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Tuesday, November 30, 2010

Et si WikiLeaks existait avant le 11 septembre ?

Julian Assange persiste et signe. Son site internet est devenu « un danger pour le monde » et un foyer à partir duquel sont menées « des attaques contre la communauté internationale », si l’on en croit la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton.
Mme Clinton a de sérieuses raisons d’être furieuse contre le fondateur de WikiLeaks. Non seulement des centaines de milliers de secrets du département d’Etat sont étalés sur la place publique, mais l’un des documents, signé de sa main, demande à ses subordonnés à collecter toutes sortes d’informations sur les hauts responsables de l’ONU, et même, bizarrement, les données relatives à la carte bancaire du secrétaire général Ban Ki-moon…
Cette fois, Julian Assange a mis en ligne 251 288 documents secrets, couvrant la période du 28 décembre 1966 au 28 février 2010, et totalisant 261 276 536 mots, de quoi remplir 3000 livres. Les premières fournées, si l’on peut dire, de ces documents vont des plus futiles (portraits souvent peu flatteurs de dirigeants étrangers) aux plus importants (informations ultraconfidentielles sur des questions brûlantes de politique internationale).
Grâce à WikiLeaks, le commun des mortels a pu donc avoir accès à des informations inhabituelles, ce qui pose avec acuité le problème de la confidentialité à l’âge numérique. Bien avant la création de Wikileaks, des commentateurs ont déjà pointé du doigt le fait qu’il est désormais très difficile d’envelopper trop longtemps du sceau du secret des informations à un âge où celles-ci circulent avec un débit effarant et une vitesse vertigineuse.
On comprend le département d’Etat pour qui seul compte l’aspect dommageable de ces fuites. C’est un fait que WikiLeaks va rendre le travail des diplomates américains beaucoup plus difficile qu’avant. Leurs interlocuteurs parleront moins et les collecteurs d’informations américains auront bien du mal à trouver de quoi remplir leur rapports réguliers qu’ils sont tenus d’envoyer à Washington.
On comprend aussi l’inquiétude des politiciens qui aiment se chuchoter des confidences dans un monde où les micros, les caméras et les oreilles indiscrètes n’ont pas de place. Que sera la politique si les coulisses et les palais fortifiés deviennent transparents ? Suscitera-t-elle autant d’intérêt si elle perd son côté obscur, ses mystères et ses intrigues ?
Mais que les responsables américains se rassurent. La politique restera ce qu’elle a toujours été, c'est-à-dire secrète, mystérieuse, intrigante. Elle comportera toujours ses deux parties bien distinctes : la partie superficielle à laquelle le public peut accéder, et la partie essentielle non accessible au commun des mortels et où se prennent les décisions les plus importantes souvent vitales pour les milliards d’êtres humains qui ont choisi de vivre en communauté.
A l’ère numérique, où l’information circule à la vitesse de la lumière, ou à l’ère préindustrielle, où la vitesse de l’information ne dépassait guère celle du cheval, la politique et les politiciens restent fondamentalement les mêmes. Hier comme aujourd’hui, le public n’a droit qu’aux informations qu’on veut bien lui donner à condition qu’il n’y ait pas d’erreurs rendant les fuites possibles.
Julian Assange n’est pas un magicien. Il n’est doté d’aucun pouvoir surnaturel lui permettant de s’approprier les secrets les mieux gardés. Les centaines de milliers de câbles confidentiels qu’il publie sur site depuis quelques temps lui sont parvenus sans qu’il ait cherché ni payé pour les avoir. Donc à la base il y a une erreur qui a détraqué le système et mis dans l’embarras les politiciens de Washington.
Cette erreur a été commise précisément par l’administration américaine qui doit assumer sa responsabilité et s’en prendre à elle-même plutôt que de pointer des doigts accusateurs à celui qui, ayant reçu des informations, a décidé de les partager avec le plus grand nombre via son site WikiLeaks.
On sait maintenant qui a fourni la masse de secrets à Julian Assange. Il s’agit d’un soldat américain de 22 ans, Bradley Manning, analyste au Pentagone. Son poste lui permettait d’accéder à une masse d’informations secrètes, civiles et militaires. Tout en écoutant Lady Gaga, il gravait sur des CD tout ce que contenait l’ordinateur mis à sa disposition par le Pentagone.
La question qui se pose est comment une puissance de la taille des Etats-Unis avec la masse d’informations secrètes ou compromettantes dont elle dispose peut-elle se permettre une telle imprudence en les mettant à la disposition d’un simple soldat de 22 ans ?
Evidemment Bradley Manning est en prison attendant son procès. On peut légitimement se demander qui est le plus coupable : le soldat Manning qui, enivré par Lady Gaga, a voulu se montrer important en faisant savoir aux autres qu’il est dans le secret des dieux, ou bien le politicien chevronné qui a décidé d’élargir le champ d’accès aux informations confidentielles.
Un responsable américain a justifié cette décision par… les attentats du 11 septembre. Ces attentats n’ont pu être évités entre autres à cause de l’ « accaparement de l’information et du refus des différents services à la partager. »
A propos des attentats du 11 septembre, un débat est en cours actuellement aux Etats-Unis. Ces attentats auraient-ils eu lieu si WikiLeaks existait alors ? Cette question a été posée par une ancienne collaboratrice du FBI, Coleen Rowley qui a affirmé au Los Angeles Times : « Nous étions nombreux, dans la période précédant le 11-Septembre, à avoir vu des signes alarmants que quelque chose de dévastateur était sur le point d’être planifié. Mais nous travaillions pour des bureaucraties sclérosées incapables d’agir rapidement et de manière décisive. Dernièrement, deux d’entre nous se sont demandé si les choses auraient pu être différentes s’il y avait eu un moyen rapide et confidentiel d’obtenir des informations. (…) Wikileaks aurait pu permettre de fournir une soupape aux agents qui étaient terriblement inquiets de ce qui pourrait arriver et qui étaient frustrés par l’indifférence apparente de leurs supérieurs.»
En effet, si WikiLeaks existait avant le 11 septembre 2001, et s’il disposait des informations monopolisées par les services secrets sur les préparatifs des attentats, il les aurait sans aucun doute diffusées et la configuration du monde serait nettement meilleure aujourd’hui.

1 Comments:

Blogger Marianne said...

Il y a des rumeurs que la publication du nom du soldat B.M. cache d'autres fournisseurs de WikiLeaks, collaborateurs au sein de plusieurs ministères...

2:41 PM  

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