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Saturday, November 13, 2010

Sombres visions

Il y a des questions que les journalistes posent des fois et qui s’avèrent être d’une naïveté époustouflante. Elles ressemblent un peu aux questions posées par les ménagères qui, avant d’acheter les tomates, demandent au marchand de légumes si elles sont bonnes ?
A l’issue du sommet du G20 qui s’est terminé à Séoul vendredi, le président américain avait tenu une conférence de presse et un journaliste lui avait posé la question suivante : Vous sentez-vous affaibli à l’intérieur des Etats-Unis et votre influence a-t-elle diminué sur la scène internationale à la suite de votre défaite aux élections législatives du 2 novembre ? La réponse d’Obama était tout simplement et évidemment « Non ».
La réponse d’Obama est loin d’être une aberration. Elle est dans la logique des choses et le surprenant aurait été qu’il réponde par oui. Car, tout le monde sait que l’une des principales caractéristiques de la politique consiste à tordre le cou à la réalité et à l’interpréter d’une manière avantageuse.
Les arguments mis en avant par Obama pour justifier son « Non » ne méritent pas qu’on s’y attarde, car ce n’est pas parce qu’il va parler avec la majorité républicaine qu’il n’est pas affaibli à l’intérieur des Etats-Unis. De même, ce n’est pas parce qu’il s’est fait beaucoup d’amis parmi les chefs d’Etat et de gouvernement et qu’il a visité de nombreux pays, qu’il a gagné en influence sur la scène internationale.
La réalité à l’intérieur des Etats-Unis est loin d’être avantageuse pour le président américain qui, en effet, est sorti très affaibli des élections législatives du 2 novembre dernier. Non seulement il aura toutes les difficultés du monde à poursuivre son programme économique et social, mais ce sera déjà un miracle s’il arrive à sauver sa loi sur l’assurance- maladie et à priver les riches des avantages fiscaux que leur a accordés George W. Bush.
La bataille annoncée entre les pouvoirs exécutif et législatif aux Etats-Unis tournera autour de ces deux questions principales, les républicains se disant déterminés à abroger la loi sur l’assurance-maladie et à perpétuer les avantages fiscaux, inexplicables du reste dans un pays surendetté, dont bénéficient les millionnaires et les milliardaires.
La réalité sur la scène internationale n’est pas plus avantageuse pour un président qui a très peu d’atouts en main pour amener Israël à suspendre la construction dans les colonies, la Chine à infléchir sa politique monétaire ou les Européens à redoubler d’efforts en Afghanistan.
Alors qu’Obama était en Asie, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, était aux Etats-Unis pour fêter avec ses amis républicains leur victoire aux législatives et pour tenter de manipuler les priorités et les urgences dans les programmes de la politique étrangère américaine.
Avec un Congrès majoritairement complaisant jusqu’à la complicité avec le Premier ministre d’un Etat étranger, et intransigeant jusqu’à l’hostilité avec le Président des Etats-Unis, on peut dire, sans grand risque d’erreur, qu’en matière de politique moyen-orientale américaine, Netanyahu est plus influent à Washington que ne l’est le chef de la Maison blanche. La preuve est que l’establishment américain est beaucoup plus proche de la vision de Netanyahu que de celle d’Obama pour tout ce qui touche aux problèmes du Moyen-Orient.
La perte d’influence de l’Exécutif américain est telle que personne ne sera surpris si, dans les semaines et les mois qui viennent, la diplomatie américaine se détourne de la question palestinienne et consacre toute son énergie et ses moyens à la question du nucléaire iranien, comme le désire ardemment le gouvernement israélien et ses amis républicains fraîchement élus pour un mandat de quatre ans.
Mais cette perte d’influence n’est pas visible seulement à travers le refus catégorique des Israéliens de faire la moindre petite concession à l’Exécutif américain. Elle est visible dans les rapports avec Pékin, qui a refusé toute médiation américaine dans le différend avec le Japon au sujet des îles de sud de la mer de Chine ; dans les rapports avec New Delhi qui a décliné poliment mais fermement la médiation américaine dans le différend avec le Pakistan au sujet du Cachemire ; avec Islamabad qui persiste à refuser de déplacer ses forces de la frontière avec l’Inde à la frontière avec l’Afghanistan, comme ne cesse de le demander Washington depuis des années etc.
De là à dire que les Etats-Unis sont désormais un « géant aux pieds d’argile », il n’y a qu’un pas que beaucoup d’observateurs et d’analystes ont franchi. Parmi ceux-ci, Juan Cole, professeur d’Histoire et directeur du Centre d’études asiatiques à l’Université du Michigan, est allé beaucoup plus loin.
Pour Juan Cole, « la vision la plus sombre » de l’avenir des Etats-Unis on la doit à George H. Bush qui lança en 1991 sa guerre pour « défendre les pays producteurs de pétrole contre l’agressivité irakienne ». Du moment que la note fut payée « dans une large mesure par le Koweït et l’Arabie Saoudite », les Etats-Unis se sont trouvés « pour la première fois dans la situation d’une force mercenaire globale ».
La conclusion du professeur Juan Cole est sidérante. Il n’exclut pas l’idée de voir un jour les Etats-Unis devenir « le soldat appauvri qui combat pour les intérêts des autres », ou encore « le glorieux forgeron qui fabrique les armes pour les futures grandes puissances ».

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