabe. Dans le second cas, la facture à payer sera très lourde: retour à la case départ, c'est-à-dire sous le joug d'une dictature bien méritée cette fois-ci, avec, en prime, le mépris de nous-mêmes et des autres.
Jusqu'ici, globalement, tout s'est bien passé. Les trois semaines qui nous séparent du 23 octobre seront consacrées à une campagne électorale comme on n'en a jamais vécue auparavant. On a observé d'authentiques campagnes électorales chez les autres, mais chez nous, de tels événements étaient plutôt de sinistres comédies ressenties comme de véritables humiliations infligées au peuple tunisien soit à travers la présidence à vie, soit à travers les mises en scènes consistant à supplier le dictateur, seulement quelques mois après avoir été "élu", de se préparer encore une fois à l'épreuve du "suffrage universel" en présentant de nouveau sa candidature…
Le défi qui se présente à nous pendant les trois prochaines semaines est de taille: réussir une campagne à laquelle nous n'avons jamais été habitués et remporter le premier jeu du "match démocratique" si l'on peut dire auquel nous n'avons jamais eu réellement l'opportunité de participer.
Maintenant que nous sommes qualifiés à passer l'épreuve d'entrée dans le club des pays démocratiques, il serait impardonnable d'échouer. D'autant plus impardonnable que l'épreuve est loin d'être au dessus des capacités politiques et des qualités intellectuelles du peuple tunisien et de l'élite qui se propose de le servir.
Pour réussir notre marche jusqu'à la station du 23 octobre, entamée il y a plus de huit mois, nous n'avons pas besoin de force exceptionnelle ni d'atout extraordinaire. Nous avons besoin plutôt de choses très simples: le respect que les différents acteurs politiques sont tenus de témoigner les uns aux autres ; la tolérance vis-à-vis de l'opinion ou de la proposition avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord ; l'intériorisation effective et définitive de l'idée que dans un scrutin démocratique et transparent, la victoire et l'échec sont deux résultats naturels de l'opération électorale, que l'un et l'autre ne peuvent en aucun cas être le monopole de tel ou tel parti ou rassemblement et que le vainqueur d'aujourd'hui pourrait très bien être le perdant de demain et vice versa.
Pour résumer, la réussite de la mutation démocratique de la Tunisie que pratiquement tous les Tunisiens désirent ardemment dépend de trois petites choses qui sont à la portée de tout le monde, y compris les gens d'"Ennahdha" qui ont l'air de vouloir "s'erdoganiser" si l'on juge par le chaleureux accueil que Cheikh Rached et ses amis ont réservé au Premier ministre turc. Vous l'avez deviné, ces trois petites choses sont le respect, la tolérance et l'acceptation de la règle du jeu.
Cela fait plus de huit mois que la Tunisie tient bon et s'accroche au but qu'elle s'est fixé le 14 janvier dernier : rompre définitivement avec la dictature et rejoindre une fois pour toutes les pays qui jouissent authentiquement des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Cela fait plus de huit mois que les Tunisiens marchent vers ce but. En trébuchant certes de temps à autre, mais en se relevant aussitôt pour continuer leur marche. Ni le conflit libyen, ni le courroux algérien, ni l'accueil du dictateur-pilleur et de ses complices dans le Golfe n'ont entamé cette immense aspiration collective à la liberté et à des lendemains qui chantent.
Maintenant que nous sommes à trois semaines de la station 23 octobre, il s'agit non seulement d'atteindre en toute sûreté la ligne d'arrivée, mais de continuer ensuite sereinement la marche vers les stations Constitution, Alternance, Indépendance (de la justice), sans oublier la réhabilitation totale et entière de la Station 10 Décembre 1948…Suivez mon regard.

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