Réalisme politique sino-français
Le printemps 2008 était particulièrement affreux pour les relations franco-chinoises. On se rappelle les mésaventures de la torche olympique qui fut même éteinte avant d’être rallumée. Des journalistes de RSF et des politiciens du parti des Verts, avec des opposants tibétains, ont juré de gâcher la fête du passage de la torche par Paris et ils ont réussi. Une responsable du parti des Verts a poussé la puérilité jusqu’à foncer sur la torche avec un extincteur d’incendie à la main. Les Chinois avaient ressenti cela comme un affront à leur dignité et une atteinte à leurs efforts d’organisation des jeux olympiques sur lesquels ils comptaient beaucoup pour améliorer l’image de leur pays dans le monde. Mais au lieu de tenter d’apaiser leur fureur, le président français Nicolas Sarkozy les a irrités encore plus en liant sa présence à l’ouverture des jeux olympiques de Pékin à la reprise du dialogue entre les autorités chinoises et le Dalai Lama. Sarkozy est allé plus loin encore en rencontrant lui-même le chef spirituel des Tibétains à Gdansk, en Pologne, un geste considéré par pékin comme une provocation. Et l’amertume des Chinois devait être d’autant plus grande alors que moins de six mois plus tôt, en novembre 2007 lors de la visite officielle de Sarkozy à Pékin, la Chine avait signé avec la France pour 20 milliards d’euros de contrats, plus juteux les uns que les autres.
Les deux années qui ont suivi ont connu un gel des relations entre Paris et Pékin qui tranche nettement avec la chaleur qui les caractérisait du temps du prédécesseur de Sarkozy, Jacques Chirac. Les critiques de la Chine ont continué de plus belle et le président Sarkozy n’était pas en manque de sujets pour pourfendre les autorités chinoises, les accusant régulièrement de « gonfler leurs exportations en recourant au dumping monétaire ». Dans de telles conditions, il était donc dans la logique des choses que les Chinois épinglent les entreprises françaises et leur réservent un traitement de défaveur. Empêchées de participer substantiellement au festin du boom économique d’un pays dont le PNB pèse 4,9 trillions de dollars (chiffres de 2009), avec un taux de croissance de 8,5% quand d’autres affichaient un taux proche de zéro, voire négatif, les sociétés françaises étaient les grandes perdantes de la brouille franco-chinoise.
La visite de trois jours en Chine que le président français a entamée mercredi dernier vise à réparer les dégâts. Visiblement Sarkozy a fait le bilan de la brouille sino-française, et ce bilan s’est révélé très défavorable pour la France. En d’autres termes, la France a souffert pendant ces deux dernières années dans ses intérêts mercantiles avec un pays qui, entre temps, s’est hissé à la place du numéro 2 mondial en terme de puissance économique.
Tout le monde a remarqué que le président français était d’une prudence exemplaire en n’évoquant aucun sujet de nature à irriter ses hôtes chinois qu’il a exhortés à « réserver un meilleur traitement aux entreprises françaises ». Sarkozy a même fait amende honorable en regrettant implicitement d’avoir provoqué une brouille inutile avec le géant asiatique. Rencontrant la communauté française en Chine dans un grand hôtel de Shanghai, Sarkozy a affirmé qu’ « il est inutile avec la Chine d’avoir un discours agressif ou fait de reproches. C’est parfaitement contre-productif. » On ne peut pas exprimer plus diplomatiquement ses regrets.
Ce recentrage de la politique chinoise de la France ne peut pas ne pas être apprécié par les dirigeants chinois, passés maîtres dans l’art de la realpolitik et pour qui tout doit s’effacer face à l’impérieuse nécessité de sauvegarder les intérêts économiques et politiques de la Chine. La réconciliation sino-française a été rendue possible par le retour sur scène du réalisme politique français qui, après une absence momentanée, coïncidant avec la brouille, est revenu mettre de l’ordre dans les relations entre Paris et Pékin.
Evidemment le réalisme politique français ne sera pas du goût de tout le mode. Il y aura toujours les défenseurs du Tibet et autres Ménard pour crier au scandale. Mais cette fois, ils n’auront pas l’oreille de l’Elysée qui regarde maintenant ailleurs, du côté des intérêts des entreprises françaises plutôt que de celui des grands principes et des discours emphatiques.
Il va sans dire que l’on ne peut commenter et analyser les nouvelles relations sino-françaises qu’à travers ce qui se dit publiquement par les deux parties. Sans doute beaucoup de sujets ont été abordés par Nicolas Sarkozy et Hu Jintao en tête-à-tête, et notamment l’Iran, sujet que la France prend un peu trop à cœur. On peut affirmer sans risque de se tromper que le président français a peu de chance de faire adopter aux dirigeants chinois ses positions viscéralement anti-iraniennes. Car, là aussi, le réalisme politique chinois joue pleinement son rôle et fait que les intérêts qui lient Pékin et Téhéran passent largement avant les inquiétudes, réelles ou simulées, de la France vis-à-vis du nucléaire iranien. On ne tardera pas à en savoir plus, dès le prochain rebondissement du dossier nucléaire iranien aux devants de la scène internationale.
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