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Tuesday, December 07, 2010

Les fossoyeurs de l'empire

La quantité d’erreurs commises depuis des années par les décideurs américains en matière de politique étrangère a non seulement terni l’image du pays, mais affaibli sévèrement la première puissance du monde en saignant à blanc les ressources financières et militaires du pays.
Aucun signe permettant d’espérer que des leçons aient été tirées des erreurs passées n’est perceptible à l’horizon, bien au contraire. Quand on observe l’attitude des décideurs américains vis-à-vis de la question nucléaire iranienne ou, surtout, du conflit israélo-palestinien, l’impression qu’ils donnent est qu’ils sont tous porteurs d’œillères chevalines et foncent tout droit, indifférents à tout ce qui se passe en dehors de leur champ de vision minuscule.
Mais à regarder de plus près encore l’empire américain, il n’y a pas que la politique étrangère où les choses vont de travers. Certains aspects de la situation intérieure américaine sont déroutants. On ne veut pas parler ici de la réalité économique difficile où le chômage ne cesse de monter et où des millions d’Américains n’arrivent plus à s’acquitter de leurs prêts-logement auprès des banques. A ce niveau, il n’y a rien d’extraordinaire. Les Etats-Unis ont connu des situations plus dures encore au cours de leur histoire.
Ce qui est terrible, ce sont les inégalités qui se développent à un rythme effréné depuis au moins trente ans au point de dépasser les inégalités absurdes observées dans les républiques bananières. Nicolas Kristof du New York Times informait dans une récente chronique ses concitoyens qu’ils n’ont plus besoin « de voyager vers des pays lointains et dangereux pour observer une telle inégalité rapace. Vous l’avez maintenant juste là, chez vous ! »
Il est choquant de constater que les Etats Unis, qui se disent le pays le plus démocratique et le plus prospère du monde, arrivent à accumuler des statistiques dignes des dictatures militaires qui pullulaient dans l’hémisphère sud il y a trois ou quatre décennies à l’exemple du Nicaragua des Somoza, de Haïti des Duvalier, du Brésil, de l’Argentine et du Chili des généraux etc.
L’évolution observée durant le dernier tiers de siècle est à peine croyable : La part du revenu national accumulée par 1% des Américains les plus riches est passée de 9% en 1976 à 24% aujourd’hui. Le salaire des PDG des grandes entreprises était en 1980 l’équivalent de 42 salaires du travailleur moyen américain. Cette proportion est passée à 531 fois en 2001. Plus significatif encore : de 1980 à 2005, les quatre cinquièmes des richesses produites aux Etats-Unis sont allés dans les poches des 1% les plus riches…
Sans nul doute, le système fiscal excessivement dégressif qui produit une inégalité massive est plus dangereux pour l’avenir de l’empire américain que toutes les erreurs commises en politique étrangère réunies.
Le prédécesseur de Barack Obama, George W. Bush, que le peuple américain a jugé utile d’élire en 2000 et de réélire en 2004, se distingue par le douteux privilège d’avoir menée parallèlement une politique étrangère et une politique intérieure désastreuses qui, jusqu’à ce jour s’alimentent l’une l’autre en termes de résultats nocifs, au point qu’il est déjà désigné par plusieurs historiens comme le plus grand fossoyeur de la puissance américaine.
Fossoyeur de la puissance américaine, Bush l’est pour deux raisons fondamentales : il avait déclenché une guerre inutile qui s’était avérée extrêmement coûteuse en vies humaines pour les Irakiens et en argent pour les Américains. Et alors qu’il s’apprêtait à partir en guerre, il avait imposé une très généreuse réduction fiscale en faveur des riches, ce qui a mené l’Amérique à s’engager dans des guerres à crédit d’une part, et à voir ses inégalités sociales s’approfondir d’autre part.
Concrètement, cette double décision de déclencher des guerres et, simultanément, de réduire les impôts des riches a scellé la dépendance financière des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine et d’autres argentiers mondiaux, et forcé l’Etat fédéral à réduire dangereusement les programmes sociaux, médicaux et éducatifs aux dépens des Américains les plus pauvres et les plus vulnérables.
On aurait pensé qu’à la lumière de ces résultats désastreux, les représentants élus du peuple américain allaient se rebiffer contre l’héritage de Bush et imposer un renversement de la tendance. C’est le tout contraire qui se passe. La majorité républicaine est convaincue et tente de convaincre ceux qui l’ont élue que l’intérêt de l’Amérique passe avant tout par la perpétuation des avantages fiscaux décrétés par Bush et qui arrivent à expiration d’ici à la fin de l’année. Dans son aveuglement, cette majorité n’a même pas relevé le côté ridicule de ses exigences quand, il y a une semaine ou deux, quelques dizaines de millionnaires et de milliardaires américains ont fait circuler une pétition demandant à payer plus d’impôts « dans l’intérêt du pays ».
Il va sans dire que ces pétitionnistes sont une exception qui confirme la règle qu’en Amérique les riches sont les plus cupides et les moins concernés par l’intérêt national. Ils ne reculent devant rien pour défendre leurs privilèges scandaleux, y compris le ridicule le plus déroutant. L’organe officiel des milliardaires américains, le magazine Forbes, s’en est pris à Obama en ces termes : « Le président des Etats-Unis est en train de saper la base de la puissance américaine. Cela fait partie de son programme anticolonialiste kényan (…). Les Etats-Unis sont maintenant dirigés conformément aux idées défendues par un homme de la tribu Luo (du Kenya) dans les années 1950 », une allusion claire au père d’Obama.
Concluons avec le commentaire de prix Nobel d’économie, Paul Krugman, qui, lui, connaît bien quels sont les vrais fossoyeurs de l’empire américain : « Quand il s’agit de défendre les intérêts des riches, les règles du discours civilisé et rationnel n’ont plus de place. »

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