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Saturday, July 02, 2011

"Frère, si tu diffères de moi tu m'enrichis"

C'est Antoine de Saint-Exupéry qui a écrit cette belle maxime. Si la sagesse et le bon sens contenus dans ces huit mots étaient suivis par les hommes, notre histoire et notre présent auraient eu un tout autre aspect. Mais ce n’est pas le cas. La différence, au lieu d’enrichir les hommes, elle les a divisés et dressés les uns contre les autres. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, le constat le plus frappant qui s’impose est que la caractéristique principale qui marque les rapports humains est la violence.
La dictature est le gouvernement qui gère les affaires de la Cité non pas grâce au consentement des gouvernés, mais par l'usage de la violence contre tous ceux qui préconisent un mode de vie particulier ou défendent une idée différente de ceux imposés par la dictature. S'agissant de la gestion des affaires de la Cité, le but ultime de la révolution tunisienne n'est-il pas de substituer le consentement à la violence? La liberté d'opinion à l'unanimisme de façade? Le pluralisme au strict alignement sur les positions du dictateur?
Curieusement, ceux qui ont souffert le plus de la violence de la dictature sont aujourd'hui les plus enclins à recourir à cette même violence contre ceux qui ont des idées différentes. La dictature de Ben Ali avait impitoyablement pourchassé les courants qu'elle qualifiait d'"intégristes", c'est-à-dire ceux qui mêlaient religion et politique. Les agressés de la dictature hier deviennent aujourd'hui les agresseurs, et leur violence est orientée contre des intellectuels et des créateurs qui abhorrent le mélange des genres, la dangereuse fusion de la religion et de la politique.
Il est opportun de rappeler ici que l'histoire de l'humanité comporte une quantité effarante de pages sanglantes où des millions d'êtres humains étaient morts dans des conditions souvent atroces à cause de cette dangereuse fusion, parce que la religion s'est immiscée dans les affaires politiques, parce que le sacré éprouvait d'évidentes difficultés à s'éloigner de la sphère réservée aux choses profanes.
Nos intégristes et nos salafistes seraient bien inspirés de lire ou relire ces pages sombres de l'histoire où à chaque télescopage de la religion et de la politique, le sang coulait à flot.
Les guerres dues à l'irruption de la religion dans la sphère politique étaient souvent génératrices de violence à grande échelle dont étaient victimes au nom de Dieu des millions de personnes. Les Français du Moyen-Âge en savent quelque chose. Pas moins de neuf guerres de religion avaient endeuillé leur pays, le rendant ingouvernable pendant des décennies.
Pendant près de deux siècles, de 1095, date de la première croisade, à 1274, date de la neuvième et dernière croisade, les guerres au nom de Dieu avaient déchaîné un torrent de violence horrible entre Chrétiens et Musulmans dont les conséquences, neuf siècles et demi après, n’ont toujours pas disparu.
Le télescopage politico-religieux dans le monde musulman a une histoire tout aussi sanglante et les violences infligées par les Musulmans à leurs coreligionnaires n’ont rien à envier, en termes de cruauté, aux violences que s’infligeaient les Chrétiens entre eux. Sur les quatre successeurs du prophète Mohammed, trois étaient morts violemment. Même les descendants directs du prophète n’ont pas échappé à la violence politico-religieuse. Son petit fils Hussein était sauvagement assassiné, sa tête coupée et son corps mutilé. Son assassin Yazid Ibn Mouawya était sans doute convaincu qu’il servait Dieu et les intérêts de l’Islam en commettant son forfait. C’est sans doute aussi au nom de Dieu qu’Al Hajjaj Ibn Youssef avait massacré un bon nombre d'habitants de la Mecque, décapité le plus célèbre d’entre eux, Abdullah Ibn Zoubeir, et offert sa tête en « cadeau » au Calife omeyyade, Abdelmalek Ibn Marwane.
Tout ça pour dire que la violence au nom de Dieu était l'une des tares les plus dures et les plus insupportables de l'histoire. Mais, visiblement, l'on est toujours incapable de tirer les leçons qui s'imposent. La preuve est qu'on en est encore au XXIe siècle à agresser et attaquer des concitoyens, et même à les menacer de mort, parce qu'ils ont une conception différente de la pratique religieuse ou une idée de la création artistique avec laquelle on n'est pas d'accord.
Le refus de l’idée même de dialogue par les salafistes et les intégristes s’explique par le fait qu'ils se considèrent le plus sérieusement du monde comme les dépositaires de la vérité sacrée dont la discussion est un sacrilège, un crime à l’encontre de Dieu. Ils ne raisonnent pas en termes d'idées politiques discutables, mais en dogme indiscutable. C'est ce qui les pousse à combattre les autres en tant qu' « ennemis de Dieu » à éliminer de la scène par tous les moyens.
Ces "barbus" ont peut-être un avenir en Afghanistan ou en Somalie, mais sûrement pas en Tunisie, le pays où le taux d'alphabétisme avoisine celui des pays développés, où le nombre des femmes diplômées tend à dépasser celui des hommes, où la tolérance et la modération sont deux vertus cardinales et où les principales préoccupations de l'écrasante majorité de la population sont d'ordre économique et social et non d'ordre religieux. Il n'est peut-être pas trop tard pour qu'ils se convertissent à ces vertus cardinales de la majorité des Tunisiens en commençant par renier leur "Frère, si tu diffères de moi je te tue" et le remplacer par "Frère, si tu diffère de moi, tu m'enrichis."

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